Le 6 septembre 2023, au large de la Mer du Japon, la Corée du Nord a dévoilé un nouveau sous-marin, lors d’une cérémonie en grande pompe, devant ‘une foule en liesse et son chef suprême Kim Jong-un. Le 8 septembre, ce dernier a annoncé officiellement le lancement d’un « sous-marin nucléaire tactique d’attaque » marquant ainsi « le début d’un nouveau chapitre dans le renforcement de la force navale de la République populaire démocratique de Corée » selon les termes des médias d’État.
En janvier 2021, la Corée du Nord avait dévoilé un plan quinquennal de modernisation de sa défense, mettant particulièrement en lumière l’importance des armes nucléaires tactiques. Jusqu’à cette date, le pays avait principalement orienté ses ressources vers le développement et les essais d’armes nucléaires de nature stratégique. Les armes nucléaires tactiques, caractérisées par leur portée plus limitée et leur capacité à cibler des objectifs militaires restreints et immédiats, sont désormais au centre de cette nouvelle orientation, illustrant ainsi l’ajustement de la Corée du Nord à un environnement international en constante évolution.
Actuellement, la Corée du Nord dispose d’une force navale comprenant entre 64 et 86 sous-marins, ce qui en fait l’une des flottes les plus importantes du monde. Cependant, selon la Nuclear Threat Initiative (NTI), des experts se posent des questions sur les capacités opérationnelles de cette flotte en raison de la vétusté de ses navires. Une option envisagée par Pyongyang pourrait être de moderniser les sous-marins existants afin de les équiper d’armes nucléaires. La vision du leader nord-coréen est très claire : il souhaite renforcer la puissance navale de son pays et il affirme dans le même temps que ce nouveau sous-marin serait pleinement opérationnel dans des missions de combat. Toutefois, aucun détail spécifique n’a été révélé concernant le type de missiles que ce nouveau sous-marin pourrait transporter. Il est cependant notoire que la Corée du Nord a déjà effectué des essais de missiles balistiques à longue portée et de croisière qui peuvent être lancés depuis des sous-marins.
L’association Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN) a d’ailleurs eu l’occasion d’évoquer les modernisations des différents missiles dont le missile balistique intercontinental (ICBM) surnommé Hwasong-16 et le missile mer-sol balistique stratégique (SLBM), le Pukguksong-3. Un tel armement pourrait être utilisé à une grande distance de la Péninsule coréenne, offrant ainsi à Pyongyang la possibilité de répliquer en cas de destruction de ses capacités de lancement sur son propre sol en cas d’agression, autrement dit d’avoir une capacité de seconde frappe.
Derrière la communication, la réalité
La Corée du Nord a tout de même tendance à faire des déclarations qui sont parfois exagérées lorsque l’on considère ses capacités militaires. Sans minimiser son caractère dangereux et bien réel, ce nouveau sous-marin nucléaire tactique d’attaque n’est en réalité pas nouveau et encore moins un sous-marin nucléaire à proprement parler. Le Hero Kim Gun-ok, nom officiel du sous-marin pour rendre hommage à un personnage historique de l’histoire nord-coréenne, porte le numéro de coque 841. L’analyse des photographies publiées par l’agence officielle nord-coréenne KCNA semble indiquer que le sous-marin en question est en réalité un ancien sous-marin de classe Romeo, également connu sous la nomenclature chinoise de Type-033, qui a été modifié pour être capable de transporter des missiles mer-sol. Ces sous-marins diesel-électriques océaniques ont commencé à être mis en service à partir de 1957. Ils avaient pour objectif de remplacer les sous-marins de classe Zulu, qui avaient été conçus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les sous-marins de classe Zulu étaient exploités sur les 4 sous-marins de Type XXI allemands capturés par les forces soviétiques. Ce n’est donc ni un sous-marin d’attaque (SNA), ni un sous-marin nucléaire lanceur d’engin (SNLE), mais plutôt un sous-marin classique lanceur d’engins. Affichant un déplacement de 1830 tonnes en mode immersion, une longueur de 76,6 mètres et un diamètre de 6,7 mètres, le sous-marin Romeo a été intégré dans la marine soviétique au cours des années 1950. Cependant, son obsolescence s’est rapidement manifestée à mesure que les sous-marins à propulsion nucléaire ont fait leur apparition. Par ailleurs, en raison de son incapacité à emporter des missiles, il était notoirement réputé pour générer un niveau de bruit particulièrement élevé.
Au mois de juillet 2019, l’agence centrale de presse coréenne, KCNA, nous a gratifiés d’une série de clichés. Ces photographies nous dévoilent Kim Jong-Un, le dirigeant suprême, en pleine visite d’inspection au chantier naval de Sinpo, situé dans la province du Sud Hamgyong. Dans cette ville portuaire trônait un sous-marin baptisé le Sinpo-C, fier représentant de la puissance navale de la Corée du Nord. Cependant, il semblerait que la description de Kim Jong-Un en tant que « nouvellement construit » soit légèrement exagérée, car une analyse plus approfondie révèle que ce sous-marin n’est autre qu’une version améliorée du Romeo. Il y a donc de fortes présomptions que c’est précisément ce sous-marin qui vient tout récemment d’être mis à l’eau. Les images divulguées ne laissent aucun doute quant aux modifications apportées au navire. En effet, on peut clairement distinguer une saillie à l’arrière du kiosque, abritant pas moins de dix portes de lancement vertical de missiles, avec quatre grandes et six petites. À noter également que les hélices ont été floutées : cela se fait constamment lors du dévoilement de sous-marins modernes, en particulier des sous-marins nucléaires, où la forme des hélices peut révéler des informations cruciales. Cependant, dans ce cas précis, le fait de brouiller la poupe et les hélices semble avoir pour seul objectif de maintenir le mystère et potentiellement de cacher les origines obsolètes de ce submersible.
