« Le débat sur l’usage militaire du nucléaire doit être ouvert à la société civile, puisque ce sont les populations qui seraient anéanties » – TRIBUNE

À la suite des propos du président de la République évoquant l’extension du « parapluie nucléaire français » aux alliés européens, un collectif réunissant universitaires, associatifs, diplomates et militaires appelle, dans une tribune au journal Le Monde, à l’ouverture d’un débat global sur la question.

La récente proposition du président de la République, Emmanuel Macron, pour un « dialogue stratégique » sur un élargissement de la dissuasion nucléaire française à l’Europe a remis le sujet sous les feux de l’actualité. Il est grand temps que la France se livre enfin à un débat public transparent et objectif sur ces armes puissantes et dangereuses, qu’elle s’est engagée à éliminer dès la fin de la guerre froide en rejoignant le traité de non-prolifération.

La Révolution française a fondé notre histoire collective et ouvert la voie à la démocratie. Mais l’usage de la démocratie exige que les choix politiques résultent du débat le plus large possible. Or la France n’a jamais connu de consultation véritable sur la dissuasion nucléaire, dont le ministre des armées a reconnu qu’elle n’était plus « consensuelle ». Déjà, avant lui, le président Giscard d’Estaing avait admis dans ses Mémoires que jamais il n’aurait appuyé sur le bouton, car cela aurait signé la destruction de la France. D’autres personnalités se sont levées contre le dogme de la dissuasion nucléaire, comme l’ancien premier ministre Michel Rocard ou l’ancien ministre de la défense Paul Quilès, qui a fondé l’association Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN) il y a dix ans.

Après les propositions d’Emmanuel Macron, un débat approfondi sur les armes nucléaires s’impose. C’est le seul moyen de respecter notre démocratie. Si nous abandonnons à une petite élite les décisions concernant les armes nucléaires, nous trahissons ceux qui ont souffert pour que notre démocratie voie le jour ou ont donné leur vie pour la défendre.

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Bien sûr, les experts diront que nous, simples citoyens, ne pouvons pas comprendre les questions complexes relatives aux armes nucléaires. Ce qui est absurde. Avons-nous besoin de comprendre le fonctionnement d’un moteur de voiture pour avoir une opinion sur la limitation de vitesse près de chez nous ? La théorie de la dissuasion nucléaire serait une affaire de spécialistes. Vraiment ?


Menace et contre-menace

La dissuasion nucléaire est censée être parfaite, la moindre défaillance pouvant avoir des conséquences catastrophiques. Le problème est que les êtres humains sont faillibles. Chaque maillon de la chaîne – du soldat au président – peut commettre des erreurs. S’en remettre à une intelligence artificielle serait tout aussi dangereux, car qui prendrait les décisions ? La dissuasion nucléaire est un processus de menace et de contre-menace, fragile par essence et qui peut échouer, au risque de nous entraîner dans un cataclysme.

Lors d’une mobilisation pour l’abolition des armes nucléaires, le 13 mars 2022 à Bordeaux. THIBAUD MORITZ / AFP 

Une approche historique et probabiliste des risques d’explosion nucléaire non souhaitée, à cause de défaillances techniques ou d’erreurs humaines, démontre que le monde a bénéficié d’une chance inouïe de ne pas connaître cet événement redouté depuis quatre-vingts ans, alors qu’il a connu plusieurs catastrophes nucléaires civiles. Un secteur d’activité où la sécurité est pourtant réputée particulièrement efficace.

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Il n’est pas réaliste de s’appuyer sur une arme qui suscite la crainte mais dont l’utilité militaire dans la guerre est faible voire nulle : car qui souhaiterait conquérir un tas de ruines radioactives ? Il n’est pas réaliste de confondre la capacité de destruction avec l’utilité militaire. Qui fait la démonstration de son leadership et de sa force ? Celui qui s’accroche aux armes du passé ou celui qui affronte la réalité avec audace et élabore une solution adéquate ? Comme aimait à le rappeler le général de Gaulle, pourtant fondateur de la dissuasion nucléaire française : « Toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n’ont qu’un temps. »

Cette nouvelle politique de défense doit être la priorité de notre pays afin d’affronter les défis de sécurité qui se présentent à nous. Elle exige un esprit de défense que la confiance aveugle dans la dissuasion nucléaire a anesthésié. Elle nécessite une réflexion non plus figée par une pensée unique remontant à la guerre froide, mais une réflexion ouverte, démocratique, prenant en compte les évolutions technologiques, économiques, sociales et environnementales qui sont les réalités du monde actuel.

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Un tel débat doit être ouvert à la société civile, puisque ce sont les populations qui seraient anéanties par la guerre nucléaire. Il doit inclure toutes les options, y compris le désarmement nucléaire négocié, un désarmement progressif et vérifiable pour le rendre effectif, et une défense fondée sur la sécurité collective. En un mot, remplacer la « dissuasion » par la « persuasion ».

Nous appelons donc à ce débat sincère, public et ouvert. Le plus rapidement possible.

Signataires : Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières ; Valérie Cabanes-Danis, juriste internationaliste, spécialiste de droit humanitaire et droit international des droits de l’homme ; Gilles Candar, historien ; Jean-Pierre Dupuy, ingénieur et philosophe ; Marc Finaud, ancien diplomate ; Charles Josselin, ancien ministre, membre honoraire du Parlement ; Jean-Luc Lefebvre, ancien officier de l’armée de l’air, chercheur en stratégie ; Bernard Norlain, général d’armée aérienne (2S), président d’Initiatives pour le désarmement nucléaire ; Josèphe-Marie Quilès, membre d’Initiatives pour le Désarmement Nucléaire ; Annick Suzor-Weiner, physicienne, vice-présidente de l’association Pugwash

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L’association Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN) a pour but d’œuvrer à l’élimination progressive et équilibrée des armes nucléaires de la planète, pour contribuer à l’édification d’un monde plus sûr.
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