C’est à Genève, capitale de la paix et du désarmement, qu’António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, a présenté le 24 mai son plan intitulé « Assurer notre avenir commun : un agenda pour le désarmement ». Ambitieux, ce plan l’est à plusieurs titres. Pour la première fois, le chef de l’Organisation mondiale met en exergue les liens entre plusieurs phénomènes traités jusqu’ici séparément : les conflits et la prolifération des armes de toutes catégories (des armes légères aux bombes nucléaires), les dépenses militaires et le développement, les nouvelles technologies et le droit international humanitaire. Autant de défis pour les différentes « communautés » qui s’en préoccupent (gouvernements, chercheurs, société civile, industrie, etc.) et que le Secrétaire général appelle à œuvrer ensemble à plusieurs causes prioritaires : la prévention et la résolution des conflits, la non-prolifération et l’interdiction des armes de destruction massive, l’anticipation des évolutions technologiques pour éviter les cataclysmes qui menacent l’humanité.
António Guterres part d’un constat : « Les armes destructives nous font toutes courir un risque. Il appartient aux dirigeants de réduire ce risque. » C’est pourquoi il considère que « le désarmement (…) est un instrument essentiel pour assurer notre monde et notre avenir. » Il fustige le montant astronomique des dépenses militaires, soit 1.700 milliards de dollars par an, équivalant à 80 fois le montant nécessaire à l’aide humanitaire mondiale. Il note l’impuissance de la communauté internationale à avoir empêché la réapparition des armes chimiques, le bombardement de zones habitées, ou la mise au point d’armes autonomes qui violent le droit humanitaire.
Son Agenda s’articule en trois chapitres correspondant à des catégories d’armement existantes ou futures.
« Le désarmement pour sauver l’humanité » par la réduction et l’élimination des armes de destruction massive
Après avoir rappelé que la toute première résolution de l’Assemblée générale de l’ONU en 1946 visait à éliminer les armes de destruction massive, le Secrétaire général le dit sans détours : « les armes nucléaires constituent une menace unique et existentielle pour l’humanité du fait de leur pouvoir de destruction inégalé ». Certes, admet-il, des progrès notables ont été accomplis sur la voie du désarmement : la réduction des arsenaux des principales puissances, la dénucléarisation de la Biélorussie, du Kazakhstan et de l’Ukraine, le démantèlement unilatéral des armes nucléaires de l’Afrique du Sud, la création de zones exemptes d’armes nucléaires dans l’Hémisphère Sud, sur le fond des mers et dans l’espace, l’accord sur l’Iran et les perspectives de dénucléarisation de la Péninsule coréenne, ainsi que l’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Toutefois, souligne-t-il, la tendance actuelle est inquiétante : aucune négociation américano-russe n’est en vue et certains accords existants sont menacés, les puissances nucléaires s’éloignent du multilatéralisme, de nouveaux risques tels que les cyber-attaques apparaissent, de même que des capacités balistiques antisatellites.
António Guterres répond aux arguments des puissances nucléaires opposées au Traité d’interdiction : les préoccupations de sécurité nationale ne sauraient s’opposer aux considérations humanitaires car les deux sont complémentaires et rendent urgents les efforts internationaux. Il lance donc un appel en vue de plusieurs mesures : réduire davantage les arsenaux nucléaires, empêcher l’utilisation des armes nucléaires en réaffirmant, comme Reagan et Gorbatchev, qu’« une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être livrée », réduire l’importance de ces armes dans les doctrines de sécurité, diminuer le niveau d’alerte des armes nucléaires, développer la transparence et les mesures de confiance. Plus spécifiquement, il rappelle la responsabilité des pays dont la ratification du Traité d’interdiction des essais nucléaires (TICE) est nécessaire pour l’entrée en vigueur de cet instrument adopté en 1996 (la Chine, la Corée du Nord, l’Egypte, les Etats-Unis, l’Inde, l’Iran, Israël, et le Pakistan). Il appuie enfin les efforts pour interdire la production de matières fissiles destinées aux armes nucléaires et poursuivre la coopération en vue de vérifier le démantèlement de ces armes.
S’agissant des armes chimiques, au-delà de l’indignation devant leur utilisation répétée ces dernières années principalement en Syrie, laquelle est susceptible de constituer un crime contre l’humanité, le Secrétaire général se dit prêt à travailler avec les membres du Conseil de sécurité afin de restaurer un mécanisme impartial destiné à identifier les responsables de ces attaques (jusqu’ici bloqué par la Russie). Il lance aussi un appel à l’universalité de la Convention d’interdiction des armes chimiques (dont restent absents la Corée du Nord, l’Egypte, Israël, et le Sud Soudan).
Quant aux armes biologiques, interdites par la Convention de 1972, le Secrétaire général regrette que cet instrument demeure affaibli par l’absence d’un mécanisme de vérification, par l’insuffisance des mesures nationales en vue de son application, et par le risque croissant de l’utilisation de ces armes par des acteurs non-étatiques. Il recommande donc notamment de renforcer la Convention en liant le risque biologique aux efforts sanitaires mondiaux, en contrôlant la recherche sensible à double usage, et en mettant sur pied un mécanisme d’enquête en cas d’emploi allégué d’armes biologiques dont la détection rapide jouerait un rôle dissuasif.
Enfin, tout en reconnaissant que les progrès technologiques ont permis l’exploration de l’espace à des fins pacifiques, António Guterres note que la militarisation croissante de l’espace (pour les communications, le commandement et le contrôle, la navigation, le renseignement ou l’alerte avancée) augmente le risque d’extension des conflits dans ce domaine jusqu’ici préservé. Les systèmes antimissiles ont en effet des capacités antisatellites.
