Jean-Marie Collin a publié l’article suivant sur le site « Questions internationales » d’Edouard Pflimlin.
L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a remis la problématique des armes nucléaires au centre des préoccupations de la communauté internationale. Il faut dire que ces annonces approximatives et sa volonté de remettre en cause des traités internationaux sur la non-prolifération et le désarmement nucléaire ont de quoi effrayer. Mais, s’il faut prendre ces déclarations avec sérieux, il faut aussi arrêter de voir la problématique nucléaire sous un prisme uniquement américano-russe. Sept autres États à travers le monde possèdent et modernisent leurs arsenaux nucléaires, et tous font peser du fait de leur politique de dissuasion nucléaire une insécurité sur le monde.
À la question « est-on à l’aube d’une nouvelle course aux armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis ? », il faudrait plutôt dire « Est-on entré dans une nouvelle ère de course aux armes nucléaires ? ». En effet, si l’on doit s’inquiéter des remises en cause du président Trump (sur le Traité New Start et sur l’accord nucléaire iranien) et du Président Poutine (suspicion de violation du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) le tout sous couvert d’annonce de renforcement de leurs arsenaux, il serait malvenu d’ignorer le jeu des 7 autres États qui disposent d’armes nucléaires : France, Chine, Royaume-Uni, Israël, Inde, Pakistan, Corée du nord.
Tous ces États sont, depuis quelques années, dans une modernisation de leur force nucléaire et font peser de fait une instabilité régionale et mondiale de plus en plus grande. À titre d’exemple, le Royaume-Uni a voté en juillet 2016 un processus (coût minimum de 50 milliards d’euros) pour renouveler sa flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). La Chine, elle, poursuit le développement de nouveaux missiles balistiques à longue portée, ainsi que sa composante nucléaire sous-marine, tout comme l’Inde qui en même temps va renouveler sa composante nucléaire aérienne avec l’arrivée des Rafales… La Corée du Nord évidemment est dans la quête d’une capacité balistique crédible (terrestre et sous-marine), mais recherche surtout à miniaturiser son engin nucléaire pour l’intégrer parfaitement dans ces futurs missiles. Quand à la France, Manuel Valls, alors premier ministre, annonçait fièrement « qu’elle fait la course en tête pour les technologies de dissuasion » (23 octobre 2014). Une annonce officielle (qui est en complète contradiction avec la ligne diplomatique…) qui corrobore la volonté du Chef de l’État et des militaires (et des industriels) de voir doubler le budget de la dissuasion (à l’horizon 2020/2022, à hauteur de 6 milliards d’euros) pour assurer l’arrivée de SNLE de troisième génération, d’une nouvelle version du missile balistique M51, d’études sur un successeur au missile de croisière ASMP-A, etc…
On voit donc bien que tous ces États – sans exception – sont entrés dans une course mondiale aux armes nucléaires, en écartant d’un revers de main leurs différents engagements juridiques internationaux (et en premier le Traité de non prolifération nucléaire) et en accentuant le risque d’une confrontation nucléaire. Il est évident que si Trump abandonne le New Start, alors le monde basculera un peu plus vers une ère d’instabilité, car cela remettra en cause le processus de diminution des arsenaux américano-russes, et le processus de transparence qui existe (visite de bases, publications de données) et donc la confiance qui aura été créée.
Face à ces États nucléaires qui font glisser le monde vers une politique d’insécurité mondiale, on peut donc comprendre la démarche et la volonté d’une large majorité du monde de vouloir désormais jouer un rôle moteur dans le processus du désarmement nucléaire.
Ces États (d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie du sud-est et central, du Pacifique et certain d’Europe) ne veulent pas subir une éventuelle guerre nucléaire (en Europe, en Asie) qui aurait des conséquences catastrophiques pour la sécurité de leur pays, populations, institutions. En lançant, en mars et juin de cette année, un processus de négociations d’interdiction des armes nucléaires à l’ONU (voir le vote de la résolution L41 en octobre et décembre 2016), ces États vont imposer leur calendrier politique et créer une pression juridique, économique, stratégique à l’égard de tous les États et de leurs alliés (soit une quarantaine à travers le monde) qui sont couverts par une politique de dissuasion nucléaire. Loin d’être une utopie, l’interdiction des armes nucléaires est en marche, et sera sans aucun doute le premier pas vers un monde sans armes nucléaires.
Jean-Marie Collin, Vice-président d’Initiatives pour le Désarmement Nucléaire.