Crédits photo : ICAN.
« Aujourd’hui, c’est une victoire pour l’humanité et la promesse d’un futur plus sûr », se réjouissait dimanche Peter Maurer, le président du Comité international de la Croix-Rouge, à la suite de la ratification du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) par le Honduras. Cette 50e ratification entraîne de facto l’entrée en vigueur du traité dans 90 jours. Beatrice Fihn, la directrice exécutive d’ICAN (Campagne pour l’abolition des armes nucléaires) a salué « un nouveau chapitre vers le désarmement nucléaire ». « Des décennies d’activisme ont réalisé ce que beaucoup estimaient impossible : les armes nucléaires sont interdites », a-t-elle ajouté.
Le traité interdit d’utiliser, développer, transférer, tester, fabriquer, acquérir, posséder, stocker, implanter et menacer d’employer des armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs. Il marque une étape historique à un moment où le risque de guerre nucléaire est en constante augmentation et que les principaux États dotés de l’arme nucléaire renforcent leurs capacités de dissuasion. Nonobstant, le désarmement nucléaire total n’est pas encore chose promise ni acquise. L’entrée en vigueur du traité demeure symbolique, aucun des États dotés de l’arme nucléaire n’ayant ratifié le TIAN.
Que dit ce traité ?
Au matin du 7 juillet 2017, après plus de 10 ans de campagnes et de multiples négociations sous l’égide des Nations Unies, 122 États votaient en faveur de l’adoption du TIAN lors de l’Assemblée générale des Nations Unies. La même année, ICAN obtiend le prix Nobel de la paix pour son rôle dans l’élaboration du traité. Ratifié par 50 États, le TIAN prendra effet le 22 janvier 2021, selon les dispositions de l’article 15.1 du traité qui prévoit son entrée en vigueur 90 jours après la ratification du 50e État. De plus, le traité d’interdiction compte aujourd’hui 84 États signataires. Selon ICAN, 37 États « préparent leur procédure de ratification ».
Le TIAN interdit l’utilisation d’armes nucléaires, la menace d’utilisation, les essais nucléaires, le développement, la production, la possession, le transfert et le stationnement d’armes nucléaires dans un autre pays. Pour les États dotés d’armes nucléaires, le TIAN prévoit dans son article 4 des procédures strictes de destruction des stocks et d’exécution de leur engagement à rester exempts d’armes nucléaires. Le traité va au-delà de l’objectif d’élimination complète des armes nucléaires au sein des pays signataires en exigeant de leur part de promouvoir le TIAN auprès des États non signataires. Il impose en outre de porter assistance aux victimes d’armes nucléaires et la décontamination des zones polluées.
Un traité symbolique pour stigmatiser l’arme nucléaire
L’entrée en vigueur du TIAN marque un tournant symbolique dans l’histoire du désarmement nucléaire. Elle intervient alors que l’architecture internationale de désarmement nucléaire se délite, notamment sous les coups de boutoir répétés de l’administration Trump qui se désengage peu à peu de tous les traités existants.
Pour la première fois, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté en faveur d’un traité d’interdiction. Pour la première fois également, un traité prohibe les armes nucléaires sur l’ensemble de la planète, allant au-delà des accords régionaux de zones exemptes d’armes nucléaires. Même si aucun des États nucléaires n’a signé le traité d’interdiction, le TIAN crée une nouvelle norme internationale, en modifiant le statut juridique des armes nucléaires dans le droit international.
Le TIAN complète en effet la structure juridique internationale en matière de désarmement nucléaire et renforce surtout la norme politique visant à délégitimer l’arme nucléaire en tant qu’instrument de pouvoir. Les défenseurs du traité espèrent ainsi que la ratification de celui-ci aura le même effet que les traités internationaux précédents interdisant les mines terrestres ou les armes à sous-munitions. En établissant qu’au moins 50 États jugent les armes nucléaires immorales et dangereuses, le TIAN veut « stigmatiser » les États dotés d’armes nucléaires pour les amener à changer de comportement sur la scène internationale. L’entrée en vigueur du TIAN pourrait également stimuler de nouvelles actions en faveur du désarmement.
