IDN avait déjà mis en garde contre les dangers d’un rapprochement entre Israël, seul pays doté d’armes nucléaires au Proche-Orient, et l’Arabie saoudite destiné à mettre un terme au programme nucléaire iranien.
Les récentes évolutions dans la région ne font qu’aggraver la menace d’une fuite en avant susceptible de conduire à une catastrophe nucléaire.
Depuis de nombreuses années, Israël menait une guerre secrète contre le programme nucléaire iranien, faite de sabotages, de cyberattaques, d’assassinats ciblés de scientifiques, etc. De même, l’Iran, par le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), le Hezbollah ou les Houthis du Yémen, s’en prenait à des cibles militaires israéliennes en Syrie ou en mer Rouge. Or, dans le contexte de la guerre contre Gaza et du soutien iranien au Hamas, Israël a franchi le 1er avril 2024 un nouvel échelon dans son action punitive envers Téhéran en lançant une frappe aérienne sur le Consulat d’Iran à Damas, tuant deux généraux du CGRI et une dizaine de civils.
Même si, contrairement à la légende urbaine souvent colportée, le territoire d’une ambassade ou d’un consulat dans un pays d’accueil ne constitue nullement le territoire du pays d’envoi mais demeure celui du pays d’accueil (imagine-t-on la mosaïque territoriale mondiale qui en résulterait ?), le droit international rend ces bâtiments « inviolables ». L’argument selon lequel, en droit des conflits armés, un tel bâtiment abritant une réunion de militaires en fait une cible militaire légitime est évidemment irrecevable : combien de bâtiments diplomatiques abritant des attachés de défense, qu’ils soient israéliens, français ou américains, échapperaient-ils à une telle protection ?
Une preuve de l’échec de la dissuasion nucléaire
S’estimant frappé non sur son territoire mais contre ses intérêts nationaux, l’Iran, soutenu par la Russie, a invoqué devant le Conseil de sécurité de l’ONU son droit à la « légitime défense », et riposté à l’attaque israélienne en franchissant lui aussi une nouvelle étape : une attaque aérienne de quelque 300 drones et de missiles contre des bases militaires en territoire israélien. Certes, Téhéran a pris la peine de donner à Israël et aux Etats-Unis un préavis, a calibré l’attaque de telle sorte qu’elle soit largement interceptée par les Israéliens et leurs alliés (les États-Unis, la France et la Jordanie), et n’a causé que des dommages mineurs. Pour Téhéran, cette vengeance était suffisante. Parallèlement, l’attaque iranienne a apporté une nouvelle preuve (après les guerres des Six-Jours et du Kippour) que la dissuasion nucléaire israélienne a échoué et que sa crédibilité est fortement remise en cause.
De son côté, Israël, déjà humilié par son incapacité à prévoir l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, n’a cessé depuis l’attaque iranienne de promettre une riposte, sans en préciser la date ni la forme, tandis que nombre de gouvernements occidentaux, y compris celui des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, ont appelé à de la retenue, craignant un embrasement général et préconisant, à la place d’une action militaire, un renforcement des sanctions contre l’Iran. Cela n’a pas empêché Israël de lancer, le 19 avril, une frappe modérée de drones sur une base militaire à Ispahan, mais analysée comme un message de sa capacité à viser des installations nucléaires situées à proximité, lesquelles n’ont pas été touchées selon l’AIEA.
En effet, parmi les opérations militaires envisagées par certains dirigeants israéliens figurent des attaques contre les installations du programme nucléaire civil iranien. Ces scénarios ne sont pas nouveaux, et le président Obama avait réussi à les éviter en concluant l’accord multilatéral de 2015 avec l’Iran (JCPOA), qui visait à bloquer pour Téhéran les deux voies d’accès à l’arme nucléaire : la production d’uranium hautement enrichi et celle de plutonium. Malheureusement, le retrait de l’accord par Trump et sa réimposition de sanctions ont abouti à un essor sans précédent des stocks iraniens d’uranium enrichi (27 fois les limites du JCPOA), qui lui permettrait, selon le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), de produire théoriquement « plusieurs armes nucléaires ». Autre source d’inquiétude, les déclarations de certains responsables iraniens envisageant ouvertement la fabrication d’armes nucléaires.
Empêcher la « prophétie autoréalisatrice »
Certes, comme confirmé tant par l’AIEA que par les États-Unis, l’Iran ne possède pas actuellement d’arme nucléaire et n’est pas activement engagé dans un programme militaire. Toutefois la combinaison des nouveaux facteurs de son environnement international (menaces d’attaques israéliennes, effondrement du JCPOA, paralysie des États-Unis, capacités de production de matières fissiles, programme de missiles avancé) pourrait l’amener à un nouveau calcul stratégique pesant les avantages et les inconvénients (notamment en termes d’image dans le Sud global) de la production d’armes nucléaires.
C’est pourquoi les recommandations de nombreux experts, y compris américains, soulignant les effets contre-productifs de frappes israéliennes contre les installations nucléaires iranienne, visent à éviter la « prophétie auto-réalisatrice » de Netanyahu, qui aurait beau jeu de proclamer : « Je vous l’avais bien dit ! ».
L’Iran a longtemps mis en avant le monopole nucléaire israélien au Proche-Orient et soutient, depuis 1974, le projet d’une Zone exempte d’armes nucléaires dans la région, élargie en 1991 aux autres armes de destruction massive (chimiques et biologiques). En se dotant d’armes nucléaires, l’Iran bouleverserait sans aucun doute les équilibres stratégiques régionaux et provoquerait probablement la prolifération en incitant des pays comme l’Arabie saoudite et la Turquie à se doter à leur tour d’armes nucléaires. Le résultant serait un Proche- et un Moyen-Orient plus instable, plus dangereux et plus susceptible d’entraîner le monde dans un cataclysme nucléaire.
C’est pourquoi il est grand temps de stopper ces évolutions et revenir au projet de Zone exempte d’armes de destruction massive, y compris en convainquant Israël de renoncer à son arme nucléaire, qui ne l’a protégé d’aucune attaque en 1967, en 1973 et en 2024. Une telle zone exigerait évidemment la négociation d’accords de paix et de reconnaissance mutuelle entre tous les pays de la région.