L’idée est admirable, et emblématique des efforts de l’ONU pour hâter le désarmement de la planète. Mais en complet décalage, sans doute, avec son époque. Lundi matin se sont ouvertes à New York les négociations en faveur d’une interdiction complète des essais nucléaires. Ce processus inédit découle d’une initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2016, appelant de ses vœux un traité en ce sens. 123 pays participent à ces pourparlers, emmenés par l’Autriche, l’Irlande, le Mexique, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Suède. Ils désignent les armes nucléaires comme une menace majeure à la sécurité internationale, à l’heure où la planète est secouée par de nombreuses crises majeures, impliquant des puissances nucléaires.
Il existerait 16.000 ogives opérationnelles dans le monde, 90 % d’entre elles étant détenues par la Russie et les États-Unis. Le processus de désarmement initié en 1991 (START) a permis de réduire l’ampleur de l’arsenal, qui s’élevait à 75.000 têtes à la fin de la décennie précédente. Un tel traité d’interdiction avait déjà pu être finalisé en 2008 au sujet des armes à sous-munitions, et des mines antipersonnel en 1997. Le Traité de non-prolifération (1970), garant de l’architecture internationale de sécurité, établissait quant à lui une dichotomie entre les « ayants » et les autres. C’est ce club nucléaire très privilégié, auquel se sont adjoints l’Inde et le Pakistan en 1998, puis la Corée du Nord, malgré l’opprobre mondial, qui se trouve aujourd’hui sur la sellette au siège de l’ONU.
Malgré ce souffle universel, et le vernis de légitimité des Nations Unies, cerbères de l’humanité depuis 1945, près de quarante pays, cependant, ne participent pas aux débats. Parmi eux les neufs États détenteurs de l’arme nucléaire : États-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne, soit les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité, rejoints par Israël, Inde, Pakistan et la Corée du Nord.
Livrant un étonnant spectacle, des diplomates américains et français se sont exprimés devant la porte de l’hémicycle onusien, lundi, pour faire entendre leur voix dissonante. « Un jour, nous espérons être ici même pour l’abolition des armes nucléaires, a affirmé la représentante américaine à l’ONU, Nikki Haley. Mais, aujourd’hui, c’est impossible, car nous devons assurer notre sécurité ainsi que celle de nos alliés ». « Les conditions d’un traité d’interdiction ne sont pas réunies », car celui-ci est « incompatible avec l’approche progressive, pas à pas, du désarmement nucléaire », a assuré pour sa part Alexis Lamek, représentant adjoint de la France à l’ONU.
Ces déclarations « démontrent une grande nervosité » de la part des grandes puissances, commente Jean-Marie Collin, chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) de Bruxelles et membre de la campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), qui relève que la simple présence de ces diplomates devant la porte de la conférence expose « leur pleine reconnaissance de l’existence d’un tel projet », qu’ils auraient certes pu royalement ignorer.
« Ils n’ont aucun contre-argument, poursuit Collin. Comment argumenter contre une large majorité du monde qui se réunit pour interdire la dernière arme de destruction massive ? comment protester quand ils ne réalisent pas leur propre action de désarmement ? En protestant, ils se stigmatisent eux-mêmes et démontrent leur volonté de ne pas avancer sur le sujet du désarmement ».
« Cela dit, ajoute Jean-Marie Collin, ces États peuvent venir. La conférence leur est toujours ouverte. Il ne faut pas oublier cependant que ce ne sont pas les gens qui fument qui s’imposent des restrictions, mais ceux qui ne fument pas ! »
« La tendance est là, abonde Beatrice Fihn, directrice d’ICAN. Dans ce monde multipolaire, beaucoup de pays pensent qu’ils n’ont pas besoin d’attendre les grandes puissances pour agir ». « Cela va prendre du temps, ne soyons pas naïfs, reconnaît Margot Wallström, la ministre suédoise des Affaires étrangères. Mais c’est très important, surtout en ce moment, quand on assiste à toutes sortes de démonstrations de force incluant la menace d’utiliser l’arme nucléaire ». Elle faisait allusion aux bruits de botte dans la péninsule coréenne, ou aux propos de Donald Trump qui, en janvier, parlait de « renforcer l’arsenal nucléaire des États-Unis, afin de rester en tête de la meute » (sic). Et à la déception suscitée par les promesses non-tenues de l’Administration Obama.
Article de Maurin Picard, Journal Le Soir, Edition du 28 mars 2017