Article de REUTERS du 21 novembre 2017
Le président Barack Obama entama son mandat en 2009 avec des promesses d’un monde sans armes nucléaires. C’est cet objectif qui lui a valu alors le prix Nobel de la Paix.
L’année suivante, le président annonçait que, tout en gardant sa capacité de frappe nucléaire, les Etats-Unis ne développeraient pas de nouvelles armes atomiques. Durant les premiers 16 mois de la présidence d’Obama, la Russie et les Etats-Unis négocièrent le nouveau traité « START » qui a pour objectif de réduire le risque d’une guerre nucléaire. Le traité limite l’arsenal nucléaire des deux Etats à 1550 armes nucléaires stratégiques.
A la fin du mandat d’Obama, en janvier 2017, le risque d’un Armageddon ne s’était pas réduit. Bien au contraire, Washington était en pleine phase de modernisation de leurs armes nucléaires, voulant les rendre plus précises et plus meurtrières.
La Russie en faisait autant : les armes datant de la guerre froide avaient été laissées quasiment à l’abandon, se dégradant lentement jusqu’à l’arrivée de Poutine. Dès les premières années de sa présidence, Poutine veilla à la modernisation des armes et au développement de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux.
Sous Obama, les États-Unis ont mené une modernisation en profondeur : ils ont transformé leur bombe à hydrogène principale en « bombe intelligente guidée », rendu les missiles lancés par sous-marins cinq fois plus précis, et ont procédé à assez de réajustements sur leurs missiles balistiques intercontinentaux pour que l’armée de l’air les décrivent en 2012 comme « pratiquement neufs ». De plus, ces nouvelles armes ont besoin de nouveaux sous-marins et bombardiers, que le complexe militaro-industriel s’affaire désormais à construire.
Si le président Trump s’acharne à défaire la plupart des travaux entrepris par Obama, il a repris la modernisation des armes nucléaires avec enthousiasme. Sur ses ordres, le département de la défense doit procéder à une revue intégrale de l’arsenal nucléaire avant la fin de l’année.
Février dernier, Reuters a rapporté une conversation téléphonique entre Poutine et Trump, durant laquelle le président américain dénonçait le nouveau traité START. Trump rejeta également la suggestion russe, qui prévoyait d’entamer les négociations d’un renouvellement de l’accord lorsque ce dernier expirera en 2021. Plusieurs personnalités politiques américaines, des parlementaires ainsi que des spécialistes du contrôle d’armes, autrefois en faveur d’un arsenal nucléaire imposant, croient aujourd’hui que cette modernisation pose de graves dangers.
« Une façon de penser très dangereuse »
Ces spécialistes affirment que la modernisation va directement à l’encontre de l’objectif des accords START qui cherchent avant tout à réduire le manque de confiance ou le risque d’un accident nucléaire. Les nouvelles armes sont à la fois plus dangereuses, et leur utilisation plus envisageable. Les États-Unis ont, par exemple, une arme « modifiable », permettant d’être déployée comme une arme tactique conventionnelle.
Pour Kingston Reif, directeur de stratégie politique en désarmement et en réduction de menaces du groupe « Arms Control Association » un think-tank de Washington, « l’idée que nous pouvons contrôler un conflit nucléaire est extrêmement dangereuse ».
Un des directeurs de ce groupe, William Perry, qui a servi en tant que secrétaire de Défense sous Bill Clinton, a récemment affirmé durant une interview que « le danger d’une catastrophe nucléaire est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était durant la guerre froide ».
Perry raconta à Reuters que les États-Unis et la Russie ont modernisé leurs arsenaux nucléaires de façon à rendre plus probable l’utilisation d’une arme nucléaire. Perry se plaint du fait que la modernisation américaine se fasse à huis clos. « Cela se développe sans qu’il y ait la moindre discussion avec le publique. On le fait, voilà tout. »
Le mouvement international pour le désarmement a profité d’un nouvel élan en octobre lorsqu’ICAN gagna le Prix Nobel de la Paix pour son rôle dans les négociations d’un traité interdisant les armes nucléaires. Les Etats-Unis, la Russie et les autres puissances nucléaires ont boycotté les négociations.
La modernisation des armes aux Etats-Unis n’est pas uniquement soutenue par le président Trump. Il n’y a quasiment aucune motion au congrès pour réduire ce processus de modernisation que beaucoup conçoivent comme une simple mesure de réajustement d’anciennes armes, alors qu’il s’agit du développement d’un nouvel arsenal.
