Extraits de la conférence organisée
par IDN – Initiatives pour le Désarmement Nucléaire
le 23 janvier 2017 à l’Assemblée Nationale.
Claude Bartolone
Le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone, ne pouvant être présent, a manifesté son soutien à la conférence par une lettre lue à l’auditoire. Il a rappelé qu’en 2014, lors de la précédente conférence organisée par IDN en ce même lieu, il indiquait « qu’il n’y a pas de sujets tabous, de doutes interdits, ni de doctrine sacrée ». À ce titre, il souligne l’intérêt de cette rencontre « sur un sujet qui souvent dérange ». S’il constate que les budgets militaires augmentent partout sur la planète et que des technologies militaires nouvelles font « que nous changeons de monde », le président Bartolone fait part aussi d’avancées positives, entre la déclaration du Président Chinois Xi Jinping qui « propose la disparition des arsenaux nucléaires » et « l’invitation du Président Trump au Président Poutine de réduire leurs arsenaux nucléaires en contrepartie de la levée de sanctions liées à l’annexion de la Crimée ». Cela montre, conclut-il, que « le débat est urgent : vraie sécurité, faux désarmement, jamais plus qu’aujourd’hui la promotion de la démocratie et du dialogue ne s’est imposée à nous tous comme une ardente obligation ».
Paul Quilès
C’est en reprenant les mots du Président Bartolone « le débat est urgent » sur le désarmement nucléaire que Paul Quilès a ouvert la conférence ; alors même que « nous pouvons observer le désintérêt de la classe politique et médiatique ». Une absence qui pose question selon Paul Quilès : est-elle due à « une volonté délibérée de certains acteurs ? De l’exécutif ? À l’influence du complexe militaro-industriel ? Ou encore due aux errements de l’histoire » notamment du fait du « ralliement de la gauche à la dissuasion nucléaire à la fin des années 70 » ? Certains pourront toujours dire que des débats existent mais ceux-ci se cantonnent à des « enceintes très techniques, lors de rencontres entre spécialistes, qui donnent lieu à des rapports orientés » tels, par exemple, que celui publié en décembre 2015 par la commission de la Défense sur « la modernisation de la dissuasion nucléaire ».
« Va-t-on alors vers une nouvelle course aux armements ? » Cette question apparaît plus complexe qu’elle ne le semble, du fait d’un « contexte géopolitique compliqué, porteur de possibles nouveaux désordres et peut-être de surprises ». Décrivant le constat actuel d’une baisse des arsenaux nucléaires militaires « essentiellement en raison des réductions américaines et russes », Paul Quilès a insisté sur le fait que nous assistons « au développement et au déploiement d’armements nouveaux et plus perfectionnés dans tous les pays détenteurs de l’arme nucléaire, et ce quel que soit leur statut ». De plus, l’évolution des armes et des doctrines tendrait selon lui vers des scénarios de frappe nucléaire limitée, posant aussi « la question de savoir si ces évolutions rendent l’usage de ces armes de plus en plus probable ? ». De multiples interrogations qui, rappelle-t-il, ne doivent pas faire oublier les limites de l’actuel processus de désarmement nucléaire ni « les interrogations sur les nouvelles démarches en cours », exprimées d’une certaine manière par le Président chinois, en ce mois de janvier 2017 au siège des Nations Unies : « les armes nucléaires devraient être totalement interdites et détruites pour accéder à un monde débarrassé des armes nucléaires et respectueux des droits de chaque nation ».
Marc Finaud : « Des sommes gigantesques sont consacrées à l’accroissement des arsenaux nucléaires ».
Lors de son discours d’introduction, Marc Finaud a souligné l’importance des coûts financiers de la modernisation, du développement, de la production et de l’entretien des arsenaux nucléaires.
Après avoir fait état du montant des investissements réalisés récemment par les différents pays possédant l’arme nucléaire, Marc Finaud a indiqué que les autorités américaines ont décidé d’allouer plusieurs centaines de milliards de dollars dans les trente prochaines années au développement de cette arme, et notamment aux laboratoires de recherche. Le Royaume-Uni, la France, la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord se sont engagés dans la même voie en décidant d’y consacrer des montants faramineux.
Ces programmes démontrent l’existence d’une nouvelle course aux armements nucléaires. Pourtant, comme l’a rappelé M. Finaud, « les États dotés de l’arme nucléaire parties au Traité de Non-Prolifération (TNP) s’étaient engagés juridiquement pour mener des négociations et prendre des mesures permettant la cessation de cette course ainsi que le désarmement nucléaire ». Force est de constater que les politiques d’armement nucléaire menées par ces États, dont la France, sont en contradiction totale avec ces obligations. Ce qui amène Marc Finaud à poser cette question : « Planifier une modernisation des armes nucléaires sur 20 ou 30 ans est-il compatible avec ces engagements ? »
Hervé Morin : « Il est temps pour les pays européens et plus particulièrement pour la France de repenser leur politique de défense en fonction des enjeux du monde nouveau ».
