Tribune de Paul Quilès et Bernard Norlain, publiée dans La Croix le 2 septembre 2019
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La situation mondiale est devenue plus explosive que jamais, en raison de l’accumulation particulièrement préoccupante de facteurs stratégiques, politiques, économiques, technologiques. La liste en est longue. Citons en quelques-uns :
- l’émergence d’une génération de chefs d’Etats, notamment nucléaires, adeptes d’un pouvoir fort et exacerbant les sentiments nationalistes de leurs populations ;
- la fin du régime de contrôle des armements qui conduit à l’effondrement de l’architecture de sécurité mondiale jusqu’ici en vigueur ;
- la politique de revanche du leader russe qui se heurte à la volonté d’hégémonie mondiale du président américain;
- la rivalité Etats-Unis/Chine ;
- les conflits du Moyen-Orient ;
- la tension entre l’Inde et le Pakistan ;
- le développement de nouveaux armements de « première frappe », susceptibles de faciliter l’usage d’armes nucléaires ;
- le cyberterrorisme, qui accroît de façon sensible la vulnérabilité des systèmes de contrôle et de commandement des armes nucléaires ;
- la robotisation du champ de bataille et l’utilisation de l’Intelligence artificielle, qui augmentent les risques d’erreur et d’utilisation des armes nucléaires ;
- la militarisation de l’espace.
Cette longue liste, qui n’est pas exhaustive, montre que nous sommes entrés dans une période où tous ces risques de déflagration sont d’autant plus graves qu’il n’existe plus de systèmes de contrôle et que le nombre d’acteurs stratégiques a considérablement augmenté. Dans ces conditions, l’existence et la possession d’armes nucléaires confèrent à cette situation une dimension tragique que le monde n’a pas connue depuis la crise des missiles de Cuba.
Alors qu’une véritable course aux armements nucléaires s’est à nouveau engagée, avec le développement de nouvelles armes, l’attribution de budgets considérables pour les systèmes d’armes nucléaires et leur environnement, l’apparition de concepts d’emploi plus ou moins avoués, il n’est pas excessif d’imaginer que nous nous rapprochons d’un conflit nucléaire.
« L’atmosphère après une guerre nucléaire : le crépuscule à midi » [1]
Il faut bien comprendre qu’une ou plusieurs explosions nucléaires, résultat d’un accident, d’un acte de terrorisme ou d’un conflit entre Etats auraient des conséquences irrémédiables sur l’environnement et le climat. Sans même évoquer un conflit nucléaire mondial qui provoquerait un holocauste planétaire, un « échange » nucléaire serait suivi de ce que les scientifiques appellent un « hiver nucléaire », aux effets dévastateurs sur les populations, la faune et la flore.[2]
Mais le dérèglement climatique ne serait pas seulement une conséquence d’un affrontement nucléaire, il pourrait aussi en être à l’origine. Par ses effets sur l’économie, la pénurie d’eau, la raréfaction des ressources naturelles, les flux migratoires, notamment, il créerait au sein des sociétés et entre les Etats des tensions susceptibles de conduire à une escalade nucléaire.
Il est désormais reconnu, selon la formule de l’ancien secrétaire d’Etat américain, John Kerry, que « le dérèglement climatique est une arme de destruction massive »[3], mais il faut bien réaliser que, si l’élévation de température est un processus qui s’inscrit dans la durée, le danger nucléaire risque de s’inscrire dans le court terme. Il devient donc vital d’inclure la lutte contre l’armement nucléaire dans la lutte pour la protection de l’environnement.
En France, la mise en place de la Convention citoyenne, voulue par le Président de la République, pourrait être l’occasion d’évoquer l’ensemble des menaces de destruction de l’environnement, y compris la menace nucléaire, et de proposer des solutions qui seront ensuite débattues et mises en œuvre par les responsables politiques.
Paul Quilès, ancien Ministre de la défense, Président d’IDN (Initiatives pour le Désarmement Nucléaire)
Bernard Norlain, Général d’armée aérienne (CR), Vice-Président d’IDN
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[1] Paul J.Crutzen et John W.Birks-Revue Ambio Suède 1982
[2] On pourrait ajouter à ce tableau apocalyptique l’utilisation d’une arme nucléaire pour mettre fin à un ouragan, comme l’aurait suggéré récemment l’actuel président des Etats-Unis !
[3] Déclaration de John Kerry à Jakarta (16 février 2014)