Certains affirment que de nouvelles armes plus puissantes rendent plus efficace la politique de dissuasion, réduisant ainsi la probabilité d’une guerre. Cherry Murray, une responsable du département de l’Energie jusqu’en janvier dernier, s’occupait de l’inventaire nucléaire. Elle affirme que la réduction du nombre d’armes après le nouveau traité START rend impératif la modernisation de l’arsenal nucléaire.
Murray fait valoir que, durant la guerre froide, les Etats-Unis avaient tellement d’armes nucléaires que si l’une d’entre elles ne fonctionnait pas, il suffisait de s’en débarrasser. Aujourd’hui, avec la limite de 1550 armes, chaque bombe compte.
« Quand on réduit l’arsenal à un tel chiffre, il faut s’assurer que chacune des armes va fonctionner, et s’assurer que nos ennemis continuent à croire en l’efficacité de nos armes ».
Un ancien porte-parole d’Obama nous fit savoir que l’ex-président ne répondrait pas à des questions sur ce sujet. L’ambassade russe à Washington n’a pas non-plus répondu à nos demandes.
Une porte-parole du conseil national de sécurité de la Maison Blanche nous a expliqué que l’objectif du président Trump était de créer une force nucléaire qui serait « moderne, robuste, souple, résiliente, prête, adaptée aux enjeux du 21e siècle et répondant au besoin de rassurance de nos alliés
Une mesure à faire exploser le budget ?
Cet effort de modernisation a un coût élevé. Cette année le bureau du budget du congrès a estimé que le programme couterait au moins 1,25 trillion de dollars durant les 30 prochaines années. Ce montant reste une estimation très prudente, puisque le Pentagone a tendance à sous-estimer le prix de projets d’acquisitions à long-termes.
Entant que secrétaire de la défense sous Obama, Leon Panetta était en faveur de la modernisation de l’arsenal. Aujourd’hui il remet son coût en cause.
Dans une interview à Reuters, Panetta, tout en faisait porter à la Russie la responsabilité des nouvelles tensions, fait valoir que « nous sommes dans un nouveau chapitre de la guerre froide avec Poutine ». Panetta pense que les États-Unis ne pourront pas payer le prix de cette modernisation : « Nous avons des acquis en matière de défense qu’il faut continuer à payer, des impôts à recouvrir et un déficit économique record. »
Le nouveau traité START a bel et bien permis de réduire l’arsenal nucléaire de la Russie et des États-Unis depuis la chute de l’URSS. Mais des arsenaux réduits ne correspondent pas forcément à un danger réduit.
Un rapport d’aout 2017, mené par le service de recherche du congrès, démontre qu’en 1990 les États-Unis avaient plus de 12 000 armes et l’URSS juste au-dessus de 11 000. Grâce au traités START, en 2009, ce chiffre a été réduit à environ 2 200 armes par État.
Le directeur politique de Ploughshares Fund, Tom Collina, affirme que Moscou et Washington vont réussir à atteindre l’objectif de 1 550 armes avant la date limite du traité en 2018. Le problème, c’est que le traité permet de fausser les chiffres.
La Russie avait insisté que chaque bombardier soit compté comme représentant une seule arme nucléaire, sans tenir compte du nombre de bombes qu’il transporte. Chaque État peut donc ainsi posséder 2 000 bombes. Collina estime que les deux États ont environ 1 740 armes nucléaires déployées, mais que des milliers d’armes restent entreposées, attendant d’être désarmées.
Pour William Potter, directeur de l’étude sur la non-prolifération de l’institut Middlesbury en Californie, la nouvelle course aux armements ne se fait pas par le nombre de bombes, mais par l’augmentation de la capacité des armes à tuer. « Nous sommes dans une situation où les avancées technologiques dépassent le contrôle des armes. »
Un bon exemple de cette nouvelle course est la transformation de la bombe à hydrogène principale des États-Unis. L’armée de l’air américaine déploie, par bombardiers, la bombe B61 depuis les années 1960. Jusqu’aujourd’hui, la bombe était tout à fait conventionnelle : elle tombait d’un avion et, emportée par la gravité, explosait en frappant sa cible.
La bombe la plus chère de tous les temps
Aujourd’hui cette bombe a été transformée en bombe « intelligente guidée ». Le nouveau modèle comporte des ailerons et un système de guidage permettant les troupes du bombardier de diriger la bombe vers sa cible. Des modèles récents comportent même une fonction permettant de modifier la taille de l’explosion. La nouvelle bombe peut viser des troupes et exploser avec une force de 0.3 kilotonnes (une fraction de la bombe d’Hiroshima), ou viser à raser une ville entière, avec une force de 340 kilotonnes, 23 fois plus puissante que celle d’Hiroshima. Ce genre de contrôle est également prévu pour les nouveaux missiles balistiques intercontinentaux.