Hervé Morin (ministre de la Défense de 2007 à 2010) : « Y a-t-il une nouvelle course aux armements ? Je crois que la question ne se pose même pas, malheureusement elle existe et il n’y a pas un chiffre qui puisse démontrer le contraire ». Les pays européens sont les seuls à réduire leurs dépenses de défense, notamment dans le cadre de l’OTAN, alors que les américains, chinois, russes et pays du Moyen-Orient augmentent leurs crédits militaires.
Hervé Morin affirme que l’Europe est actuellement incapable de faire face aux évolutions du monde, parce qu’elle s’effondre moralement et ne tient plus son rang. Elle doit s’unir et se mobiliser pour apporter une réponse commune afin de défendre ses intérêts stratégiques et diplomatiques dans le cadre de sa politique étrangère, mais aussi pour défendre son modèle de société, mis en danger par le manque de volonté des pays européens à construire un projet et établir une vision commune.
La réponse toute trouvée serait de porter à « 2% du PIB » le budget de la défense française ; mais cela « ne suffira pas pour bâtir un espace de sécurité en Europe sur le long terme ». Hervé Morin estime qu’il est temps pour les pays européens et plus particulièrement pour la France de repenser leur politique de défense en fonction des enjeux du monde nouveau, c’est-à-dire repenser les dispositifs d’armement qui assurent sa sécurité, et les mutualisations possibles entre les différents dispositifs de sécurité et de défense européens.
Le choix d’axer la politique de défense française autour de l’arme nucléaire représente à court terme « 30% à 40% des crédits d’équipement globaux de la défense ». Hervé Morin regrette l’incapacité des pays européens à empêcher sur le long terme la prolifération des armes nucléaires : « Nous ne pourrons pas empêcher des puissances régionales qui ont un PNB supérieur à celui des pays européens, et une influence régionale aussi forte que la leur, de se diriger vers ces programmes sur le long terme ». La sécurité du monde pourrait être atteinte par une telle prolifération.
L’ancien ministre de la défense a exprimé son incompréhension des récents choix effectués en faveur d’une politique nucléaire française renforcée et modernisée. Il se demande quelles sont les motivations de ces programmes, estimant qu’ils n’entrent pas nécessairement dans le cadre des principes de la dissuasion française. Toutefois, malgré les différentes visions en France au sujet de l’armement nucléaire, une seule chose doit prédominer : « Je demande simplement une chose sur ce sujet, c’est qu’on ouvre le débat. Qu’il y ait un moment de réflexion démocratique ». Comme par exemple se poser la question de l’utilité et de la pertinence de l’armement nucléaire face aux conflits actuels.
Concernant les possibilités de mutualisation, Hervé Morin a exprimé ses doutes sur la capacité de l’OTAN à protéger les intérêts de la France et de l’Europe. Il propose pour l’avenir une autre solution à l’échelle européenne en matière de défense et de sécurité. Il a rappelé que tout restait à construire, non pas dans le cadre de l’Union Européenne, à qui il ne donne aucun crédit pour cet exercice, mais à partir d’un dialogue inter-gouvernemental entre quelques États seulement, comme le couple franco-allemand : « Ces deux pays peuvent ensemble chercher à bâtir des éléments de mutualisation de notre effort de défense, comme nous avions essayé de le bâtir avec les britanniques. Ce sont des pistes non pas multilatérales mais bilatérales extrêmement sérieuses qu’il faut continuer de creuser ».
Enfin, Hervé Morin a conclu son discours en réclamant une réflexion « stratégique et indépendante » permettant de poser les vraies questions pour construire notre avenir.
Lord Desmond Browne : « Nous vivons actuellement une inquiétante nouvelle course aux armements ».
Lord Desmond Browne, vice-président de Nuclear Threat Initiative (NTI), se base sur son expérience outre-Atlantique et son temps passé à Washington au cours de ces trois dernières années, pour exprimer un point de vue américain sur la modernisation des arsenaux nucléaires et ses risques pour la prolifération. Il a rappelé le contexte et l’actualité de cette discussion, c’est-à-dire l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis et les nombreuses interrogations qui planent autour de sa future présidence, de ses orientations et positions politiques, notamment concernant la sécurité nucléaire. Pour Lord Brown, il ne fait aucun doute que nous vivons actuellement une inquiétante nouvelle course aux armements : « Si nous regardons la situation des 9 États dotés de l’arme nucléaire, presque tous sont en train de moderniser certains aspects de leur capacité nucléaire ». Il a ensuite détaillé, pays par pays, les différents programmes de modernisation nucléaire en cours, avec un focus particulier sur les États-Unis et le Royaume-Uni.
Pour les États-Unis, malgré les paroles de Barack Obama à Prague en 2009 où il avait exprimé son vœu d’un monde sans armes nucléaires, il avoue que rien de concret n’a été fait dans ce sens. Au contraire, de nouveaux programmes de modernisation nucléaire aux budgets conséquents ont été mis en place, allant à l’encontre des efforts globaux de non-prolifération et de désarmement nucléaire. Cela doit amener, selon Lord Brown, l’administration Trump à s’interroger sur les besoins réels et les impacts d’une telle campagne de modernisation de son arsenal nucléaire. Les sommes dépensées pourraient être allouées à des besoins de défense et des menaces plus réalistes, alors qu’une interrogation demeure sur les effets que vont avoir ces programmes de modernisation sur la stabilité avec la Russie, la Chine et les autres États dotés de l’arme nucléaire. Sur tous ces sujets, nous sommes dans une période d’incertitude du côté des États-Unis : « Nous ne savons pas du tout où se situe le Président Trump sur les choix de modernisation » a dit Lord Brown. Donald Trump ne pourra pas tenir toutes ses promesses de campagne, à la fois investir des milliards de dollars dans des plans de modernisation nucléaire, et dans le même temps réduire les impôts des Américains.
