Les périodes de turbulences sont souvent marquées par des transformations profondes au sein des sociétés et des nations. Comme l’a souligné Franklin D. Roosevelt, « Dans chaque pays, il y a toujours un élément qui veut aller plus vite que le reste du pays. Et ce sont ces éléments qui sont appelés à former de nouvelles alliances et de nouveaux équilibres. » En d’autres termes, ces avant-gardes, poussées par une volonté de changement rapide, deviennent les catalyseurs de nouvelles dynamiques sociales et politiques.
De manière similaire, il est observé que « En période de turbulences, des alliances se forment et se renforcent, et des dynamiques de pouvoir inattendues apparaissent souvent. » Les crises et les périodes d’instabilité ne se contentent pas de perturber l’ordre établi, elles ouvrent également des opportunités pour la création de nouvelles alliances et l’émergence de configurations de pouvoir imprévues. Ainsi, les éléments les plus dynamiques de la société, en cherchant à s’adapter ou à tirer parti des turbulences, contribuent à redessiner le paysage politique et social, souvent de manière inattendue et significative.
En juillet 2024, les exercices militaires conjoints entre la Chine et la Biélorussie marquent un tournant stratégique. Bien qu’ils n’aient pas fait énormément de bruit, il s’agit d’une information de grande envergure. Ils symbolisent en effet le renforcement de l’alliance entre la Chine et la Biélorussie dans un contexte de tensions croissantes avec l’OTAN.
Il convient donc d’explorer la manière dont ces exercices militaires affectent la perception de la menace chinoise au sein de l’OTAN et à l’Est, d’examiner ainsi les implications pour la sécurité régionale de l’Europe, de par la projection de puissance de la Chine et la réponse de la Russie aux pressions occidentales, puis de considérer la perception de la menace chinoise au sein de l’OTAN ainsi que le rôle stratégique de la Biélorussie dans cette dynamique.
Enfin, seront analysées les implications de cette alliance pour la sécurité européenne et des réponses occidentales possibles.
1. Le renforcement des alliances sino-russes aux portes de l’OTAN
Projection de puissance et réponse aux pressions occidentales
Les exercices militaires en Biélorussie démontrent clairement la capacité de la Chine à étendre sa puissance au-delà de ses frontières.Cet effort envoie un message fort aux adversaires et aux alliés. Cela témoigne d’une expansion de l’influence militaire de la Chine en dehors de la région Asie-Pacifique et indique que la Chine est prête à affirmer son rôle sur la scène mondiale. En effet, l’exercice « ZAPAD » mené conjointement par la Russie et la Biélorussie a impliqué non seulement l’armée biélorusse mais aussi l’armée chinoise, marquant une étape importante dans la coopération militaire sino-russe compte tenu de la proximité entre Minsk et Moscou.
Ces exercices visaient à tester la capacité à répondre aux menaces perçues et ainsi à renforcer la présence militaire dans les zones stratégiques. Pour la Russie, ces opérations offrent l’occasion de démontrer que son alliance ne se limite pas aux zones de l’ex-Union soviétique.Ces exercices mettent l’accent sur la profondeur de la coopération militaire avec la Chine et renforcent l’image de la Chine en tant que grande puissance capable de coopérer efficacement avec d’autres pays. De plus, ces exercices constituent une réponse directe aux sanctions et aux pressions appliquées par l’OTAN et les pays occidentaux.En menant des opérations conjointes si près des frontières de l’OTAN, la Chine et la Russie réaffirment leur détermination à résister à l’influence occidentale. Ce faisant, elles envoient un message clair : elles sont prêtes à protéger leurs intérêts et à contrer toute tentative de domination militaire ou économique des pays de l’OTAN.
Perception de la menace chinoise au sein de l’OTAN
La présence militaire chinoise en Europe a accru les tensions dans la région. Les exercices militaires près des frontières de l’OTAN renforcent la perception selon laquelle la Chine constitue une menace croissante; ils sont en effet considérés comme des actions intentionnelles visant à afficher la puissance militaire de la Chine sur le continent européen.
Selon le rapport de l’OTAN, ces opérations renforcent la perception d’une menace croissante de la part de la Chine, notamment à la lumière des tensions géopolitiques actuelles.
L’OTAN, qui s’est historiquement concentrée sur la Russie comme principal adversaire, doit désormais intégrer la puissance militaire croissante de la Chine dans sa stratégie de défense.Un rapport du groupe de réflexion RAND Corporation souligne cette nécessité, suggérant que l’OTAN doit désormais évaluer la puissance militaire croissante de la Chine dans sa réflexion stratégique. La nécessité de surveiller et de répondre aux activités militaires chinoises en Europe de l’Est pourrait détourner l’attention et les ressources de l’OTAN d’autres zones d’opérations, comme le Moyen-Orient et l’Asie-Pacifique.