« Le désarmement qui sauve des vies » en contrôlant la prolifération des armes classiques et en protégeant les civils contre leur abus
Le Secrétaire général constate que, face à la production croissante et à l’accumulation massive des armes classiques qui alimentent la violence armée et les conflits, l’affaiblissement des instruments existants de maîtrise des armements ou leur inexistence sont désastreux. Des armements lourds conçus pour le champ de bataille sont employés dans les conflits internes de manière indiscriminée contre les populations civiles. Afin d’intégrer le désarmement conventionnel dans la stratégie de prévention des conflits de l’ONU et les Objectifs du Développement durable, António Guterres formule plusieurs recommandations :
- Mettre au point des limitations, des standards communs et des politiques opérationnelles conformes au droit international humanitaire sur l’emploi des armes explosives dans les zones peuplées;
- Améliorer la transparence en collectant des données sur les victimes et l’emploi des armes (y compris les engins explosifs improvisés) dans les conflits en vue de réduire leur impact sur les civils et poursuivre les violations du droit ;
- Promouvoir l’élaboration de règles communes sur le transfert, la possession et l’emploi des drones en vue de renforcer la responsabilité, la transparence et le contrôle quant à leur usage ;
- Renforcer la coordination des acteurs au sein de l’ONU et avec les Etats Membres en vue de la lutte contre la prolifération et le trafic illicite des armes légères et de petit calibre, notamment grâce à un financement du Fonds pour la Consolidation de la Paix ;
- Rationnaliser les actions nationales et régionales relatives aux stocks d’armes excessifs et mal entretenus ;
- Encourager au plan régional la retenue mutuelle dans les dépenses militaires et l’acquisition, les stocks et les transferts d’armements, notamment au moyen des instruments de transparence et de renforcement de la confiance de l’ONU.
« Le désarmement pour les générations futures » grâce au contrôle des technologies les plus dangereuses et déstabilisantes
Compte tenu des risques potentiels représentés par certaines évolutions technologiques appliquées aux armes, la sécurité future du monde pourrait être gravement affectée. Des cyber-attaques anonymes pourraient désarmer et anéantir des pays entiers ; des armes autonomes exemptes de tout contrôle humain pourraient choisir leurs cibles en violant le droit humanitaire qui protège les non-combattants ; la biologie synthétique et la manipulation génétique permettraient à des acteurs non-étatiques de produire des armes biologiques ; l’impression en 3D faciliterait la reproduction d’armes interdites ; des missiles hypersoniques indétectables rendraient attractive une première frappe nucléaire, etc.
Tous les Etats sont tenus, par le droit international, de surveiller les applications militaires des évolutions scientifiques et technologiques afin d’éviter des dérives déstabilisantes et contraires aux règles internationales. L’ONU devra donc encourager davantage de transparence en la matière, encourager auprès des scientifiques, des ingénieurs et de l’industrie un usage conscient, responsable et pacifique des innovations technologiques. Le Secrétaire général demande aux Etats de négocier des mesures assurant un contrôle humain permanent de l’emploi de la force ; il offrira ses bons offices afin de prévenir et de résoudre un conflit résultant d’activités hostiles dans le cyber-espace et favorisera le respect de normes et principes émergents visant à un comportement responsable dans le cyber-espace.
Conclusion : Renforcer les partenariats et les synergies
Dressant un bilan sans complaisance des cadres de négociation ou de mise en œuvre actuels des accords de désarmement et de non-prolifération[1], António Guterres en conclut qu’ils ont besoin d’être revitalisés et mieux coordonnés car ils travaillent trop de manière isolée ou sont improductifs. Compte tenu de l’influence des conflits régionaux sur la sécurité globale, il recommande une coopération plus étroite des agences de l’ONU avec les organisations régionales telles que l’Union africaine, l’ASEAN, l’OSCE, etc. Il insiste aussi sur l’importance du rôle des femmes dans tous les processus décisionnels relatifs au désarmement ainsi que sur l’espoir investi dans les jeunes et les ONG qui dynamisent l’action de la société civile en couvrant l’ensemble des défis actuel et futurs de la planète : droits humains, climat, environnement, etc. Il en appelle enfin au secteur privé et à l’industrie dont l’action peut compléter celle des Etats en promouvant un usage pacifique des technologies. En effet, seuls des partenariats incluant tous les acteurs concernés et non plus seulement les gouvernements permettront de surmonter les obstacles actuels.
En résumé, comme l’a affirmé le Secrétaire général dans son discours de Genève : « Le désarmement empêche la violence et y met fin. Le désarmement soutient le développement durable. Et le désarmement est conforme à nos valeurs et à nos principes. »
Article de Marc Finaud, Conseiller principal du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) et membre du Bureau d’IDN. L’auteur s’exprime à titre personnel.
[1] Conférence du désarmement à Genève et Commission du désarmement à New York, Conseil consultatif sur les questions de désarmement, Institut de recherche sur le désarmement, Bureau des Affaires de désarmement, ainsi que les organes de mise en œuvre des traités de désarmement : Agence internationale pour l’énergie atomique, Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, Unités de soutien à la Convention d’interdiction des armes biologiques, au Traité d’interdiction des mines antipersonnel, à la Convention sur certaines armes conventionnelles et à la Convention d’interdiction des armes à sous-munitions.
[2] Conférence du désarmement à Genève et Commission du désarmement à New York, Conseil consultatif sur les questions de désarmement, Institut de recherche sur le désarmement, Bureau des Affaires de désarmement, ainsi que les organes de mise en œuvre des traités de désarmement : Agence internationale pour l’énergie atomique, Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, Unités de soutien à la Convention d’interdiction des armes biologiques, au Traité d’interdiction des mines antipersonnel, à la Convention sur certaines armes conventionnelles et à la Convention d’interdiction des armes à sous-munitions.