Concernant le Royaume-Uni, Desmond Browne a dans un premier temps rappelé que le Parlement a récemment reconduit le programme nucléaire « Trident », tout en critiquant le manque de sérieux et de réflexion des dirigeants politiques britanniques quant au rôle et au poids qu’ont les armes nucléaires dans leur politique de défense.
Enfin, il a terminé son intervention en recommandant à ces deux pays d’examiner leurs besoins en matière de dissuasion nucléaire et leurs priorités relatives à leur politique de défense, avant de dépenser de gigantesques sommes d’argent dans ces programmes de modernisation nucléaire qui ne répondent pas aux menaces auxquelles le monde doit faire face. Nous avons besoin de développer une « architecture nucléaire qui priorise la stabilité, réduit les risques, et qui permette d’assurer les besoins de dissuasion ». « Des choix difficiles vont devoir être faits et les politiciens des pays impliqués ne semblent pas préparés à vivre avec les conséquences de ces choix » a-t-il conclu.
Michel Drain : « Pour se prémunir contre un adversaire potentiel, on multiplie des mesures que l’on considère comme défensives mais qui sont perçues comme offensives par cet adversaire ».
Après avoir évoqué les inquiétudes suscitées par l’état actuel des armes nucléaires dans le monde, Michel Drain a tenu à préciser sur quoi elles se fondent. Si nous assistons aujourd’hui à une nouvelle course aux armements, celle-ci ne passe pas par une augmentation quantitative du nombre de têtes nucléaires à la disposition des principales puissances nucléaires, mais plutôt sur « des efforts d’amélioration qualitative que l’on constate partout et sur une tendance récente à la restauration de la place éminente, voire centrale, de l’arme nucléaire dans les doctrines et dans les plans de défense ». Cette situation est dangereuse car avec le temps nous pourrions assister à un basculement des finalités de cet armement, allant de la dissuasion à l’utilisation réelle. Michel Drain a décrit tout particulièrement la situation des deux principales puissances nucléaires, la Russie et les États-Unis, dont les stocks d’armes représentent à eux seuls 95% du stock mondial.
Après avoir fait état de leurs capacités nucléaires respectives, il constate que ces deux pays sont actuellement dans un processus dispendieux de modernisation de leurs arsenaux nucléaires. Améliorer ces armes afin de les rendre plus efficaces montre bien la place croissante qu’occupe le nucléaire dans leur politique de défense et de sécurité. Il a ensuite jeté un regard sur la situation des autres États dotés de l’arme nucléaire, tous en train de moderniser ou d’agrandir leur arsenal, ce qui conduit Michel Drain à faire le constat suivant : « Il y a bien une course aux armements dans le monde. […] C’est un danger pour la sécurité internationale, d’autant plus grand que le nombre des pays possesseurs de l’arme nucléaire augmente ».
Alors que les États s’accordent sur le caractère défensif de leur armement nucléaire pour la défense de leurs intérêts nationaux, pourquoi cette course à l’armement ? « Pour se prémunir contre un adversaire potentiel, on multiplie des mesures que l’on considère comme défensives mais qui sont perçues comme offensives par cet adversaire », nous dit Michel Drain. En voulant se défendre contre un ennemi potentiel, les Etats paraissent suivre une politique offensive qui suscite l’inquiétude chez leurs rivaux et entretient une course à l’armement, par ailleurs facilitée par la faiblesse des instruments de désarmement et de contrôle. Il souligne enfin que cette course à l’armement a des effets négatifs sur la non-prolifération, car elle viole les principes du Traité de non-prolifération (TNP). De plus, la modernisation des armes nucléaires améliore leur précision et leur efficacité, ce qui va forcément et fortement augmenter les risques d’utilisation de ces armes au cours des années à venir. Face à cela, la seule solution pour maîtriser la course aux armements est le dialogue, selon Michel Drain : « La sécurité des pays devra prendre la forme d’une sécurité coopérative entre États pour garantir une stabilité durable, et la dynamique internationale sera primordiale pour parvenir à ce but ».
Oliver Meier : « La modernisation des armements mine les efforts faits en faveur de la non-prolifération nucléaire ».
Pour introduire son intervention, Oliver Meier a fait référence aux récentes déclarations faites en Allemagne concernant les armes nucléaires. Les prémices d’une nouvelle course à l’armement ont conduit certaines voix à s’élever outre-Rhin pour demander la tenue d’un débat sur la construction d’une politique de dissuasion nucléaire européenne, voire même sur la création d’une arme nucléaire allemande. Deux débats qui n’ont pas lieu d’être selon lui, parce qu’il n’existe pas de capacité de créer cette force nucléaire. Cependant, ces appels pour une discussion en Allemagne sur une option nucléaire « est une indication de l’onde de choc politique que l’administration américaine envoie déjà à travers le monde » a-t-il affirmé.