Cette nouvelle version de la B61 est la bombe la plus chère jamais construite. Chaque bombe coûte 20,8 millions de dollars, c’est-à-dire presque un tiers de sa valeur en or 24 carats. Le prix total des 480 bombes prévues est de 10 milliards de dollars.
Le congrès a également autorisé un budget de 1,8 milliard de dollars pour le début de financement d’une nouvelle arme : un missile balistique intercontinental à longue distance, coutant environ 17 milliards de dollars au total. Les nouveaux missiles seront conçus de façon à permettre aux bombardiers de les lancer tout en restant en dehors du territoire ennemi, loin de ses systèmes défensifs.
La vision d’Obama de la modernisation des armes nucléaires a commencé à évoluer lorsque les sénateurs républicains résistèrent à sa stratégie de réduction.
Des anciens responsables à la Maison Blanche affirment qu’Obama était déterminé à faire ratifier le nouveau traité START, qu’il concevait comme une étape essentielle pour assurer la coopération des russes dans les négociations sur le nucléaire iranien. Gary Samore, le coordinateur de la Maison Blanche en matière de contrôle des armes conventionnelles et nucléaires pendant quatre ans sous Obama, indique que le président pensait que si le Sénat n’agissait pas avant la séance de 2010, l’accord ne serait jamais ratifié.
A ce moment-là, Obama a dû affronter une forte opposition menée par le sénateur républicain Jon Kyl. En tant que coordinateur du parti minoritaire au Sénat, Kyl fédéra un groupe assez large pour rejeter le traité.
Kyl dit qu’il était contre ce traité parce que, selon lui, la Russie « triche » dans l’exécution de ses engagements et les Etats-Unis n’ont aucune façon de vérifier ou d’imposer les mesures prises. Pour Kyl, le déploiement de nouvelles armes nucléaires tactiques depuis 2014 par Moscou serait en violation du traité de 1987 sur les armes nucléaires à portée intermédiaire (la Russie nie formellement avoir violé cet accord). Kyl estime aussi qu’un problème majeur du nouveau traité START est qu’il ne parle pas de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques sur les champs de bataille, sujet que les russes ont refusé d’aborder.
Le groupe de Kyl au sénat était toutefois prêt à laisser ratifier le traité—mais pour un prix. En échange de la ratification, la Maison Blanche devait accepter une modernisation massive des armes nucléaires américaines restantes. Obama céda à la demande, et le sénat ratifia le traité le dernier jour de la session de 2010.
Gary Samore, l’ancien coordinateur du contrôle d’armes, dit qu’Obama était d’accord pour moderniser les armes les plus anciennes. Il ne s’attendait simplement pas à prendre la décision onéreuse de tout faire en une seule fois.
Une déstabilisation du statut quo
Si le nombre d’ogives et de véhicules de lancement est limité par le traité, rien n’interdit la modernisation ou le remplacement d’anciennes armes avec de nouvelles armes encore plus meurtrières. Les détails rendus publics sur les nouvelles armes démontrent que les deux sont en train de se produire.
L’effet, selon les conseillers d’Obama et des spécialistes du contrôle d’armes, c’est que la modernisation a déstabilisé le statut quo entre la Russie et les Etats-Unis, entamant une nouvelle course aux armes. Un des hauts-conseillers d’Obama sur le contrôle d’armes, Jon Wolfsthal, affirme qu’on pourrait avoir une course aux armes dévastatrice, même avec un nombre d’armes relativement peu élevé.
Le nouveau traité START limite le nombre d’ogives, le nombre de vecteurs de lancements, mais ne dit rien sur les manière dont ils sont utilisés. Il ne s’intéresse pas aux différences entre un lancement par missiles navales ou missiles de croisière, que ce soit une bombe hydrogène ou autre. La Russie et les Etats-Unis s’empressent donc d’augmenter la force meurtrière de ces armes, en améliorant les vecteurs pour qu’ils soient plus puissants, plus précis et équipés avec toutes les nouvelles technologies les plus dangereuses – sans pour autant augmenter le nombre d’ogives ou de vecteurs. Selon un article du Bulletin of the Atomic Scientists, les Etats-Unis auraient triplé le « pouvoir meurtrier » de leur arsenal de missiles balistiques.
