Tribune de Jean-Marie Collin,
vice Président d’IDN,
publiée sur le site d’ Opinion Internationale
Le 23 décembre 2016, les diplomates n’ont pas encore quitté le grand building new-yorkais de l’ONU. Ils leur restent à voter une dernière résolution intitulée « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », dont le but est d’ouvrir la négociation en 2017 d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. En quelques minutes ceux qui étaient qualifiés d’idéalistes se voient endosser un nouvel habit…
Le processus humanitaire
Depuis plus de 20 ans, tous les processus multilatéraux de désarmement nucléaire ne progressent pas. La cause principale est le blocage de la Conférence du désarmement (CD) – l’organe principal du désarmement de l’ONU – et la non mise en œuvre des engagements pris dans le pilier désarmement du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Certes, l’arsenal nucléaire mondial a bien diminué depuis le milieu de la Guerre froide (passant de 80 000 à 15 500 ogives en 2017), mais il n’existe pas une volonté politique de la part des détenteurs de la bombe d’aller vers un monde sans armes nucléaires. Toutes les puissances nucléaires reconnues par le TNP (États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni) ou non (Israël, Inde, Pakistan, Corée du nord) se sont lancées dans des programmes de modernisation de leurs arsenaux. La France planifie ainsi actuellement la troisième génération de sa composante sous-marine dont l’objectif est de la faire durer jusqu’en 2070…
Traditionnellement, seul les acteurs (puissances nucléaires) directement concernés avec leurs alliés (États membres de l’Otan, ou protégés par le parapluie nucléaire américain) étaient parties prenantes des négociations sur le désarmement nucléaire. Mais le monde a changé et la prise de conscience par de nouveaux États (Costa Rica, Malaisie, Afrique du Sud, Autriche, Brésil, …) des impacts sur leur sécurité, leur population, leur économie de toute détonation d’une arme nucléaire a crée une volonté commune de prendre à bras-le-corps ce problème mondial. Après trois conférences intergouvernementales (2013 en Norvège, 2014 au Mexique et en Autriche) sur les conséquences catastrophiques d’une arme nucléaire, de multiples résolutions à l’ONU, ces États sont parvenus à imposer la nécessité de combler le « vide juridique » présent dans le TNP.
Par « vide juridique », il faut comprendre l’absence d’interdiction générale du développement, de la possession et de l’utilisation des armes nucléaires, telle que l’on peut trouver dans des régimes d’interdiction d’armes comparables (armes chimiques, biologiques). Le TNP en effet n’est pas un traité complet prévoyant toutes les obligations en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires. À titre d’exemple, ce régime n’envisageait pas l’interdiction complète des essais nucléaires et autorisait (article V) les essais nucléaires dit « pacifiques ». La création du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires est ainsi venue combler ce « vide » d’interdiction et renforcer le TNP.
L’interdiction en marche
Malgré les pressions exercées en 2016 par les puissances nucléaires sur des États francophones et sud-américains, cette résolution a été votée ce 23 décembre par 113 États – soit par une large majorité du monde – à l’ONU. Concrètement, cela signifie que du 27 au 31 mars et du 15 juin au 7 juillet 2017, diplomates et membres de la société civile vont se réunir avec l’objectif d’écrire un texte qui devra être approuvé à l’Assemblée générale (ou un État égale une voix) en octobre 2017.
Beaucoup peuvent penser que ce processus est voué à l’échec du fait de la non participation des États possédant des armes nucléaires. Tout d’abord, nul ne peut présager avec certitude du positionnement de ces États (notons ainsi que la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord n’ont pas voté contre ce texte). D’autre part, ce traité multilatéral va renforcer les normes de non-prolifération nucléaire et non les diminuer, comme le pensent ses détracteurs.
Mais ce qui est plus particulièrement à noter ce sont les conséquences rapides que ce traité va faire peser sur l’Alliance atlantique (OTAN). Ce n’est pas l’existence de cette organisation qui est visée, mais bien sa politique de dissuasion. Si certains États décidaient d’adopter ce traité, alors l’OTAN ne pourrait mettre en œuvre sa politique de dissuasion. En effet, cela l’obligerait à repenser toute sa politique de planification nucléaire, qui passe par la définition des Etats qui participeraient aux transports, aux soutiens et à la protection des bombardiers nucléaires partant en mission. De plus, cela signifierait que les Etats signataires refuseraient d’être protégés par la dissuasion et interdiraient le transit de ces armes dans leur espace aérien et maritime. Et ce « risque » est bien réel, au vu du positionnement des Pays-Bas et des questionnements de certains autres (Allemagne, Italie, Portugal,…).
Enfin, cette future législation va concerner également les institutions bancaires et les industriels de l’armement et, par effet domino, les programmes de modernisation de la plupart des puissances nucléaires. Les institutions financières devront, avec cette nouvelle norme, adapter leur politique d’investissement du secteur de la défense ; hors de question pour elle d’apparaître comme des financeurs d’armes interdites. À cela, il se rajoutera la création de législations nationales interdisant les investissements dans les entreprises d’armement nucléaire. Les Etats devront en effet traduire cette législation internationale dans leur propre législation, rendant ainsi impossible pour une banque de pouvoir financer un industriel du « nucléaire militaire » basé ou non dans cet Etat. L’interdiction des armes nucléaires rendra incontestablement ce marché plus compliqué pour les industriels et donc un maintien ou un développement des arsenaux plus difficiles pour les États.
Établir une nouvelle norme juridique internationale forte permettra de stigmatiser les armes nucléaires et obligera les États à prendre des mesures urgentes de désarmement. Il est vital de comprendre que ce traité d’interdiction va être le point de départ d’un processus global de désarmement nucléaire, c’est-à-dire de l’élimination des armes nucléaires. Si ce processus d’élimination globale sera institué dans un second temps, il ne faut pas omettre que les États dotés ont déjà pris des engagements (notamment à travers l’article 6 du Traité de Non-Prolifération nucléaire) de procéder à l’élimination totale de leurs arsenaux nucléaires. Ce futur traité viendra donc créer une pression supplémentaire pour leur mise en œuvre.
Désormais, les rôles sont donc inversés. Les promoteurs du désarmement nucléaire sont en marche et poussent dans les cordes les partisans de la dissuasion. La France a été un opposant majeur à ce processus ; toute la question maintenant est de savoir comment, à l’heure ou les candidats à l’élection présidentielle française sont connus, ceux-ci vont intégrer ce futur Traité d’interdiction des armes nucléaires dans leur programme de politique de défense ?