Oliver Meier s’est ensuite penché sur le sujet du débat, c’est-à-dire la modernisation des arsenaux nucléaires et ses risques pour la prolifération. Bien que seuls les pays asiatiques possédant l’arme nucléaire soient en train de développer quantitativement leur arsenal, tous les États « dotés » sont actuellement dans un processus de modernisation de leurs armements. Dans un premier temps, Oliver Meier a souhaité montrer que cette modernisation n’est pas sans risque puisqu’elle mine les efforts faits en faveur de la non-prolifération nucléaire. Elle risque de déclencher de nouvelles courses aux armements pour les autres États qui vont être amenés à produire des efforts similaires, et aussi « d’augmenter le risque d’utilisation des armes nucléaires comme résultat des efforts de modernisation ». Le dernier risque dont Oliver Meier fait état est que la modernisation nucléaire affaiblit la légitimité du Traité de non-prolifération (TNP), qui sert de traité cadre concernant les armes nucléaires. En effet, ces programmes de modernisation contredisent les engagements pris par les États dans le cadre de ce traité.
Il a ensuite expliqué pourquoi il est si difficile aujourd’hui pour les dirigeants politiques d’interrompre le cycle de la modernisation des arsenaux nucléaires. D’une part, il y a des pays où il n’existe pas de débat sur le nucléaire, c’est le cas en Inde et au Pakistan, deux pays émergents. Dans ces deux États, Olivier Meier nous dit qu’il y a un « fort consensus national » quant à l’utilité des programmes nucléaires, et donc à leur modernisation. D’autre part, dans les sociétés pluralistes, les débats ne voient pratiquement jamais le jour ; les programmes ne sont que très rarement contrôlés comme ils devraient l’être à cause de leur longue durée, du secret qui les entoure et de l’influence des lobbyistes.
Il a terminé son propos en suggérant quelques pistes pour ralentir ce cycle de modernisation. D’emblée, il annonce : « La transparence est une pré-condition nécessaire pour briser le cycle de la modernisation, et c’est aussi un bon point de départ pour commencer un débat sur les politiques nucléaires ». Sans informations fiables et sérieuses sur les programmes de modernisation nucléaire des États, Oliver Meier estime que les débats seront difficiles à mettre en place dans les pays dotés d’armes nucléaires. Pour lui, les parlements de ces pays doivent jouer un rôle essentiel dans ces processus de discussion sur les armes nucléaires et leur modernisation.
Jean-Paul Chagnollaud : « Le cas iranien ne doit pas jeter le voile sur le nucléaire israélien ».
Tout d’abord, Jean-Paul Chagnollaud a répondu à une première question sur l’arsenal nucléaire israélien, sujet à de nombreuses interrogations quant à son existence, à sa nature et à sa fonction puisque les Israéliens ne se prononcent presque jamais en la matière. Selon lui, l’histoire du nucléaire israélien démarre réellement après la crise du canal de Suez en 1956. Depuis, le pays s’est procuré un arsenal de dissuasion complet, en étroite collaboration avec ses alliés : « Israël s’est doté de l’arme nucléaire assez vite […] Il y a vraiment aujourd’hui un État qui est une puissance nucléaire et qui a refusé d’adhérer au TNP ». Même si toutes les régions du monde possèdent des zones exemptes d’armes nucléaires, on en est loin au Moyen-Orient, zone pourtant cruciale pour la non prolifération.
Le nucléaire israélien est un sujet très sensible, d’une part en raison du conflit israélo-palestinien, d’autre part à cause du manque d’information concernant ses programmes.
Puis le débat s’est concentré sur le cas de l’Iran, qui maintient ne pas disposer d’un arsenal nucléaire, mais dont les activités laissent penser que le pays pourrait s’en rapprocher. A la question : « Est-ce que l’Iran a la bombe ? », Jean-Paul Chagnollaud répond tout simplement : « Non ». Mais selon lui le cas iranien ne doit pas jeter le voile sur le nucléaire israélien, qu’il a qualifié de « secret de polichinelle ». « Il est bien évident qu’Israël est une puissance nucléaire, et en plus on la met de côté du point de vue occidental » a-t-il souligné. Selon lui, les pays occidentaux, comme la France par la voix de son président, participent à alimenter ce secret. Ils ferment les yeux sur Israël et se focalisent sur l’Iran qu’ils diabolisent. Pourtant, l’Iran a adhéré au TNP, ce qui n’est pas le cas d’Israël. M. Chagnollaud a montré que ces deux pays ont deux histoires et deux situations très différentes en matière nucléaire, l’attention portée à l’un ne devant pas prendre le pas sur celle portée à l’autre.
Concernant l’accord sur les programmes nucléaires iraniens conclu entre l’Iran, les pays membres du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Allemagne, il a souligné que ce texte était « important » car il permettait à la communauté internationale d’y « voir clair » sur les contrôles à mettre en place dans cette région du monde.
Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, président de Pax Christi : « Le désarmement nucléaire est un chemin de paix ».
Mgr Marc Stenger a souhaité rappeler que la position de son organisation Pax Christi repose sur « la ligne directrice forte donnée par le Saint-Siège, c’est-à-dire l’élimination des armes nucléaires » qui seule permettra de fonder la paix et la sécurité internationale. Les travaux menés par son organisation reposent principalement sur la question de l’adéquation de l’éthique et de la dissuasion. Interrogé sur le peu d’intérêt que portent les français à ce sujet, Mgr Marc Stenger reconnaît que l’on ne parle pas assez de cette problématique, mais « cela ne veut pas dire que personne ne s’y intéresse pour autant ! ». La question qui lui semble la plus pertinente est en réalité : « pourquoi cette absence d’intérêt apparent ? » et quelle est la réalité du consensus sur la possession de la dissuasion ? Ainsi, s’il reconnaît « que beaucoup de catholiques sont très favorables à cette force », il souligne que même cette affirmation devrait être vérifiée pour pouvoir pleinement la mesurer. Par ailleurs, l’absence d’information disponible pour alimenter un autre type de réflexion en faveur du désarmement fausse les termes du débat : elle donne un sentiment d’acceptation globale de la politique d’armement nucléaire. C’est pourquoi Pax Christi essaie d’apporter des éléments pour nourrir ce débat et faire en sorte que l’opinion s’exprime, « permettant ainsi d’aider à casser cette idée du secret qui entoure la dissuasion ». Un « secret » qui ne produirait rien d‘autre « qu’une insécurité constante ». Le manque d’information est donc au fond « un problème de démocratie » sur lequel les responsables politiques devraient, selon Marc Stenger, fortement s’interroger.
À la question : comment parvenir à une sécurité entière ? Mgr Marc Stenger a répondu que la voie qui y mène passe par le désarmement. Il a, à ce propos, souhaité rappeler trois grands principes : Premièrement « la paix et la sécurité ne sont jamais acquises ». C’est une erreur de considérer l’armement nucléaire comme une garantie absolue, car « la seule possibilité offerte pour construire la paix c’est le dialogue entre les pays ». Deuxièmement « les pays détenteurs de l’armement nucléaire ont une responsabilité particulière par rapport à la paix ». Ils ne doivent pas se déterminer en raison de leurs intérêts nationaux de sécurité, mais d’après ce qu’exige le bien commun. Enfin, troisième principe : « la vraie garantie de la paix et de la sécurité internationale n’existe que s’il y a un accès de tous au développement et aux droits fondamentaux ».
Eric Danon : « Il y a une indétermination fondamentale de la dissuasion nucléaire ».
Éric Danon, Directeur Général adjoint des Affaires Politiques et de Sécurité au ministère des Affaires étrangères, a participé au débat sur le thème « Sécurité internationale et désarmement nucléaire ». Représentant la voix de la France, il a déploré le fait qu’au-delà des positions différentes et parfois très opposées des uns et des autres, « il est très difficile en France de mobiliser pour débattre publiquement de ces questions de nucléaire militaire ». Concernant le thème du débat, il a souligné son côté « problématique ». D’une part en raison des récentes évolutions internationales, comme l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, dont les propos contradictoires et l’imprévisibilité sèment le doute au sein de la communauté internationale et alimentent d’autant plus le débat sur le désarmement nucléaire. D’autre part, à cause des incertitudes qui planent toujours autour de l’utilité et de l’efficacité de la dissuasion nucléaire, à savoir si elle a réellement permis, jusqu’ici, d’empêcher des conflits armés régionaux ou mondiaux de se produire, ou si son arrêt signifierait le retour de conflits majeurs : « On ne peut pas répondre » a-t-il affirmé. « On ne peut pas prouver que ce sont d’autres facteurs de paix qui ont été plus déterminants dans le maintien d’une stabilité relative entre les puissances ». Il y a selon lui une « indétermination fondamentale de la dissuasion nucléaire » qui ne permet pas de répondre à la question concernant son utilité, et cette problématique est tout l’enjeu du débat.
Par la suite, Éric Danon a nuancé les effets que pourrait avoir un désarmement nucléaire sur la paix et la stabilité internationale. Premièrement, la fin de la dissuasion nucléaire doit être réfléchie plus en profondeur : « on ne désapprendra pas la bombe » a-t-il dit ; « on ne peut aller vers un désarmement nucléaire complet si l’on n’a pas résolu la question de la résurgence possible de l’arme atomique […]. On n’oubliera pas la bombe et on ne sait pas faire en sorte qu’elle ne revienne pas ». Deuxièmement, un monde sans dissuasion nucléaire ne serait pas forcément synonyme d’une plus grande sûreté, puisque les pouvoirs militaires seraient redistribués entre les pays en fonction de leur puissance d’industrie d’armement, ce qui entraînerait à son avis le « retour de la course aux armements conventionnels ». M. Danon considère que de tels éléments entraîneraient de puissants déséquilibres au sein du système international.
