Trump – Kim Jong-un : un nouveau sommet, mais quelles avancées ?

Alors que les négociations pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne sont au point mort depuis juin et la signature d’une courte déclaration entre le président américain Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un lors du sommet de Singapour, les deux chefs d’États ont annoncé qu’ils se rencontreraient de nouveau à la fin du mois de février. Ce nouveau sommet devra aboutir à des compromis et des engagements forts de la part des deux parties. Surtout, les deux pays devront enfin s’entendre sur une même définition de la notion de « dénucléarisation de la péninsule coréenne » et établir une feuille de route avec un calendrier de dénucléarisation précis, sous peine de retrouver la situation explosive de 2017.

L’administration Trump a annoncé vendredi 18 janvier que le président américain rencontrerait le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un à la fin du mois de février. Si la date exacte et l’endroit du sommet n’ont pas été précisés, quatre lieux sont en lice pour accueillir l’événement : le Vietnam, la Thaïlande, Hawaï et Singapour. Cette annonce fait suite à un entretien vendredi matin, entre un émissaire nord-coréen, Kim Yong-chol, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et l’envoyé spécial des États-Unis pour la Corée du Nord, Stephen Biegun.

Saluant la promesse d’une nouvelle rencontre, le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies Antonio Guterres a déclaré qu’il était « grand temps que les discussions entre les États-Unis et la Corée du Nord commencent sérieusement afin de parvenir à une dénucléarisation de la péninsule coréenne ». Un point de vue partagé par Kim Eui-kyeom, porte-parole du président sud-coréen Moon Jae-in : « Nous espérons que le sommet annoncé entre le Nord et les États-Unis sera un tournant dans l’établissement d’un régime permanent de paix sur la péninsule coréenne », a-t-elle déclaré.

Le rendez-vous de février témoigne des progrès diplomatiques accomplis au cours des dernières semaines, après plusieurs mois d’immobilisme. Donald Trump et Kim Jong-un s’étaient déjà rencontrés une première fois en juin 2018, lors d’un sommet historique à Singapour pour engager le processus de dénucléarisation de la péninsule coréenne. Les deux dirigeants avaient alors signé une courte déclaration commune promettant d’œuvrer à une « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », après une année 2017 explosive entre essais balistiques et atomiques de la Corée du Nord, sanctions internationales et menaces de guerre.

Des négociations au point mort

Malgré la détente des tensions au cours de l’année 2018, les tractations pour mettre en pratique les promesses de dénucléarisation se sont enlisées. Les deux États sont restés sur leurs positions et les avancées concrètent se comptent sur les doigts d’une main. La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a accepté de prendre des mesures pour la plupart esthétiques, tout en refusant de fournir un inventaire détaillé de ses installations nucléaires et de ses missiles nucléaires, pourtant un point de départ minimum pour la crédibilité de toute transaction visant leur démantèlement.

Le 1er janvier 2019, lors de son discours du Nouvel An retransmis par la télévision d’État nord-coréenne, Kim Jong-un a affirmé que le régime ne « fabriquerait, ne testerait ni ne proliférerait plus d’armes nucléaires ». Il a cependant averti que la Corée du Nord pourrait « ne pas avoir d’autre choix que d’envisager une nouvelle manière de sauvegarder [sa] souveraineté et [ses] intérêts ». Face au refus des États-Unis d’alléger les sanctions économiques frappant la Corée du Nord, le dirigeant nord-coréen a menacé de relancer l’escalade si Donald Trump n’acceptait pas de faire des compromis, et a exigé la fin complète des exercices militaires américains en Corée du Sud – qui sont seulement suspendus pour l’heure.

Surtout, Pyongyang et Washington n’ont pas la même définition de la formule « dénucléarisation de la péninsule coréenne ». Pour la Corée du Nord, la dénucléarisation doit impliquer le retrait de toute source de menace nucléaire au Sud comme au Nord, mais aussi dans les régions voisines. Cela inclut le retrait des bases américaines au Japon et à Guam, garantes du parapluie nucléaire américain sur Séoul. Pyongyang considère que la dénucléarisation doit être un processus par étape, qui doit également concerner les États-Unis.

A l’inverse, Donald Trump exige une dénucléarisation unilatérale et « totalement vérifiée » du Nord comme préalable à toute négociation d’un accord. Si la porte-parole de la Maison Blanche Sarah Sanders a salué « des pas en avant faits de bonne foi par les Coréens du Nord », elle a prévenu que les États-Unis maintiendraient les sanctions jusqu’à la dénucléarisation complète de la RPDC. Et, alors que Trump avait assuré en juin que la menace nucléaire nord-coréenne était dissipée, Washington a dévoilé jeudi une stratégie de défense antimissile américaine qualifiant la Corée du Nord de « menace extraordinaire et permanente ».