Un pas en avant dans la prolifération d’armes nucléaires
Plusieurs analystes ont émis des doutes sur la capacité nord-coréenne à le faire fonctionner et sur ses performances nautiques et acoustiques. Tout d’abord, un capitaine de la marine américaine désormais à la retraite, Carl Schuster, a expliqué à CNN le fond de sa pensée : « le nouveau sous-marin ne serait probablement pas pleinement opérationnel avant deux ans. L’installation et le test des machines et des composants internes du sous-marin prendraient environ 18 mois, puis il y aurait jusqu’à six mois d’essais en mer et d’entraînement ». Un ancien sous-marinier et officier de l’armée américaine, Tom Shugart, corrobore ces propos en expliquant : « Le bruit facilite sa localisation et, de plus, comme le sous-marin est propulsé de manière conventionnelle plutôt que nucléaire, il devra refaire surface après quelques jours pour se recharger, après quoi il pourra facilement être détecté. Pour des raisons de sécurité, il devra rester près des côtes nord-coréennes, où la Corée du Sud et le Japon, ainsi que les États-Unis, pourront le surveiller ». Il n’en demeure pas moins que cette annonce va venir accroître la complexité de la menace nucléaire dans la région et pour le monde entier. Ce que fait la Corée du Nord n’est en quelque sorte qu’une étape dans la modernisation et la montée en puissance de l’armée nord-coréenne. Il faut aussi se souvenir de ce que faisait la France dans les années 1960 lors de la construction du Gymnote, sous-marin lance-missiles expérimental de la marine française. Cela va permettre à la Corée du Nord de tester les lancements de missiles, d’en apprendre davantage et surtout de pouvoir se projeter dans la péninsule coréenne au large des côtes du pays. À terme, Pyongyang voudra sans doute entreprendre des travaux pour obtenir un sous-marin à propulsion nucléaire en utilisant comme point de départ un sous-marin de type Golf d’origine soviétique. Son programme militaire ne risque pas de s’arrêter, car la Corée du Nord exprime régulièrement son mécontentement face à l’augmentation des exercices militaires conjoints entre les États-Unis et la Corée du Sud, qui se sont déployés au-dessus de la péninsule. En août 2023, lors d’une réunion au sommet qui s’est tenue à Camp David, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud ont conclu un accord visant à renforcer leur coopération dans les domaines militaire, diplomatique et économique. Ces trois nations ont également déclaré leur intention de mettre en place un programme d’exercices militaires conjoints s’étendant sur plusieurs années.
Un voyage qui sonne comme une mauvaise nouvelle pour la paix
Ces craintes sont venues s’intensifier avec le voyage de Kim Jong-Un en Russie pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays. Le dirigeant nord-coréen est arrivé le 12 septembre sur le sol russe pour visiter plusieurs complexes militaro-industriels et pour rencontrer son homologue russe au cosmodrome de Vostochny. Kim Jong-Un porte un intérêt certain pour la technologie des fusées : souvenons-nous des deux récentes tentatives de la Corée du Nord de placer en orbite un satellite miliaire espion. Vladimir Poutine a laissé entendre que son pays pourrait aider la Corée du Nord à construire ses satellites. Les voyages à l’étranger du leader nord-coréen sont extrêmement rares pour être soulignés : on en compte moins de dix depuis le début de son mandat, en 2011. Il s’agissait de sa première sortie depuis l’année 2019, toujours en Russie. Durant son voyage, il a entre autres visité les usines aéronautiques à Komsomolsk-sur-l’Amour dans le but de voir la manière dont étaient assemblés les avions Su-35 et Su-57, l’aérodrome de Knevitchi, à Vladivostok, afin d’examiner des bombardiers, ou encore a pu inspecter la flotte du Pacifique de la marine russe.
La Corée du Sud, les Etats-Unis et les alliés craignent que ce rapprochement puisse se conclure vers un accès à des technologies russes sensibles. En contrepartie, la Corée du Nord pourrait accélérer la livraison de munitions de calibre 122mm destinées aux lance-roquettes multiples BM-21 Grad et obus de 152mm pour aider la Russie dans sa guerre en Ukraine. En fin de compte, le niveau de sécurité du monde pourrait diminuer après ce sommet, car cela va indubitablement prolonger le conflit et pourrait permettre à la Pyongyang d’améliorer ses vecteurs stratégiques et ainsi relancer encore un peu plus la prolifération.
Par la voix de son porte-parole, Dmitri Peskov, la présidence russe a tenu à préciser aux journalistes qu’aucun accord n’avait été signé lors de cette réunion, et qu’il n’était pas prévu d’en signer un. Cela pourrait constituer une violation de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre des sanctions à l’égard de la Corée du Nord sur son programme nucléaire et de ses missiles en développement, qui ont été adoptées aussi par la Russie.
Il paraît assez improbable que la Russie accorde une assistance directe au programme nucléaire militaire nord-coréen, car ce serait une violation flagrante du Traité de non-prolifération et pourrait se retourner contre les intérêts de Moscou. Toutefois, l’achat opportuniste de munitions nord-coréennes et une éventuelle coopération spatiale contribueraient, à n’en pas douter, à financer les objectifs de prolifération de Pyongyang. Dans un contexte régional volatile, toute dérive ou incident incontrôlé risquerait de déclencher une dangereuse escalade.
Article de Léo Rebouillat