Il est ensuite revenu, dans la deuxième partie de son intervention, sur les « trois évolutions du contexte international » qui doivent permettre d’éclairer le débat sur le désarmement nucléaire. La première évolution concerne la non-prolifération nucléaire, menacée par l’incertaine pérennité des accords de Vienne sur le nucléaire iranien, étant donné les déclarations très négatives du Président Trump à son égard. Une menace également alimentée par la Corée du Nord, dont les essais nucléaires menés au cours des dernières années montrent une détermination à se doter d’un arsenal nucléaire, et par le Pakistan qui modernise son arsenal et « entretient le flou s’agissant de sa doctrine nucléaire dirigée contre son voisin indien ». La deuxième évolution porte sur la fragmentation du monde, qui voit les frontières s’ériger à nouveau, sur la place et le rôle que va avoir l’arme nucléaire dans cette période post-mondialiste où le multilatéralisme est sérieusement remis en cause par de nombreux leaders internationaux, tels que Donald Trump et Vladimir Poutine. Enfin, la troisième évolution est la campagne internationale contre les armes nucléaires, qui se base selon lui sur deux grands arguments pour délégitimer la dissuasion nucléaire : « soit la bombe est dangereuse, soit la bombe est inutile puisqu’elle ne servira jamais ».
Il a tenu à souligner les faiblesses, selon lui, de l’approche humanitaire de cette campagne, et à démontrer que la dissuasion nucléaire ne bénéficie pas seulement à un « ordre nucléaire » de 9 États, mais à un bien plus large groupe d’États non nucléaires qui tirent profit de la dissuasion nucléaire dans le cadre d’alliances bilatérales et multilatérales.
Au vu des multiples éléments qu’il a mentionnés, Eric Danon a conclu en affirmant que le monde réel dans lequel nous vivons et vers lequel nous nous dirigeons est un monde où « le nucléaire n’est pas prêt d’être absent ».
Béatrice Fihn : «Il est maintenant grand temps pour les armes nucléaires, les plus destructrices des toutes les armes, d’être interdites «
Après avoir présenté le sens de la Campagne Internationale pour Abolir les Armes Nucléaires menée par ICAN (1), ONG dont elle est la directrice depuis 2014, Beatrice Fihn a souligné le côté inhumain et immoral des armes nucléaires, en décrivant les conséquences humanitaires qu’aurait l’utilisation de ces armes sur les populations civiles. A travers ces atroces dégâts, c’est l’aspect immoral que revêtent les armes nucléaires qui doit être le fer de lance et le principal argument d’une campagne visant à leur interdiction. « Les effets immédiats d’une seule arme nucléaire vont bien au-delà de ce qui peut être considéré comme acceptable », dit-elle. Les conséquences ne s’arrêtent pas aux innombrables pertes humaines, car si survivants il y a, les traces irrémédiables de l’utilisation de ces armes sur l’organisme se chargeront de les tuer et de détruire l’environnement dans lequel nous vivons. L’emploi d’une seule de ces armes serait un drame humain considérable, auquel aucune réponse humanitaire adéquate ne pourrait être apportée. Béatrice Fihn désigne les armes nucléaires comme les plus destructrices et les plus inhumaines jamais créées.
Toutes ces conséquences sont les raisons de l’engagement d’ICAN pour l’abolition des armes nucléaires par le droit international, tout comme l’ont été auparavant d’autres armes de destruction massive telles que les armes chimiques et biologiques. « La grande majorité des pays du monde considère qu’il est maintenant grand temps pour les armes nucléaires, les plus destructrices des toutes les armes, d’être interdites » estime Béatrice Fihn. L’objectif affiché est de légiférer au niveau international sur une interdiction de toutes les activités associées aux armes nucléaires comme leur usage ou leur possession, en vue de parvenir dans un second temps à leur élimination progressive. Ce traité viendrait donner du sens et renforcer des textes internationaux déjà existants comme le Traité de Non-Prolifération Nucléaire (TNP). Beatrice Fihn rappelle qu’un processus allant dans ce sens est en cours au sein des instances onusiennes, après que l’Assemblée Générale des Nations Unis (AGNU) ait adopté en Octobre 2016, par une très large majorité de gouvernements, une résolution (L.41) visant à ouvrir en 2017 des négociations pour un traité interdisant les armes nucléaires. Elle assure qu’ICAN jouera pleinement son rôle et travaillera pour obtenir ce traité historique.
Pour clôturer son intervention, Mme Fihn s’est inquiétée de la position de la France, qui ne va pas prendre part à ce processus de négociations, et qui a fait du lobbying à l’AGNU pour inciter d’autres pays, en particulier les Etats africains francophones, à ne pas voter en faveur de la résolution L.41. Elle a condamné cette position « honteuse », qu’elle considère comme un « boycott des négociations », jugeant qu’elle pourrait « jeter le doute sur l’engagement de la France pour le désarmement nucléaire, le Traité de Non-Prolifération Nucléaire et le droit humanitaire ». La directrice d’ICAN invita alors les français à s’engager en faveur de l’interdiction des armes nucléaires.
