Réveil de la Conférence du désarmement ?

LA CONFÉRENCE DU DÉSARMEMENT SE MET AU TRAVAIL :
LE RÉVEIL DE LA « BELLE AU BOIS DORMANT »

La Conférence du désarmement (CD) de Genève vient de décider de se mettre au travail après s’être montrée incapable d’adopter son programme de travail pendant plus de vingt ans. Peut-on mettre cette évolution au crédit de la pression créée par le Traité d’interdiction des armes nucléaires et l’attribution du Prix Nobel à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) ? Cette décision de procédure laisse-t-elle présager un assouplissement de la position de fond de certains pays, y compris les puissances nucléaires ? Existe-t-il des chances que la CD s’attelle à de sérieuses négociations sur son ordre du jour ? Les espoirs de la communauté du désarmement à Genève ne semblent pas démesurés.

 Par Marc Finaud[1]

Le 16 février 2018, après d’intenses consultations, le Président en exercice de la Conférence du désarmement de Genève (CD), l’Ambassadeur Ravinatha Aryasinha du Sri Lanka, a entériné d’un coup de maillet la décision par consensus de la Conférence d’amorcer son travail de fond. A juste titre, une telle décision n’a pas fait la une des médias du monde, mais certains, au sein du microcosme genevois, y voient une mini-révolution.

Créée en 1979, la CD  bien négocié plusieurs traités importants, dont le dernier en date, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, remonte à 1996. Depuis lors, les 65 Etats Membres de la Conférence n’ont adopté par consensus un programme de travail officiel qu’en 1998 et 2009. Ces tentatives ont fait long feu et cédé la place à des désaccords persistants quant aux nouveaux traités à négocier en priorité. Conséquence logique: la CD s’en est souvent trouvée affublée du titre de « Belle au Bois dormant » de Genève.

Traditionnellement, les pays non-alignés exigeaient des négociations prioritaires sur le désarmement nucléaire, sur la garantie de non-emploi de l’arme nucléaire contre les pays non nucléaires ou sur la prévention d’une course aux armements dans l‘espace (avec le soutien de la Russie et de la Chine). Mais ces sujets n’étaient pas considérés comme mûrs pour la négociation de traités par les pays occidentaux, lesquels accordaient la priorité à l’interdiction de la production future de matières fissiles destinées aux armes nucléaires. Un tel traité se heurtait à l’opposition de pays tels que le Pakistan, qui entendaient inclure des contraintes sur la production passée ou les stocks existants.

Un compromis pour se mettre au travail

Le compromis rendu possible par le talent diplomatique du Président en exercice ouvre la voie à la création de quatre organes subsidiaires chargés d’explorer des terrains d’entente sur les quatre « sujets fondamentaux » de l’ordre du jour (adopté chaque année par l’Assemblée générale de l’ONU) : la cessation de la course aux armements nucléaires et le désarmement nucléaire ; la prévention de la guerre nucléaire ; la prévention de la course aux armements dans l’espace ; les garanties de non-emploi des armes nucléaires contre les pays non nucléaires. Enfin, un cinquième comité traitera des questions jugées moins prioritaires (nouveaux types d’armes de destruction massive ; programme global de désarmement ; transparence dans le domaine des armements).

Cette décision reflète l’« ambiguïté constructive » et la souplesse nécessaires à la formation d’un consensus entre les pays qui entendent démarrer sans tarder des négociations et ceux qui, moins enthousiastes, préfèrent en rester à des discussions exploratoires.

Le Secrétaire général de l’ONU ne s’y est pas trompé et a salué cette décision en soulignant que « la situation internationale de sécurité actuelle renforce la nécessité vitale de restaurer le désarmement comme faisant partie intégrale de nos efforts collectifs pour empêcher les conflits armés et maintenir la paix et la sécurité internationales. » En effet, le contexte mondial de tensions et de risque croissant de recours aux armes nucléaires exige une approche fondée sur la règle de droit, moins déclaratoire et plus multilatérale en vue d’établir le dialogue et la confiance mutuelle, qui sont au nombre des conditions indispensables au succès de la réglementation ou de l’élimination des armements.