Le TIAN complémentaire avec le TNP
Le TIAN se veut également complémentaire du Traité de Non-prolifération (TNP) de 1968. Le TIAN a pour objectif de combler une lacune juridique du TNP qui n’interdit pas expressément les armes nucléaires, même s’il déclare leur utilisation contraire au droit international. En effet, le TNP ne proscrit pas complètement le développement, le transfert, la possession et l’utilisation de ces armes. De plus, il ne limite pas les États dotés sur leur politique de dissuasion, la circulation d’informations scientifiques entre les puissances nucléaires, et la production de matière fissile.
Le TIAN fait également progresser le régime de garanties du TNP, en obligeant les États parties à maintenir les accords de garanties supplémentaires qu’ils ont accepté de mettre en œuvre précédemment avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Il renforce également la norme internationale contre les essais nucléaires, en reprenant certaines dispositions du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) qui n’est toujours pas entré en vigueur.
Enfin, le TNP, dans son article VI, contraint les États nucléaires à « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ». À cet égard, les deux traités se complètent et se renforcent mutuellement, tout en étant indépendants. L’article VI est sans équivoque et ne laisse aucune place à l’interprétation de la nature de l’obligation.
Les États nucléaires restent opposés au TIAN
S’il marque une étape symbolique dans le processus du désarmement nucléaire, le TIAN reste toutefois largement contesté par un grand nombre de pays. Les États nucléaires, notamment, s’opposent fermement à l’adoption du traité, et donc à la création d’une nouvelle norme internationale. Aucun n’a signé le traité. Ils ont tenté de ralentir la dynamique vers le TIAN en faisant pression sur les États signataires et leurs alliés, considérant que cette nouvelle norme pourrait « fragiliser » et « contraindre » le TNP.
Pour les États-Unis, le TIAN relève d’une « tentative diplomatique dangereuse et naïve ». Ils jugent que le Traité « est et restera un facteur de division au sein de la communauté internationale et qu’il risque de renforcer les divisions dans les forums de non-prolifération et de désarmement existants qui offrent la seule perspective réaliste de progrès basée sur le consensus ». Les autres États, rejoignant cette position, ont monté fermement leur opposition au TIAN.
Sur le vieux continent, la France a expressément fait savoir qu’elle « n’avait pas l’intention de signer » le texte. Emmanuel Macron considère la dissuasion nucléaire comme le cœur de la stratégie de défense française. Le discours présidentiel à l’École de Guerre, en février dernier, expose une vision de la dissuasion comme étant la « clé de voute » de la sécurité nationale et des intérêts vitaux.
Vers l’ouverture d’un débat ?
Le traité d’interdiction des armes nucléaires est ainsi loin de faire consensus au sein de la communauté internationale. Il possède cependant une assise de plus en plus confortable au sein des pays membres des Nations Unies, renforcée par sa prochaine entrée en vigueur. Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, très favorable à une interdiction des armes nucléaires, a ainsi déclaré que la ratification du TIAN par un 50e État représentait « l’aboutissement d’un mouvement mondial visant à attirer l’attention sur les conséquences humanitaires catastrophiques de toute utilisation d’armes nucléaires ».
La ratification du TIAN renforce aussi la légitimité des contestations de la société civile. A l’échelle française, outre la mobilisation des associations pour le désarmement nucléaire, une trentaine de villes françaises, dont Paris, Lyon et Grenoble, soutiennent l’interdiction des armes nucléaires. Ces multiples appels au désarmement permettront peut-être de faire pression sur le gouvernement français afin d’ouvrir un débat public sur la dissuasion nucléaire française. Quoi qu’il en soit, l’entrée en vigueur du TIAN devrait avoir un impact significatif sur les débats de la Conférence d’examen quinquennale du TNP qui se tiendra en 2021 et pourrait permettre de donner un nouvel élan aux discussions internationales sur les traités de désarmement nucléaire.
3 Responses
Enfin je comprends ce qu’il en est de ces sigles (ITN,TIAN, TNP) et de leurs attributions. Merci beaucoup M. Anselme Guitton-Fumet pour cette information claire et précise si importante pour l’environnement…
Je suis ravie de constater la préoccupation d’un jeune étudiant pour soutenir le TIAN; moi-même, adhérente à l’association » SORTIR DU NUCLEAIRE, » je milite depuis de nombreuses années pour aboutir à la signature d’accords internationaux respectés, afin que notre descendance ne connaisse pas cette catastrophe irréversible. Bravo à ce jeune homme motivé.
J’ai bien aimé cet article pour l’information qu’il contient et l’espoir dont il est porteur…merci !