(1) ICAN est une coalition mondiale qui vise à mobiliser les citoyens de tous les pays pour inspirer, persuader et faire pression sur leurs gouvernements afin de lancer et de soutenir des négociations en faveur d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. La campagne a été lancée en 2007 et a maintenant plus de 300 partenaires actifs dans 93 pays.
Jean-Marie Collin, directeur du PNND France/pays francophones (1), Vice-président IDN : « il n’est plus possible dans un État démocratique comme la France, que seul existe un espace de dialogue sur et pour la dissuasion ».
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, selon Jean-Marie Collin, le sujet « dissuasion nucléaire » est bien présent dans la sphère des débats politiques, parlementaires et médiatiques. Pour preuve, il suffit de voir comment l’ancien chef du gouvernement M. Valls a encensé le concept de dissuasion : « Pendant toute la guerre froide, la France a fourni un effort considérable pour ne pas être distancée par les deux grandes puissances de l’époque. Mais désormais elle fait la course en tête pour les technologies de dissuasion » (2l; de relire certains propos tenues par Patricia Adam la Présidente de la commission de la défense : « la dissuasion n’est pas absente du débat public et il n’existe aucune interdiction de principe d’en débattre » ; ou encore simplement de voir comment les médias mettent en avant le concept de dissuasion et ignorent totalement toutes les autres notions liées à ce sujet : le désarmement, les conséquences humanitaires, les risques et dangers. Car, indique-t-il, telle est « la réalité du débat en France : il ne porte que sur le concept de dissuasion ». Ce manque de débat sur le sujet désarmement, crée un problème de compréhension, car « en ne parlant jamais de ce sujet, on ne peut pas créer une profonde réflexion ». Pour lui en effet, si l’on observe le débat parlementaire, il y a « une volonté de se concentrer sur les systèmes d’armes, les enjeux industriels, la doctrine et l’emploi. ». Les conférences sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, ou encore les engagements juridiques que la France a accepté de prendre au nom du TNP, ne sont jamais abordés. De ce fait il souligne « qu’il n’est plus possible dans un État démocratique comme le nôtre, que seul existe un espace de dialogue sur et pour la dissuasion ». En effet, « comment pouvoir réfléchir, pratiquer, proposer une politique de désarment nucléaire si l’on écarte volontairement cette notion de désarmement de tous les débats, et si les principaux acteurs politiques et diplomatiques ne participent pas aux conférences de l’ONU, en pratiquant la politique de la chaise vide ? »
Ainsi, il est temps d’avancer, précise-t-il ; car « il faut regarder de front le problème posé par les armes nucléaires », personne ne pouvant nier par ailleurs que ces armes comportent des problèmes de sécurité. Pour cela il propose que la diplomatie française participe aux sessions de la conférence de négociation de 2017 sur le traité d’interdiction des armes nucléaires. Du côté des parlementaires, il les engage par exemple à se rendre à l’ONU pour suivre cette conférence de négociations ou encore à élargir le « champs des futures missions d’information » qui porteront sur ces sujets, en auditionnant de manière égale tant des industriels que des experts favorables au désarmement nucléaire… C’est seulement, dit-il, une fois dépassée cette frontière de la compréhension du sujet « désarmement », qu’il sera plus aisé de pouvoir l’envisager et d’admettre que « les armes nucléaires sont présentes uniquement de façon temporaire, ce type d’arme n’ayant pas vocation à rester ad vit æternam ».
(1) Les Parlementaires pour la Non prolifération et le Désarmement Nucléaire (PNND) est un forum non partisan, réunissant des parlementaires aux niveaux national et international, qui échange des ressources et des informations, qui développe des coopérations et des stratégies relatives au désarmement et qui participe à des initiatives et des évènements sur la non-prolifération et le désarmement nucléaire.
(2) Discours de Manuel VALLS, Premier ministre, Le Barp, 23 octobre 2014.
Ambassadeur Macaya, ambassadeur du Costa Rica à Paris : « notre doctrine de défense est basée sur le dialogue, la négociation entre les États et le droit international ».
L’ambassadeur a débuté son intervention en rappelant que « le désarmement nucléaire est un des piliers de la politique étrangère » du Costa Rica depuis plusieurs décennie. Par exemple en 1997, cet État a proposé à l’ONU un modèle de Convention relative aux armes nucléaires, qui fut réactualisée avec le soutien de la Malaisie en 2008. Poursuivant la description des nombreuses actions de son pays, l’ambassadeur souligna à quel point le Costa Rica fut « une force motrice sur la mise en œuvre des conférences sur les conséquences humanitaires » (en 2013 et 2014). Une participation qui venait en parallèle du rôle déjà tenu par sa diplomatie qui présidait alors, en 2013, le premier Groupe de travail à composition non limitée (OEWG) pour faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire à l’ONU.