Des perspectives de progrès incertaines

Le cadre de la CD offre un principal avantage : sa représentativité. Elle inclut en effet les cinq puissances nucléaires liées par le Traité de Non-Prolifération (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) ainsi que les autres pays possesseurs d’armes nucléaires (Corée du Nord, Inde, Israël, Pakistan) et plusieurs puissances régionales importantes. La règle du consensus protège aussi les intérêts de sécurité nationale de chaque Etat Membre en lui permettant de s’opposer à toute mesure qu’il désapprouve. Mais, comme l’ont amplement démontré les dernières années, elle cause aussi la paralysie de l’institution. De fait, tous les accords multilatéraux de limitation des armements et de désarmement adoptés depuis deux décennies ont été négociés en dehors de la CD : le Traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel, la Convention sur les armes à sous-munitions, le Traité sur le commerce des armes et le Traité d’interdiction des armes nucléaires.

La cause de ce processus ? Principalement le signe de la frustration partagée au sein de la communauté internationale par de nombreux Etats et des mouvements de la société civile tels que la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN). Il n’est certes pas aisé de démontrer que la CD a visé, par sa récente décision, à réagir à cette évolution pour retrouver pertinence et crédibilité. La coïncidence n’en semble pas moins digne d’être relevée.

La CD sera-t-elle capable de produire des accords significatifs à l’intérieur de ce nouveau cadre ? Seul le temps le dira. Pour nombre de sceptiques, rien de substantiel ne changera car les arrangements de procédure ne sauraient dissimuler la réalité des divergences fondamentales. En effet, d’un côté les puissances nucléaires semblent s’accrocher indéfiniment à leur arsenal, tandis que, de l’autre, la majorité des pays sont déterminés à obtenir l’interdiction et l’élimination de ces armes le plus tôt possible dans l’intérêt de l’humanité. A cet égard, la marge pour un compromis apparaît faible. On en est donc réduit à espérer que des discussions honnêtes et sérieuses renforceront le respect envers les accords de désarmement existants et ouvriront la voie à de nouvelles « mesures intérimaires » vers l’objectif lointain du désarmement nucléaire complet.

[1] Conseiller principal du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP), membre du Bureau d’IDN. L’auteur s’exprime à titre personnel.

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Une réponse

  1. Merci pour cet article.
    La persistance du blocage reste malheureusement plus que probable avec la règle du consensus qui ne protège en rien les intérêts des États : une telle règle, tous les négociateurs dignes de ce nom le savent, de nombreux travaux l’ont prouvé (voir par exemple Jean-Luc Le Moigne et ses travaux sur la théorie des systèmes complexes et la stratégie ), est antinomique de la possibilité de parvenir à la mise en place d’un processus de règlement de conflit bénéfique pour tous, donc elle s’oppose par construction aux intérêts des membres de cette Conférence dite du Désarmement.
    De plus, cette Conférence reste figée sur la vision de « puissance » et de soi-disant « sécurité par la menace nucléaire ». Or il a également été démontré que cette vision est un fantasme, une perception erronée de la réalité que provoquent les seules pensées dès lors qu’elles se réfèrent à l’arme nucléaire, pensées inconsciemment traumatisantes, sources de refoulement et de déni. Ce constat, repris encore en 2017 par le docteur Mme Caspani-Mosca, avait été formulé de longue date, en particulier dès 1988 avec le livre PSYCHOANALYSIS AND THE NUCLEAR THREAT: CLINICAL AND THEORETICAL STUDIES, écrit sous la direction de H.B. Levine, D. Jacobs et L.J. Rubin, publication Hillsdale, New Jersey, The Analytic Press. Les travaux récents sur le fonctionnement de notre système de pensée par le Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman (Thinking, Fast ans Slow) démontent le mécanisme qui a conduit à la croyance en une « dissuasion nucléaire ». Je tiens à la disposition une revue de ces deux ouvrages, que je communique à IDN.
    Aussi longtemps que les membres de cette Conférence ne prendront pas en compte cette réalité effective, et qu’ils resteront figées dans leur croyance nucléaristes ou leur volonté conflictuelle, qu’il s’agisse des États nucléaires ou des États non dotés, le blocage, au mieux, perdurera, au pire risque de dégénérer en véritable conflit.
    C’est cette réalité qu’il faut présenter sans tarder aux organisateurs onusiens de la Conférence, et nul n’est mieux placé et plus légitime que ICAN, avec son récent Prix Nobel, sans doute avec le soutien de professionnels de l’approche psychique et des sciences cognitives et de praticiens, politiques, diplomates, militaires, politologues, sociologues ou stratégistes qui ont été confrontés aux incohérences des croyances en la dite « dissuasion nucléaire » et qui ont su se dégager de cette emprise.