Par ailleurs, la coopération entre la Chine et la Russie est souvent considérée comme une tentative d’équilibrer l’alliance occidentale.Cela pourrait inciter l’OTAN à réévaluer ses alliances et partenariats stratégiques pour refléter cette nouvelle dynamique.Alors que la Chine et la Russie élargissent leurs alliances militaires pour accroître leur influence et briser l’unité occidentale, l’OTAN est obligée d’allouer des ressources et de repenser ses priorités stratégiques.
2. La Biélorussie : entre deux puissances
La Biélorussie se trouve à un carrefour stratégique et joue un rôle important dans cette dynamique géopolitique. Minsk cherche à diversifier ses partenariats et à accroître son importance en combinant son alliance historique avec la Russie avec une nouvelle coopération militaire avec la Chine. La coopération avec la Chine libérera potentiellement la Biélorussie de sa dépendance totale à l’égard de Moscou.
Pour le gouvernement chinois, la Biélorussie représente une opportunité d’étendre son influence en Europe et de contrer l’OTAN. L’alliance avec la Chine permet ainsi à Minsk d’afficher un soutien fort en dehors de la sphère d’influence russe. Toutefois, cette situation délicate comporte des risques. La Russie pourrait percevoir négativement la proximité de la Biélorussie avec la Chine, surtout si elle remet en question l’influence de Moscou sur Minsk.
De plus, face à cette double menace, l’Union européenne (UE) et l’OTAN devraient renforcer leurs sanctions et accroître la pression sur la Biélorussie. Les allers-retours entre deux grandes puissances comportent des risques. Un faux pas pourrait laisser la Biélorussie isolée ou entraînée dans un conflit avec l’une ou les deux parties.
3. Les manœuvres chinoises en Europe : une stratégie de dissuasion globale
Les exercices militaires en Biélorussie font partie de la stratégie globale de la Chine visant à étendre son influence militaire au-delà de l’Asie. En opérant si près des frontières de l’OTAN, la Chine vise à empêcher l’ingérence occidentale dans les affaires régionales, notamment en ce qui concerne Taiwan et la mer de Chine méridionale. Ces exercices offrent à Pékin l’occasion de tester et d’observer les réponses de l’OTAN et de l’Europe, affinant ainsi sa propre stratégie militaire.
La situation de la Chine à proximité des frontières de l’OTAN incite l’alliance à réévaluer ses priorités et à allouer des ressources. Cela pourrait réduire la concentration de l’OTAN sur la région Asie-Pacifique et réduire la pression sur la Chine dans la région. En menant des exercices à l’étranger, la Chine crée un précédent pour de futures opérations militaires et normalise sa présence militaire bien au-delà de ses frontières.
Réponses diplomatiques et stratégiques
L’UE pourrait accroître les sanctions économiques et politiques contre la Biélorussie afin d’isoler le gouvernement de Loukachenko et d’affaiblir sa capacité de puissance. L’OTAN pourrait accroître son soutien militaire et économique aux voisins de la Biélorussie, notamment la Pologne, la Lettonie et la Lituanie, pour les protéger des menaces potentielles.
L’UE pourrait également chercher à établir des canaux de dialogue avec la Biélorussie pour réduire les tensions et amener Minsk à se distancer de l’influence chinoise et russe par le biais d’incitations économiques ou politiques. De plus, l’OTAN pourrait stationner davantage de troupes et d’équipements militaires dans les pays de l’Est pour dissuader les hostilités de la Biélorussie, de la Russie et de la Chine.
L’organisation régulière d’exercices militaires à grande échelle dans la région démontrerait la capacité de l’OTAN à protéger ses membres et à dissuader toute agression. L’amélioration de la coopération technique et du partage d’informations entre les membres de l’OTAN est également importante pour surveiller de près les activités militaires de la Biélorussie et de ses alliés.
Symbolisme et « timing » : une déclaration géopolitique
Les exercices militaires en Biélorussie chevauchent stratégiquement le sommet de l’OTAN et la guerre en Ukraine. Cette synchronisation démontrerait l’unité entre la Chine et la Russie, tout en envoyant un message fort de résistance aux politiques occidentales. Les pays européens, notamment les États baltes et la Pologne, frontaliers de la Biélorussie, perçoivent cette coopération comme une menace directe pour leur sécurité. En réponse, les gouvernements européens intensifient les négociations sur la sécurité et cherchent à renforcer la cohésion au sein de l’OTAN. Les médias et les décideurs politiques utilisent ces exercices pour sensibiliser le public à la nécessité de renforcer les défenses contre les menaces extérieures.
