Le retrait annoncé des États-Unis du traité « Ciel ouvert » pourrait constituer une nouvelle expression de l’aversion de l’administration Trump à l’égard des accords de maîtrise des armements et un geste tactique électoral visant à exercer des pressions sur la Russie. S’il était confirmé, il risquerait toutefois d’accroître les tensions en Europe, où certains conflits « gelés » pourraient dégénérer.
Le 22 mai 2020, les États-Unis ont formellement notifié aux autres Etats parties leur intention de se retirer du traité « Ciel ouvert » (Open Skies) à l’issue d’un délai de six mois. Cette décision, prise suite aux déclarations de Donald Trump accusant la Russie de violer le traité, reste officiellement réversible dans le cas où les demandes américaines de mise en conformité avec l’accord seraient appliquées par Moscou. Il s’agit du troisième traité international de maîtrise des armements dont se retire unilatéralement Washington depuis le début du mandat de Trump, après l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) et le traité bilatéral sur les forces nucléaires intermédiaires (INF). Les Européens ainsi que les Russes ont depuis lors réaffirmé leur soutien au traité « Ciel ouvert », considérant que son abandon ne pourrait que représenter un bond en arrière. Les Démocrates se sont également opposés à ce retrait, et pourraient questionner devant les tribunaux fédéraux la légalité de cette décision qui aurait dû être précédée d’une consultation du Congrès.
Le traité « Ciel ouvert » permet une observation aérienne mutuelle entre pays des anciens blocs de l’Est et de l’Ouest. Initialement proposée par Dwight Eisenhower à l’URSS en 1955, cette idée fut relancée par George H. W. Bush à la fin de la Guerre froide en 1989 et aboutit à l’actuel traité, signé en 1992 et entré en vigueur en 2002. Aujourd’hui, 34 Etats sont parties à ce traité, à savoir les membres de l’OTAN auxquels s’ajoutent la Suède, la Finlande, l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie. Chacun d’entre eux a droit à un quota annuel de survols dans l’espace aérien des autres Etats membres, utilisant des appareils d’observation et des capteurs certifiés, afin de pouvoir contrôler de manière transparente la nature, le nombre et la posture de leurs forces militaires. Chaque Etat a l’obligation d’accepter le survol et la capture d’images sur l’intégralité de son territoire, et ne peut restreindre le survol que pour les zones relevant strictement de la sûreté aérienne, c’est-à-dire susceptibles de porter directement atteinte aux populations résidentes.
Comme à son habitude, Trump s’est montré élusif sur les infractions qu’il imputait à la Russie, ce retrait s’apparentant à un coup de semonce. Des officiels américains ont ensuite confirmé que ces accusations faisaient référence à un rapport annuel sur le respect des obligations internationales de maîtrise des armements publié au début de l’année par le Département d’Etat. Les Etats-Unis accusent spécifiquement la Russie de limiter les survols de l’enclave de Kaliningrad, d’interdire les survols s’approchant trop près de la frontière géorgienne et d’avoir refusé le survol d’un entraînement militaire en 2019. En retour, la Russie reproche aux Etats-Unis de restreindre le survol des îles hawaïennes et aléoutiennes et d’imposer régulièrement des survols aux conditions de sécurité dégradées.
A supposer que ces accusations mutuelles soient fondées, Trump apporte à nouveau la preuve de son incompréhension majeure des principes fondamentaux du multilatéralisme. A l’instar des autres accords conclus à la fin de la Guerre froide dans le cadre de l’OSCE, le traité « Ciel ouvert » vise à promouvoir la transparence afin de maintenir la confiance et la sécurité selon une approche coopérative et non un moyen d’affirmer un rapport de forces. A ce titre, il permet de soulever des accusations de non-respect par les autres parties à l’intérieur d’une Commission consultative, qui offre un cadre de solution pacifique des différends.
Les premières réactions au geste de Trump soulignent d’ailleurs à quel point celui-ci est contre-productif. En effet, le traité « Ciel ouvert » a bien plus profité aux Américains qui ont, selon l’ONG Nuclear Threat Initiative (NTI), réalisé au total trois fois plus de survols du territoire russe que les Russes du territoire américain, et peuvent s’appuyer sur 500 survols additionnels dont les données ont été collectées par d’autres Etats parties. Par ailleurs, même après un retrait américain, la Russie pourrait continuer à survoler les bases et forces américaines en Europe, consacrant ainsi un avantage unilatéral.