Le sommet de Singapour a permis de faire retomber les tensions, de stopper les essais nucléaires et balistiques nord-coréens et d’amorcer un dialogue suivi entre les États-Unis et la Corée du Nord. Mais le texte signé par les deux dirigeants, vague et sans calendrier n’a pas permis d’aller plus loin que des déclarations d’intention. Une réunion prévue entre Pompeo et l’émissaire nord-coréen, Kim Yong-chol a d’ailleurs été brutalement annulée, les autorités américaines déplorant à l’époque l’annulation de la session par la Corée du Nord.

Qu’attendre du sommet de février ?

Dans ces conditions, nombreux sont sceptiques à l’annonce d’un nouveau sommet entre les deux dirigeants à la fin du mois de février. Pourtant, un scénario des petits pas, avec un processus de négociations graduel semble se dessiner. Les deux chefs d’États veulent trouver une solution, Donald Trump pour apparaître comme le président ayant résolu la question coréenne et Kim Jong-un pour dégager son pays des difficultés économiques qui l’étranglent.

Lors du futur sommet, des compromis semblent envisageables. Parmi eux, la possibilité de l’ouverture d’un bureau de liaison américain à Pyongyang, une déclaration mettant officiellement fin à l’état de guerre entre les deux pays – un simple armistice avait été signé en 1953 – ou encore le démantèlement effectif de la centrale de Yongbyon – auquel Kim Jong-un s’était engagé en septembre.

Pour obtenir une avancée significative dans les prochains mois au risque de retrouver la situation explosive de 2017, les États-Unis devront surtout lâcher du lest en levant partiellement les sanctions et en acceptant que la dénucléarisation est l’objectif final du processus de négociation et non pas une condition préalable à son ouverte. C’est ce que Kim Jong-un a toujours certifié. A Singapour déjà, le dirigeant nord-coréen s’était engagé à « œuvrer vers une dénucléarisation » mais seulement après une normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, puis après la mise en place d’un régime de paix durable et stable.

Une telle approche reviendrait à accepter temporairement que la RPDC est un pays disposant d’une force nucléaire, si ce n’est reconnaître son statut de puissance nucléaire. Affaibli par une opposition nouvelle au Congrès et par divers scandales, Donald Trump pourrait être prêt à une telle concession et accepter tout transaction qu’il pourrait vanter comme une victoire, comme le retrait des troupes américaines contre l’arrêt du programme de missiles balistiques intercontinentaux susceptibles d’atteindre les États-Unis.

 Ce serait une victoire de Kim Jong-un, alors que la coalition contre la Corée du Nord se fragilise peu à peu. La Corée du Sud est disposée à enterrer la hache de guerre avec le Nord. Plusieurs rencontres ont eu lieu en 2018 dans la zone démilitarisée divisant les deux pays depuis 1953 mais aussi à Pyongyang le 18 septembre, aboutissant à un accord pour mener une politique de coopération globale en vue de la signature d’un traité de paix.

Mais, pour cela, Kim Jong-un devra à son tour accepter de communiquer sur son arsenal nucléaire. Les deux États devront également aborder de nombreuses questions pour une dénucléarisation effective, dont la notion de temps ou de portée d’un potentiel accord.  L’obligation de la Corée du Nord de signer le TNP ne semble pas non plus figurer au programme des négociations, tout comme la ratification du Protocole additionnel de l’AIEA autorisant des inspections intrusives. Sur ce dernier point, la Corée du Nord considère officiellement qu’elle mettrait en danger la survie de son régime si elle autorisait l’accès de ses sites pour des inspections.

Dans les faits, ce refus pourrait avoir une toute autre raison : loin d’œuvrer à la dénucléarisation, la Corée du Nord poursuivrait en réalité le développement de son programme nucléaire tout en essayant d’obtenir le maximum de Donald Trump, dont la levée des sanctions économiques. Un nouveau rapport du projet Beyond Parallel, financé par le Center for Strategic and International Studies (CSIS) [1], a dévoilé ce lundi que la Corée du Nord poursuivrait le développement de son programme de missiles balistiques au sein de 20 sites non-déclarés, dont la base de missiles opérationnelle de Sino-ri. Cette dernière servirait notamment de quartier général d’une brigade équipée de missiles balistiques à moyenne portée Nodong-1.

Et, alors qu’il a rempli de vastes missions au cours de l’histoire, en tant que centre de formation pour la force stratégique de l’Armée populaire coréenne (KPA) ou comme centre de test et de développement opérationnel, le site de Sino-ri n’a jamais été déclaré par la Corée du Nord. Ces révélations pourraient donner un argument de poids aux États-Unis pour obtenir des concessions et des mesures concrètes de la part de Kim Jong-un en février, pour un nouveau petit pas dans le long processus pour la paix et la dénucléarisation de la Corée du Nord.

[1] BERMUDEZ Joseph, CHA Victor, COLLINS Lisa, “Undeclared North Korea: The Sino-ri Missile Operating Base and Strategic Force Facilities”, Projet Beyond Parallel, Center for Strategic and International Studies, 21 janvier 2019. URL : https://beyondparallel.csis.org/undeclared-north-korea-the-sino-ri-missile-operating-base-and-strategic-force-facilities/

Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN

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