L’OTAN pourrait envisager d’augmenter le nombre de troupes et de moyens militaires dans les pays du bloc de l’Est pour dissuader toute agression. L’Alliance devrait également organiser davantage d’exercices militaires dans la région pour démontrer sa détermination à protéger ses membres. Prévenir les menaces futures pourrait nécessiter une réévaluation des stratégies de défense en fonction des relations de puissance entre la Chine et la Russie.
Renforcement de l’autonomie stratégique
La situation actuelle pourrait inciter l’UE à renforcer ses capacités d’autodéfense, notamment par la création de forces de réaction rapide. Les États membres pourraient être encouragés à augmenter leurs dépenses militaires et à investir dans de nouvelles technologies de défense. Les menaces perçues pourraient également renforcer la solidarité nationale et susciter un débat sur la défense commune de l’Europe. Il est important de développer une stratégie de communication pour coordonner la réponse européenne aux menaces chinoises et russes.
En résumé, les exercices militaires conjoints sino-biélorusses en 2024 marqueront le renforcement de l’alliance sino-russe et poseront de nouveaux défis à l’OTAN et à la sécurité régionale de l’Europe. Pour faire face à cette nouvelle dynamique géopolitique, les réponses occidentales doivent être stratégiques et coordonnées.
La dimension nucléaire de la coopération militaire
La dimension nucléaire de l’alliance russo-chinoise constitue une menace sérieuse pour la sécurité internationale, et ces deux superpuissances dotées d’importants arsenaux nucléaires cherchent à accroître leur coopération militaire, notamment en effectuant des exercices près des frontières de l’OTAN.
Une telle proximité sert non seulement de démonstration de force, mais signale également une intention stratégique de coordonner la dissuasion nucléaire. La Biélorussie, en tant qu’alliée proche de Moscou, pourrait servir de base aux armes nucléaires russes, augmentant ainsi les tensions régionales. Cette perspective inquiète profondément les pays européens car elle modifie l’équilibre des pouvoirs et accroît la perception de la menace d’une escalade nucléaire.
En parallèle, les États-Unis ont décidé de déployer des missiles à longue portée en Allemagne. Cette décision, bien que controversée, est vue comme une mesure de contre-dissuasion face à l’expansion militaire russo- chinoise. L’intégration de ces missiles en Europe souligne la détermination des États-Unis à soutenir leurs alliés de l’OTAN et à renforcer la défense du continent contre les menaces potentielles. Ce déploiement vise également à rassurer les pays européens quant à l’engagement américain en matière de sécurité collective, tout en envoyant un message fort aux puissances adverses.
Les exercices militaires conjoints entre la Russie et la Chine enverront un message puissant à l’Occident en intégrant cette dimension nucléaire. Autrement dit, les pays occidentaux doivent être prêts à affronter la réalité selon laquelle les capacités nucléaires de ces alliances peuvent être utilisées comme levier stratégique. Ces évolutions non seulement augmentent le risque de conflit, mais facilitent également une réponse dynamique au sein de l’OTAN qui pourrait réévaluer les priorités stratégiques et renforcer les capacités de défense à l’Est.
En bref, la combinaison d’une coopération militaire accrue et de menaces nucléaires représente un facteur déstabilisateur important avec des conséquences potentiellement dramatiques pour la sécurité régionale et mondiale aggravées par cette course effrénée aux armements.
Sources :
« Aux portes de l’OTAN, un exercice militaire lourd de sens entre la Chine et la Biélorussie », Le Monde, 10 juillet 2024
Institut International d’Études Stratégiques (IISS), The Military Balance 2024, livre qui analyse les capacités militaires globales et les alliances stratégiques en cours ;
Centre d’Analyse des Stratégies et Technologies (CAST), « Ce que nous dit l’exercice militaire russe Zapad », Revue Défense Nationale 2017/10 (N° 805) ;
« China’s Defense Minister Promises to Boost Cooperation with Russian Ally », Military.com ;
RAND Corporation, « NATO Summit in Washington: RAND Experts Weigh In », 8 juillet 2024
Olga Alexeeva, Frédèric Lasserre – « L’évolution des relations sino-russes vue de Moscou Les limites du rapprochement stratégique », Institut des Relations Internationales de Moscou, 2018-3
Article de Tinah Rakotoarimanga, stagiaire chez IDN France
