Dans l’esprit de tous, la modernisation des armes nucléaires et de leurs systèmes est synonyme de sécurité et de sûreté. C’est pourtant loin d’être le cas. Les armes nucléaires, symbole de sécurité nationale et de stabilité internationale pour certains, ne sont plus sûres. La menace cyber fait peser des risques importants sur le principe même de dissuasion nucléaire et brouille les relations internationales.
Les menaces cybernétiques sont devenues une composante importante des conflits et des crises, modifiant leur dynamique. Les cyber-capacités offensives pourraient surtout rendre inopérant l’ordre nucléaire en cas de crise. Elles augmentent le risque de perception erronée, d’incompréhension et d’erreurs.
Dans le cas de l’intelligence artificielle comme des cyberattaques, la seule existence de tels moyens d’attaque pourrait saper la confiance entretenue envers les systèmes d’armes nucléaires et remettre en question la capacité nucléaire de seconde frappe. Craignant de ne plus avoir la possibilité de mener des représailles, les États pourraient alors se sentir si vulnérables qu’ils mèneraient des actions préemptives.
A l’heure où les esprits sont tournés vers les effets désastreux du réchauffement climatique et alors qu’il nous faut redouter de terribles pandémies, la prise en compte du risque que font peser les cybermenaces sur les systèmes d’armes nucléaires, dont la puissance destructrice dépasse l’entendement, est essentielle. Cette menace est d’autant plus maîtrisable qu’elle est entièrement et directement de notre fait.
En cela, IDN s’associe par la voix de Paul Quilès à l’appel de 41 personnalités internationales de la communauté euro-atlantique (EASLG) pour un dialogue intergouvernemental sur les cybermenaces liées au nucléaire militaire. Cet appel suggère notamment que les États dotés de l’arme nucléaire et la communauté internationale, à défaut d’accepter l’abandon de cette arme, élaborent des « règles de conduite » claires dans le cybermonde nucléaire et qu’ils explorent les mécanismes permettant de développer et de mettre en œuvre des mesures réduisant ces risques.
Cette déclaration pourrait aussi contribuer à engager en France le débat sur l’arme nucléaire et sur les dangers qu’elle fait peser sur la survie de l’humanité.
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Déclaration du EASLG
(Groupe de direction pour la sécurité euro-atlantique)
Depuis trois ans, Des Browne, Wolfgang Ischinger, Igor Ivanov, Sam Nunn et leurs organisations respectives[1] travaillent avec des personnalités et des experts d’un groupe d’États euro-atlantiques et de l’Union européenne pour élaborer des propositions visant à améliorer la sécurité dans des domaines fondamentaux d’intérêt commun.
Ils ont créé le Groupe de direction pour la sécurité euro-atlantique (EASLG), qui fonctionne comme une initiative indépendante et informelle, avec des participants reflétant la diversité de la région euro-atlantique, des États-Unis, du Canada, de la Russie et de quinze pays européens.
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Nous sommes passés à une nouvelle ère nucléaire dans laquelle les cybermenaces modifient les risques nucléaires. Elles rendent plus probable le risque d’erreurs et d’accidents humains, d’erreurs de calcul ou de maladresses. Ces risques sont aggravés par la possibilité de cyberattaques de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques se traduisant par le vol de matières nucléaires, par le sabotage d’une installation nucléaire, par une fausse alerte signalant une attaque de missile ou encore par l’intrusion dans les systèmes de commandement et de contrôle nucléaires.
Les conséquences d’une cyberattaque pourraient être catastrophiques, en conduisant à une catastrophe de type Fukushima ou à l’utilisation d’une arme nucléaire, ce qui pourrait avoir un impact sur tous les pays de l’espace euro-atlantique.
La réduction et la gestion des risques cybernétiques sont d’un intérêt commun essentiel pour toutes les nations de la région euro-atlantique. Les gouvernements ont la responsabilité de travailler ensemble pour atténuer ces risques.
Les pays de la région devraient engager des discussions pour parvenir au moins à une appréciation commune des cyberdangers concernant les installations nucléaires, les systèmes d’alerte stratégique et le système de commandement et de contrôle nucléaire. Ces dangers devraient être examinés de toute urgence, afin de prévenir les conséquences potentiellement catastrophiques d’une cyberattaque contre une installation nucléaire ou d’une guerre déclenchée par erreur.
En priorité, les pays pourraient travailler à l’élaboration de « règles de conduite » claires dans le cybermonde nucléaire et explorer les mécanismes permettant de développer et de mettre en œuvre des mesures réduisant ces risques.
Les nations de la région euro-atlantique sont aujourd’hui confrontées à toute une série de problèmes importants. Mais aucune d’entre elles ne devrait se détourner de la nécessité de prendre dès maintenant des mesures pratiques et urgentes pour réduire ces dangers réels et potentiellement catastrophiques.
[1] – European Leadership Network (ELN), Conférence de Munich sur la sécurité (MSC), Conseil russe des affaires internationales (RIAC), Nuclear Threat Initiative (NTI)
Retrouver la déclaration en PDF et voir la liste des 41 signataires