Il était important pour l’ambassadeur Macaya de rappeler que le Costa Rica a abandonné il y a presque 70 ans son armée. Depuis « notre doctrine de défense est basée sur le dialogue, la négociation entre les États et le droit international ; ceci est un accomplissement très prisé par les costaricains ». L’interdiction de l’armée est donc un trait culturel de cet État. Mais « l’abolition constitutionnelle des forces armées en 1948 ne fut que l’aboutissement d’un long processus initié dès 1860 avec les priorités données en faveur de l’éducation et de la santé, puis en 1921 avec la réduction drastique du budget militaire. » Du fait de ce long processus de construction, le Costa Rica ne doit plus s’interroger pour savoir où mettre son budget « entre l’armée et une alliance militaire » mais est « déchiré entre augmenter son budget sur l’éducation ou lutter pour la réduction stratégique de la pauvreté ».
Après cette explication historique essentielle pour comprendre la pratique politique du Costa Rica, l’Ambassadeur Macaya s’est exprimé sur l’importance du Traité de non prolifération nucléaire (TNP). Il insista pour que « la non prolifération comme le désarmement nucléaire soient réalisés pleinement et de manières égales » ; ces deux piliers étant essentiels pour la bonne mise en œuvre de ce traité. Il souligna qu’il était préoccupé par l’absence de progrès sur ce pilier désarmement, mais encore plus par « les déclarations récentes qui réaffirment l’importance de la dissuasion dans les doctrines de défense ». Des annonces qui ne peuvent qu’affecter la bonne marche du TNP, voire « encourager la prolifération ! »
Ainsi, convaincu que la paix et la sécurité internationale ne peuvent pas s’établir avec l’existence de doctrines de dissuasion et de destruction mutuelle assurée, l’ambassadeur souligna que c’est « à nous les États sans armes nucléaires, en plus des petits États, avec la société civile, de préconiser l’interdiction totale de ce type d’arme », la mise en œuvre du TNP et d’obtenir enfin l’universalisation du TICE. Évidemment, avec cette posture costaricaine, il était logique, souligna-t-il, que cet État soit un des commanditaires de la résolution L.41, votée à une large majorité en décembre 2016. Une résolution qui convoque sur 2017 une conférence des Nations Unies chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires et aboutir à leur complète élimination. Il conclut son intervention sur le message d’avoir « un sentiment d’urgence » et d’être « convaincu que le désarmement nucléaire nous permettra d’obtenir enfin cette sécurité internationale ».
Cette conférence a été organisée avec le soutien de
NTI (Nuclear Threat Initiative)
Une réponse
Rendons grâce à M Éric Danon, le petit télégraphiste du Ministère des affaires étrangères, pour avoir eu le courage de participer à ce débat, et admirons sa rhétorique qui lui a permis de l’éluder en refusant de nous expliquer pourquoi la France, avec les autres « nucléaristes » forcenés, a rejeté la proposition de l’ONU de 2017 préparant l’interdiction des bombes atomiques, tout en affirmant machiavéliquement que notre pays participait au désarmement. Mais manier la contradiction toute honte bue ne lui a pas suffit, il s’est aussi fait le faux ventriloque des défenseurs de la raison et du droit en caricaturant ce qu’il appelle les deux grands « arguments pour délégitimer la dissuasion nucléaire » : « soit la bombe est dangereuse, soit la bombe est inutile puisque elle ne servira jamais ». Il ne s’agit tout d’abord en rien de « délégitimer » la dissuasion nucléaire, elle ne le peut pas car elle n’a jamais été légitime, et ceci depuis la première résolution de l’assemblée générale des Nations Unies du 24 janvier 1946, qui avait proposé d’éliminer ces instruments de destruction massive. Ensuite, ce ne sont pas des « arguments » mais bien des FAITS que présentent ceux qui exigent, depuis plus de 70 ans, que soit respectés le droit et les engagements internationaux, y compris le droit de la guerre: oui, les « armes atomiques » sont dangereuses, le nier est une ineptie et c’est en même temps nier une soi-disant stratégie que l’on tente maladroitement de défendre. Elles le sont de fait non seulement par leurs effets de menace criminelle sur des populations civiles, mais aussi par les accidents dont elles sont l’objet, les exemples sont multiples. De même l’inutilité de ces bombes est un fait: la prétendue « utilité » relative au maintien de la paix est une imposture au regard de la situation internationale. Enfin le discours laisse entendre que cette dite « dissuasion » par la terreur atomique devrait perdurer indéfiniment, au seul profit de quelques nations en mal de puissance, tout en supposant que la prolifération pourrait être évitée, nouveau leurre. Ces dénis, ces contradictions, sont la preuve d’une tentation psychotique dont l’origine se trouve dans les crimes nucléaires, eux-mêmes déniés, de la fin de la deuxième guerre mondiale. Cette tentation reste entretenue par l’énorme machinerie institutionnelle et industrielle nucléaire qui tient sous sa coupe les dirigeants de nations nucléaires et leurs vassaux. Sortir de ce cercle vicieux devient une urgence. Seule une action internationale, soutenue par les peuples, alliant le volet juridique prévu par l’ONU et un projet de transition industrielle, avec une prise de conscience de cette psychose, ouvrira la voie à une solution durable. Espérons simplement que le drame nucléaire irréparable, tôt ou tard inéluctable, ne surviendra pas avant cette libération, ce retour de l’humanité à la raison. Les opérations de communication, comme cette conférence, y contribuent utilement.