L’auteur de l’article, Hans Kristensen, est directeur de la « Federation of American Scientists’ Nuclear Information Project » (fédération américaine des scientifiques du projet d’information nucléaire). Il note que, si ce genre d’estimation ne peut être vérifié pour la Russie, il faut noter qu’elle aussi a procédé à une amélioration de ses vecteurs et missiles. De plus, la Russie s’emploie constamment à trouver des façons de déjouer le système de défense anti-missiles des Etats-Unis.
Le programme de modernisation des Etats-Unis « a concrétisé des technologies révolutionnaires qui vont grandement augmenter la capacité de ciblage des missiles balistiques américains », écrit Kristensen dans un article. « Cette augmentation est impressionnante. »
Kristensen dit que les modifications les plus alarmantes concernent les nouveaux missiles Trident II à lancement par sous-marin. Jusqu’ici, ces missiles étaient équipés de détonateur assez peu précis, ne frappant qu’environ 20% de leurs cibles. Les nouveaux missiles sont désormais équipés de détonateurs avec des capteurs qui font exploser les ogives à un moment précis. Désormais, grâce aux nouveaux détonateurs, « chaque missile frappe sa cible ».
En accord avec le nouveau traité START, 14 des sous-marins classe Ohio américains sont équipés de 20 missiles Trident. Chaque Trident peut contenir jusqu’à 12 ogives. Les Etats-Unis possèdent également quatre sous-marins Ohio supplémentaires équipés d’armes conventionnelles. La portée officielle d’un missile Trident II est de 12 000 km, soit presque un tiers de la circonférence de la Terre. Certains experts affirment que la portée est certainement plus grande. Chacune des ogives peut produire une explosion de 475 kilotonnes, soit presque 32 fois celle d’Hiroshima
Le drone sale des russes
La Russie, elle aussi, travaille fort pour rendre ses armes plus meurtrières. Ploughshares estime que les deux puissances travaillent sur au moins douze armes, nouvelles ou améliorées.
La Russie construit des missiles à lancement terrestre, y compris un missile balistique intercontinental avancé, le RS-28 Sarmat. Le missile peut contenir 10 ogives qui peuvent être visées sur plusieurs cibles individuelles. Les médias russes affirment que le missile pourrait anéantir un Etat de la taille de la France ou encore du Texas. Les analystes américains pensent cela peu probable, même s’ils s’accordent sur la puissance impressionnante de l’arme.
Les nouveaux missiles balistiques intercontinentaux russes peuvent porter deux ogives supplémentaires, au cas où le nouveau traité START expire ou qu’il soit abrogé. Les missiles américains ont cette même capacité, mais pour l’instant ne portent qu’une ogive par missile.
La Russie a également créé un missile lancé par un sous-marin plus perfectionné, le RSM-56 Bulava. S’il n’est pas aussi précis que les missiles Trident américains, ce nouveau missile marque une nette amélioration de la fiabilité et de la précision des missiles russes.
Un officier militaire russe avait également déclaré que la Russie disposait d’une arme d’Armageddon, qui pousserait l’idée de « bombe sale » à son paroxysme. Les analystes américains restent divisés sur la véracité de ces déclarations.
Cette nouvelle bombe serait transportée par un drone sous-marin, capable de voyager à 56 nœuds et jusqu’à presque 10 000 km. L’idée de la bombe sale, jamais encore utilisée, est de créer une radioactivité dangereuse en faisant exploser une charge conventionnelle. Dans le cas du drone russe, une quantité importante de matériaux radioactifs serait répandue par la bombe sale.
La bombe serait « pimentée » par du cobalt radioactif, émettant des rayons gamma pendant des années. L’explosion et le vent répandrait le cobalt sur des centaines de kilomètres, rendant ainsi une grande partie de la côte Est des Etats-Unis inhabitable.
Un documentaire passé à la télévision russe explique que le drone est sensé créer de « vastes zones de contamination qui rendrait impossible toute activité militaire, économique ou autre pendant de longues périodes de temps. »
Reif, de l’Arms Control Association, dit que même si le concept n’existe que sur papier, la Russie fait preuve d’une façon de penser complètement illogique, qui n’a « aucun sens stratégique et reflète une conception profondément démesurée de ce qui est nécessaire pour garantir une dissuasion nucléaire effective. »
Rapport de Scot Paltrow ; édité par Michael Williams
Traduit par Simon Albert-Lebrun