Il aura fallu une crise sanitaire mondiale – la pandémie de Covid-19 – pour que l’Union Européenne rende INSTEX enfin fonctionnel. Créé en janvier 2019 pour contourner les sanctions américaines imposées à l’Iran, ce mécanisme de troc n’avait encore jamais été activé. Dans le contexte de la crise du coronavirus et du désengagement de l’Iran de l’accord de Vienne sur son programme nucléaire, cette première transaction est hautement symbolique et vise à maintenir Téhéran à la table des négociations.
“La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni confirment qu’INSTEX a mené avec succès sa première transaction et permis ainsi l’exportation de matériel médical d’Europe vers l’Iran”, a annoncé mardi 31 mars le ministère allemand des Affaires étrangères dans un communiqué. “INSTEX va travailler sur d’autres transactions” avec l’Iran et “continuer de développer ce mécanisme”, ont ajouté les diplomaties européennes. Selon les informations du Monde, cette première transaction d’INSTEX (Instrument to Support Trade Exchanges) aurait permis l’exportation en Iran de tests sanguins allemands, pour un montant d’un demi-million d’euros. Ce premier échange, hautement symbolique, intervient après quatorze mois laborieux de mise en place.
Une bourse d’échange européenne
Créé en janvier 2019, INSTEX visait à donner la possibilité aux entreprises étrangères de continuer à commercer avec l’Iran sans subir les répercussions des sanctions extraterritoriales américaines. A la suite du retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018, les Iraniens ont accepté de rester dans l’accord tant que leurs intérêts nationaux et économiques seraient garantis. Les signataires encore parties au JCPOA – l’Iran, l’Union Européenne, la Chine et la Russie – s’étaient alors entendus sur la création d’un mécanisme complexe de troc afin de poursuivre les échanges commerciaux avec l’Iran.
Ce mécanisme fonctionne comme une bourse d’échange européenne, sur le modèle d’une chambre de compensation. L’Iran exporte ainsi un produit – du pétrole par exemple – vers un pays européen donné qui, au lieu de recevoir un paiement direct, crée un avoir en euros pour Téhéran au sein d’INSTEX. Grâce à cet avoir, l’Iran peut alors acheter des produits fabriqués en Europe. En parallèle, Téhéran crée une institution similaire, nommée STFI, pour effectuer les mêmes opérations en Iran et ainsi équilibrer les paiements et recouvrements des deux côtés. Autrement dit, les entreprises exportant vers l’Iran seront créditées via INSTEX, en évitant des échanges directs en dollars.
Immobilisme et désengagement iranien
Cette solution, politiquement symbolique, a pourtant tardé à se concrétiser. INSTEX se limite au commerce de médicaments, de produits alimentaires et de fournitures humanitaires entre quelques pays européens et l’Iran. Or, si ces fournitures médicales échappent normalement aux sanctions, la réalité est plus complexe. L’extraterritorialité des sanctions américaines a incité les sociétés présentes outre-Atlantique à quitter l’Iran et les autres à réduire leurs activités de manière draconienne. Même les biens non sanctionnés, tels que la nourriture et les médicaments, n’atteignent pas l’Iran en quantités suffisantes.
Les banques internationales empêchent toute transaction bancaire avec Téhéran plutôt que de s’exposer à des représailles aux États-Unis. Ainsi, si la Chine, l’Europe et la Russie ont maintenu leurs engagements quant au JCPOA – un accord visant à garantir l’usage pacifique de son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions et de l’isolement international de l’Iran –, ils se sont montrés incapables de respecter leur promesse d’avantages économiques pour l’Iran.
Téhéran reproche notamment aux Européens de ne pas assez compenser le manque à gagner induit par les sanctions américaines. Face à l’intransigeance des Américains et faute de contreparties européennes, l’Iran a décidé, depuis l’été 2019, de renoncer progressivement à ses engagements nucléaires. En réponse aux violations – avérées mais contrôlées – de l’Iran, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont déclenché, à la mi-janvier, le mécanisme de règlement des différends (MRD), conformément aux dispositions du paragraphe 36 du JCPOA. La procédure vise à contraindre Téhéran à revenir au respect de ses engagements sur le nucléaire. Les Européens espèrent ainsi faire pression sur Téhéran, pour sauver l’accord de 2015.
Un espoir pour l’Iran
Cette première transaction – prévue depuis novembre 2019 –, bien que modeste, représente un motif d’espoir pour une économie iranienne étranglée par les sanctions américaines et la pandémie de Covid-19. Pour les observateurs opposés à la politique de pression maximale des États-Unis dans le dossier iranien, cette réussite est d’abord une preuve de confiance donnée aux entreprises ayant exprimé leur intérêt à travailler avec INSTEX.