En refusant le dialogue et l’arrangement pour restaurer le fonctionnement effectif des traités, Trump préfère s’en retirer brutalement, sous des prétextes qui cachent mal son profond dédain pour le multilatéralisme, sur lequel s’appuie pourtant la sécurité internationale depuis la fin de la Guerre froide.
Plus qu’aucun autre président américain auparavant, Trump aura soumis la politique étrangère des Etats-Unis à une vision idéologique et à ses propres intérêts électoraux. Ainsi, le retrait programmé de « Ciel ouvert » doit intervenir au lendemain de l’élection présidentielle de novembre. La tactique qu’il applique dans ce cas consiste à menacer ses adversaires d’un retrait pour les forcer à modifier leur comportement ou négocier un nouvel accord, bien que cela n’ait pour le moment jamais fonctionné. Il adopte la même approche envers le traité New START avec la Russie, qui arrive à échéance en février 2021. Plutôt que de garantir la continuité et la sécurité en prolongeant les efforts diplomatiques de ses prédécesseurs, il prend le risque de promouvoir de nouveaux « deals » sur lesquels il espère apposer son nom. Et qu’importe si ses ambitions sont irréalistes – comme celle de vouloir intégrer la Chine dans le New START – et mettent en danger aussi bien les Etats-Unis que leurs alliés.
En effet, ces derniers, déjà échaudés par plusieurs claques infligées par Trump y compris le retrait unilatéral du traité INF, n’ont pas hésité à exprimer leur « regret » de la nouvelle initiative du président américain, terme diplomatique qui dissimule à peine leur inquiétude. Comment ignorer que les difficultés d’application du traité « Ciel ouvert » sont symptomatiques des conflits hérités de la Guerre froide (Kaliningrad, Abkhazie et Ossétie du Sud, Ukraine) ? Toute l’architecture mise en place pour les contenir et les gérer en prévenant toute escalade susceptible d’ouvrir la voie à la guerre nucléaire risque donc de s’effondrer et de menacer la sécurité européenne.
Marc Finaud, membre du Bureau d’IDN
Une réponse
Le projet de « traité Ciel ouvert » n’est ni un caprice idéologique, ni un « désarmez-vous » aux armes de tous types.,
Mais, sans doute, il résulte de l’analyse partagée de la Présidence et autres « verticales du pouvoir » d’une situation stratégique nouvelle, en opportunités comme en menaces.
Les usa semblent être restés, de fait, allergiques aux traites internationaux depuis Monroe, en 1823, sur la SdN en 1919, au plan Keynes en 1930, etc, etc. « car tel est leur bon plaisir »…prenant la suite du « Dieu est mon Droit » de la Grande Bretagne…dont ils ont pris aveuglément la suite…car Dieu était leur Droit !
Pourtant, les ouvrages de Navarro et de Yukon Huang sont très clairs, entre autres, sur la Chine. ..Que les démocrates, CIA, etc ne voulaient affronter qu’après réglée la question russe et le contrôle de la Sibérie.
Or, d’une part, la zone russe, bien que plus limitée, semble avoir renoué avec les progrès scientifiques et technologiques, voire humains, pré-1990…
D’autre part, le potentiel chinois a, qualitativement, changé d’échelle en défiant la supériorité techno-scientifique américaine, voire atlantique…y compris dans les relations avec le reste du Monde.
Trump a immédiatement réagi en mettant progressivement ses alliés européens au pied du mur et à l’épreuve (Macron et autres)…et en mettant le cap sur l’Asie. Ne sont surpris que ceux qui n’ont pas d’expérience industrielle et commerciale…aka les strates étatiques européennes.
Il faut comprendre que le Traité « Ciel ouvert » n’est pas un nouveau caprice de Trump ou une simple menace pour la sécurité européenne . Nos amis allemands l’ont bien compris, cf Nord Stream2 ! Et il ne ‘agit pas d’un nouveau vie-russe ! Dans ce contexte, la France a, certes, un poids militaire considérable …mais stratégique très-très relatif ! Il ne s‘agit plus que de bombarder subrepticement la Syrie ! LOL !
Tiens ! Un exemple :HiHi ! La Chine vient de décider de créer un réseau national de grandes écoles top-scientifiques, niveau doctorat, séparées de celles dédiées à l’industrie et de la gestion ordinaire…un peu commme l’université Lomonosov de Moscou…et de feu-notre école poly »technique »…mais sans pantouflage !
Ce n’est surement pas pour un tournoi annuel style X-Hec-Normale !
Vraiment ! Ces Chinois sont vraiment fourbes ! Hihi!