Stanislav Petrov : l’homme qui a sauvé le monde d’une guerre nucléaire est mort

Stanislav Petrov- russeEn 1983, Stanislav Petrov a permis d’éviter ce qui aurait été une des plus grandes guerres nucléaires du XXe siècle. Ce lieutenant-colonel des forces aériennes soviétiques, resté dans l’ombre une bonne partie de sa vie, est décédé en mai 2017, mais sa mort vient d’être rendue publique seulement maintenant.

« J’ai eu une drôle de sensation dans le ventre. »

C’est par ces mots que Stanislav Petrov explique au Washington Post, en 1999, comment il a décidé de ne rien faire ce 26 septembre 1983, alors que les écrans de contrôle d’un bunker secret près de Moscou, indiquent que cinq missiles américains foncent sur l’URSS.

Il est minuit passé quand l’alarme retentit. Stanislav Petrov, 44 ans, lieutenant-colonel des forces aériennes soviétiques, est de service à l’intérieur de Serpukhov-15, un bunker secret. Il est là pour surveiller les données d’Oko, un système d’alerte satellite et de prévenir immédiatement sa hiérarchie en cas de mouvements suspects ou d’éventuelle attaque. Or, cette nuit-là, les écrans s’affolent, toutes les lumières se mettent à clignoter, les alarmes à sonner. En pleine Guerre froide, la menace d’une attaque nucléaire par les États-Unis est réelle. Quelques semaines auparavant, l’URSS a abattu un avion sud-coréen perdu dans son espace aérien, tuant les 269 passagers. En retour, l’Otan a donc fait démonstration de sa force militaire. Les tensions entre les deux puissances sont ainsi palpables.

 Pendant plus de dix ans, Stanislav Petrov n’a pas dit un mot de cette fameuse nuit de 1983 où tout a failli basculer. Il est décédé en mai dernier, à l’âge de 77 ans.

« Je ne pouvais pas bouger. J’avais l’impression d’être assis sur une poêle à frire brûlante », raconte ce fils d’infirmière et d’un pilote de la Seconde Guerre mondiale, à la BBC, en 2013. Il n’a que quelques minutes pour prendre une décision.

Stanislav a un téléphone dans une main, un interphone dans l’autre, un officier lui hurle dans le combiné de rester calme et de faire son travail alors que les alarmes stridantes continuent de retentir dans le bunker et les écrans de clignoter. « J’avais toutes les informations qui suggéraient une attaque sous mes yeux. Si j’avais envoyé un rapport à mes supérieurs, personne ne l’aurait remis en question. » Et une troisième guerre mondiale aurait peut-être été déclenchée…

« On fait peu de dégâts avec cinq missiles »

Mais Stanislav Petrov a un pressentiment. À cette époque, on craint une attaque nucléaire massive. Or, le lieutenant-colonel ne voit que cinq missiles balistiques sur les écrans de contrôle. « Quand on déclenche une guerre, on ne la commence pas en lançant seulement cinq missiles. On fait peu de dégâts avec cinq missiles », rapporte-t-il au Washington Post, des années après, en repensant à cette nuit-là. D’autant plus que le radar soviétique anti-missile au sol ne confirme pas l’information et ne montre aucune preuve d’une attaque.

Alors, Stanislav Petrov estime qu’il s’agit d’une fausse alerte. Et il « supplie le ciel d’avoir raison », écrit Wired. Plus d’une vingtaine de minutes après, il ne s’est toujours rien passé. Stanislav a eu raison. Rapidement, l’erreur technique est confirmée. Le système de surveillance a mal interprété la réflexion des rayons du Soleil sur les nuages, confondue avec le dégagement d’énergie des missiles au décollage.

« J’ai simplement fait mon travail », raconte-t-il. Pourtant, c’est une chance que ce soit lui, qui a étudié l’ingiénierie à Kiev, à l’École supérieure de radiotechnique des forces armées soviétiques, de service ce soir-là. « Mes collègues étaient des soldats professionnels, on leur a appris à obéir et appliquer les ordres. » Ils n’auraient donc peut-être pas soupçonné comme lui, une erreur technique.

Bouc émissaire

Après l’incident, le lieutenant-colonel reste encore trois jours confiné dans le bunker. « Il est rentré à la maison complètement épuisé, mais ne nous a rien raconté », se souvient son fils, Dmitri, interrogé par l’AFP. L’incident est classé « top secret ». La décision héroïque de Stanislav est saluée dans les jours qui suivent mais ne lui apporte par la suite aucune reconnaissance.

Lors de l’enquête qui a suivi, il a été pressé de questions. On lui demande d’expliquer sa décision, pourquoi il n’a rien écrit cette nuit-là… « Parce que j’avais un téléphone dans une main et un interphone dans l’autre et que je n’ai pas de troisième main », répond-il. Selon lui, les enquêteurs cherchent à faire de lui le bouc émissaire de cette fausse alerte.

Après la publication des mémoires de son supérieur, Stanislav Petrov a reçu plusieurs distinctions. Ici, en 2013, lorsqu’il a reçu le prix de Dresde pour sa contribution à la paix mondiale. (Photo : Oliver Killig / EPA)

L’homme quitte l’armée en 1984, obtient un poste d’ingénieur pour l’institut de recherche qui a mis au point le système de surveillance défaillant. Il prend une retraite anticipée pour s’occuper de sa femme Raisa, souffrant d’un cancer. Elle décède en 1997.

Héros discret

Un an après, l’histoire de cette fameuse nuit refait finalement surface. Le général Yury Vontintsev, son supérieur, publie ses mémoires et le récit de cet incroyable épisode. Stanislav Petrov, lui, a tenu sa langue jusque-là. « Je pensais que cette erreur technique était une honte pour l’armée soviétique. »

Le héros si discret reçoit alors de nombreuses distinctions internationales, dont une récompense décernée en 2006 par l’Association of World Citizens (une association américaine pour la paix dans le monde), et le prix de Dresde pour sa contribution à la paix mondiale en 2013. Stanislav a aussi fait l’objet d’un docu-fiction dans lequel il joue son propre rôle, « L’homme qui sauva le monde » (2014). D’après le New York Times, le réalisateur allemand Karl Schumacher, grand ami de l’ancien lieutenant-colonel l’a appelé en septembre pour lui souhaiter son anniversaire. Il a appris par son fils Dmitry que Stanislav Petrov était décédé d’une pneumonie hypostatique à 77 ans, le 19 mai, à Friazino, dans la banlieue de Moscou où il vivait modestement de sa pension militaire.

Article de l’Edition du Soir de Ouest-France du 19 septembre 2017 

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