C’est ensuite un succès pour la diplomatie européenne qui démontre sa capacité à s’affranchir des choix de Washington. Alors que les “faucons” de Washington souhaitaient utiliser la crise du coronavirus pour exercer une pression supplémentaire sur le régime iranien, les Européens exposent leur volonté de multilatéralisme et de dialogue avec Téhéran. C’est en ce sens que l’Union Européenne a également annoncé une aide humanitaire de 20 millions d’euros pour l’Iran. Elle a de plus apporté son soutien à la demande de prêt de 5 milliards de dollars de Téhéran auprès du FMI. Paris, Berlin et Londres avaient en outre déjà acheminé de l’aide médicale en Iran début mars. Plusieurs voix se sont enfin élevées en faveur d’une levée provisoire des sanctions en raison de la crise sanitaire du Covid-19. Selon des propos recueillis par Le Monde, pour Bruxelles, “un INSTEX fonctionnel est particulièrement utile dans le contexte actuel”.
Ramener l’Iran à la table des discussions
Ce premier échange via INSTEX est, enfin et surtout, un engagement moral des Européens envers l’Iran. Devenu un élément de discorde entre Bruxelles et Washington, l’intérêt d’INSTEX réside principalement dans sa capacité à maintenir l’Iran à la table des discussions nucléaires. Le mécanisme est avant tout un outil politique, utilisé comme preuve de bonne volonté de la part des Européens. Et l’Iran n’est pas dupe : si le Président Hassan Rohani a salué une action “positive”, il l’a toutefois jugée insuffisante. Le porte-parole des Affaires étrangères iranien, Abbas Moussavi, a ajouté en ce sens : “Nous prenons le lancement d’INSTEX comme un bon présage”. Cependant, “ce que la République islamique d’Iran attend [que leurs Européens] remplissent le reste de leurs engagements dans divers domaines [tels que] la banque, l’énergie, les assurances”.
En effet, d’un point de vue économique, il est peu probable qu’INSTEX puisse devenir un instrument suffisant pour répondre aux besoins commerciaux de l’Iran. Certes, son champ d’action s’est élargi à six nouveaux pays fin 2019 – les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, le Danemark et la Belgique. Cependant, l’Union Européenne s’est engagée moralement auprès des États-Unis à ne pas échanger de produits soumis à sanctions avec l’Iran. Cela exclut notamment la première source de revenus de Téhéran, les exportations de pétrole. Or, les autres échanges ne suffisent pas à compenser les pertes de la République islamique dans ce domaine.
Ainsi, l’Iran manque de matières premières à exporter vers l’Europe pour compenser les ventes européennes de produits agroalimentaires et pharmaceutiques. Cela a pour effet de creuser d’autant plus le déséquilibre commercial entre les deux espaces économiques. Et ce n’est pas le récent renforcement des sanctions américaines envers les exportations pétrolières iraniennes qui incitera les institutions financières européennes, réticentes, à s’associer à INSTEX.
Une solution à court terme mais essentielle pour l’Iran ?
En l’état, INSTEX n’est donc pas une solution viable à long terme. Pour la Russie, qui a appelé à poursuivre le développement d’INSTEX, la clé de l’efficacité du mécanisme de troc résiderait principalement en la volonté et la capacité de l’Union Européenne de faire d’INSTEX un modèle de “l’infrastructure mondiale anti-sanction”, selon les mots de la représentante du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova. Elle évoque ainsi la nécessité pour INSTEX d’inclure des marchandises sanctionnées par les États-Unis, mais aussi son élargissement hors UE. Si la seconde option paraît envisageable à moyen terme, la première semble irréaliste alors que les États-Unis menacent de sanctions toute personne ou société – iranienne ou non – utilisant INSTEX.
INSTEX pourrait cependant jouer un rôle essentiel dans la lutte internationale contre le Covid-19, en facilitant l’acheminement de matériel médical en Iran. Contrainte au déconfinement pour sauver son économie, la République islamique dénombre officiellement 5 710 morts et plus de 90 000 contaminés. Son système de santé vacillant manque cruellement de respirateurs artificiels ou de matériels de protection dont certains composants tombent sous le coup des sanctions américaines. Dans un contexte plaidant pour l’assouplissement des sanctions, INSTEX doit saisir l’opportunité de jouer un rôle humanitaire pour juguler la crise sanitaire.
Une réponse
Tant que nos « amis » américains garderont leur pouvoir d’embargo contre toute initiative concrète de gouvernement, entreprise, projet, financement avec l’Iran, il est vain d’espérer de « travailler » et d’aboutir avec Téhéran. Les initiatives « européennes » ont toutes été des « couteaux » sans lame.
Que le projet North Stream nous serve de leçon, lui qui voit un affrontement direct style Eurasie vs usa. Total a du revendre a la Chine ses projets iraniens. Et n’accusons pas Trump! Il n’est que le diable de confort masquant les lobbies US. Ces derniers seront de plus en plus exigeants en raison de l’effondrement industriel, social et pétrolier US, because coronavirus+petrole de schiste. Et on n’a encore rien vu! D’autant que l’Iran et la Chine ne sont plus les seuls grands Satans en Eurasie: quid de l’Inde, de la neo-Russie et des perfides Japon, Germanie et autres « alliés » hébergeant, sans grand amour, des bases US? De plus, nos amis anglais et allemands se voient de moins en moins d’intérêts communs avec nous. Cessons de rêver aux amitiés européennes! C’était mieux avant!