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Le 10 octobre dernier, la Corée du Nord a célébré le 75e anniversaire de la création du Parti des Travailleurs. En pleine pandémie de coronavirus, Pyongyang a organisé un défilé militaire géant. Dans un discours retransmis par la télévision nord-coréenne (KCTV), seul média autorisé, Kim Jong-un a affirmé que le pays continuerait à renforcer son armée « à des fins d’autodéfense et de dissuasion ». Le régime nord-coréen a dévoilé, lors de la parade, ses nouvelles capacités de défense, dont un nouveau missile intercontinental géant. La menace nucléaire nord-coréenne augmente, alors que Pyongyang cherche à accroître la pression sur les États-Unis.
Une démonstration de puissance
En apogée de la parade, Pyongyang a ainsi présenté un nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) géant, tracté par un transporteur-érecteur-lanceur (TEL) équipé de 11 essieux – soit 22 roues. Les analystes s’accordent déjà pour dire pour que ce missile, surnommé Hwasong-16, pourrait devenir le plus gros missile mobile à combustion liquide au monde, s’il était opérationnel. Cet ICBM à deux étages aurait une portée de 12 874 kilomètres et transporterait plus de 100 tonnes de carburant. Il serait également équipé d’une paire de moteur à double chambre. Par ailleurs, ses 25 mètres de long et 2,6 mètres de diamètre permettraient d’arrimer plusieurs têtes nucléaires à l’aide de la technologie MIRV (Multiple Véhicule de Rentrée Indépendant). L’agence sud-coréenne Yonhap précise qu’il est question d’une « version améliorée » du Hwasong-15, dont les derniers tests remontent à fin novembre 2017.
La Corée du Nord a également dévoilé une nouvelle version de son missile mer-sol balistique stratégique (SLBM) de type Pukguksong. D’après The National Interest, il serait lancé depuis la mer à l’aide d’un sous-marin de classe Sinpo-C (ou ROMEO-Mod) et doté d’un système à carburant solide. Il aurait une portée de plus de 2 000 km et serait donc en capacité d’atteindre l’ensemble du territoire japonais et sud-coréen. La révélation du « Pukguksong-4ㅅ » étonne : Pyongyang a en effet testé le Pukguksong-3 avec succès en 2019. Cette nouvelle version n’aurait pas encore été testé.
Véritables armes ou maquettes ?
La présentation de ces deux armes surprises interroge, d’autant que la Corée du Nord est coutumière du fait d’exposer des missiles qui n’ont pas encore entamé la phase de test. Certains soutiennent même l’hypothèse que l’Hwasong-16 ne serait qu’une maquette. Les spécialistes de la Corée du Nord mettent en effet en doute l’opérationnalité d’un tel missile. L’analyste Markus Schiller souligne que le poids et la longueur du Hwasong-16 le rendrait « pratiquement inutilisable », À ce titre, seule une volonté de démonstration de puissance justifierait la construction d’un tel missile. De plus, la technologie MIRV est hautement complexe. Les États-Unis et les Soviétiques ont par exemple mis plus de 5 ans pour perfectionner ce type de système.
Michael Vann Van Diepen et Elleman ajoutent dans un article de 38 North, Institut de référence sur l’étude de la Corée du Nord, que ce missile n’a guère de sens stratégique. D’une part, un missile à carburant liquide tracté par le tracteur-érecteur-lanceur (TEL) aurait du mal à traverser les routes cahoteuses du pays. D’autre part, le poids du missile totalement ravitaillé poserait problème lors du transport. Il devrait donc être approvisionné en carburant une fois sur le site de lancement après avoir été érigé – un processus qui prend plusieurs heures. Quant au Pukguksong-4, son avantage ne serait que marginal par rapport à son prédécesseur, il ne devrait pas apporter de modification majeure.
La Corée du Nord poursuit sa prolifération nucléaire
Bien que des doutes planent au-dessus de l’efficience stratégique de ces nouveaux systèmes, la modernisation de l’arsenal nucléaire nord-coréen se poursuit. Le niveau et le rythme de développement de la dissuasion de la Corée du Nord inquiète. L’amélioration des missiles de type Pukguksong laisse à penser que Pyongyang développe une capacité de seconde frappe opérationnelle. Le Pukguksong-3, testé avec succès en octobre 2019, peut parcourir 2 000km et menacer directement la Corée du Sud, mais aussi le Japon et les intérêts américains dans la région. Grâce à son système de combustion liquide, il permet un déploiement rapide. L’interrogation réside désormais dans la capacité de la Corée du Nord à aligner un nombre suffisant de sous-marins en mesure de transporter ces missiles.
Le développement de l’Hwasong-16 est quant à lui un message adressé aux États-Unis. Si la Corée du Nord possède des missiles capables de frapper le territoire américain depuis 2017, Pyongyang démontre qu’elle peut aussi augmenter la charge nucléaire de ses missiles, avec plusieurs ogives. Cela représente une menace directe pour le bouclier antimissile américain : selon Jeffrey Lewis, du Middlebury Institute, si l’ICBM transportait trois ou quatre ogives, les États-Unis devraient dépenser un milliard de dollars afin de concevoir 12 à 16 nouveaux missiles intercepteurs pour chaque missile nord-coréen, au risque de voir sa défense saturée.
Une « sérieuse inquiétude » internationale
La révélation de ces deux armes par Pyongyang, et notamment de l’ICBM Hwasong-16, est une nouvelle preuve d’échec du processus de dénucléarisation de la Corée du Nord entrepris par Donald Trump. Par cette démonstration de force au moment de l’élection présidentielle américaine, Kim Jong-un adresse un message clair au futur président américain. Démonstration de force ou menace ? Pyongyang veut d’abord afficher sa détermination quant à un nouveau lancement de missile si Trump ou Biden venait à ignorer la question nord-coréenne. Pyongyang cherche également à augmenter la pression pour exiger un retour à la table des négociations, qui sont au point mort depuis le sommet de Hanoï en 2019.
L’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a fait part de sa « sérieuse inquiétude » concernant les activités nucléaires de la Corée du Nord. Le pays a redoublé d’effort, agrandissant son usine de fabrication de missiles balistiques à combustible solide et de véhicules de rentrée d’ogives à Hamhung. Pyonyang aurait également relancé son centre de recherche scientifique à Yongbyon. De plus, les experts estiment que, pour développer l’Hawsong-16, la Corée du Nord a poursuivi son programme atomique tout au long du processus diplomatique.
L’AIEA a rappelé que le comportement du régime nord-coréen constituait une « violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ». De son côté, l’Union Européenne a exhorté Pyongyang à respecter son moratoire sur ses essais nucléaires et ses lancements de missiles, face à la menace nucléaire croissante de la Corée du Nord. Comme l’a déclaré Andrei Lankov, du Korea Risk Group à l’AFP, « qu’on le veuille ou non, la Corée du Nord est une puissance nucléaire et est probablement la troisième puissance nucléaire capable de frapper les villes américaines, après la Russie et la Chine ».