Tribune signée par
- Malcolm Rifkind, ancien Ministre britannique des Affaires étrangères et de la Défense
- David Owen, ancien Secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères
- Paul Quilès, ancien Ministre de la Défense, Président IDN
- Bernard Norlain, Général d’armée aérienne, Vice-Président IDN
Les attaques terroristes de la semaine dernière à Bruxelles, ainsi que celles en Turquie et au Pakistan, mettent en lumière une fois de plus la menace à laquelle nous sommes tous confrontés. Il existe une profonde inquiétude devant le risque que le soi-disant État Islamique ou d’autres groupes terroristes parviennent à obtenir des matières nucléaires ou radioactives pour fabriquer une « bombe sale » ou qu’ils attaquent ou sabotent une centrale nucléaire. En cas de réussite, il y aurait de nombreuses victimes, une panique et des répercussions durables sur l’économie et la sécurité.
Après les attentats de Paris en Novembre 2015, un suspect, lié à ces attaques, a été trouvé en possession de plusieurs heures d’enregistrement de vidéo concernant un haut fonctionnaire qui travaille dans une centrale nucléaire belge. Dans un pays qui a connu malheureusement de nombreuses failles dans la sécurité nucléaire (tentative de sabotage de la centrale nucléaire de Doel en 2014, plusieurs intrusions d’activistes sur la base aérienne de Klein Brogel, où sont stationnées des armes nucléaires américaines), l’implantation forte d’un réseau terroriste est inquiétant. Les mesures de sécurité ont été renforcées dans les centrales nucléaires en Belgique et en France, mais des mesures doivent être prises pour sécuriser toutes les matières et les installations nucléaires ou radiologiques afin d’empêcher tout acte de terrorisme nucléaire.
Au cours des six dernières années, l’amélioration de la sécurité nucléaire a fait partie d’engagements politiques au plus haut niveau. En 2009, le Président Obama a présenté le terrorisme nucléaire comme « la menace à la sécurité mondiale la plus immédiate et la plus extrême » et il a appelé à « un nouvel effort international pour sécuriser toutes les matières nucléaires sensibles à travers le monde dans les quatre ans ». Ces travaux ont abouti à un quatrième et dernier Sommet sur la Sécurité Nucléaire, qui se tient aujourd’hui à Washington, où plus de 50 chefs d’Etats sont réunis pour discuter des progrès réalisés.
Depuis le premier Sommet de 2010, des mesures ont été prises pour sécuriser et éliminer les matières fissiles dites de « qualité militaire » des lieux potentiellement vulnérables. Cela inclut :
– le renforcement des contrôles aux frontières nationales afin de réduire le trafic illicite ;
– le retrait de toutes les matières nucléaires utilisables pour des armes (uranium hautement enrichi ou plutonium) dans 12 Etats ;
– l’enlèvement ou l’élimination de 3,2 tonnes d’autres matières nucléaires ;
– enfin l’amélioration de la sécurité physique de 32 bâtiments qui stockent des matières nucléaires utilisables à des fins militaires.
En dépit des efforts réalisés, l’objectif de sécuriser toutes les matières et installations nucléaires n’a pas été atteint. Plusieurs questions importantes restent en suspens.
Premièrement, il n’y a pas de système global unique pour gérer toutes les matières nucléaires, ni aucune surveillance internationale pour suivre les progrès et vérifier le respect par les Etats de leurs obligations en matière de sécurité.
Deuxièmement, il n’y a aucun mécanisme obligatoire pour tenir responsables les Etats du manque de sécurité de leurs installations nucléaires.
Troisièmement, la mosaïque de recommandations en place et les mécanismes qui existent ne sont applicables que pour les matières utilisées à des fins civiles, qui ne représentent que 17% des matières nucléaires utilisables pour des armes. Les 83% restants sont classés comme des « matières militaires » et ne sont soumis à aucune norme de sécurité internationale.
Enfin, comme le mentionne l’organisation Nuclear Threat Initiative dans son « indice de la sécurité nucléaire », les Etats sont peu préparés à protéger leurs installations nucléaires contre les cyber attaques, qui peuvent être aussi un moyen d’action pour les terroristes, les hackers, ou encore pour certains Etats. Ces attaques pourraient rendre aveugles les systèmes critiques, ce qui conduirait à un rejet radiologique significatif à la suite d’un accident ou qui permettrait le vol de matières nucléaires après la désactivation des systèmes de sécurité.
Après ce quatrième er dernier Sommet sur la Sécurité Nucléaire, on peut craindre que, sans le leadership du Président Obama, les progrès s’arrêtent. Une grande partie de ces progrès dépendait jusqu’à présent des engagements volontaires des Etats et de gestes de bonne volonté, dans le cadre du processus de ce Sommet organisé par les États-Unis. Devant l’absence de planification de prochains sommets et l’incertitude sur l’intérêt de la future administration américaine, on peut être inquiet de l’avenir de ce mode d’action. Le message qui sortira de ce Sommet doit être que la sécurité nucléaire reste une préoccupation mondiale et qu’elle doit continuer à être encouragée par un groupe significatif d’Etats, et pas seulement par les États-Unis.
Tant que persiste la menace du terrorisme nucléaire, les efforts pour sécuriser et réduire l’utilisation des matières nucléaires et radiologiques dans des armes doivent se poursuivre. Cela inclut la tenue de réunions régulières d’experts et d’industriels, ainsi que des réunions entre hauts fonctionnaires d’Etat.
Les conséquences mêmes d’un seul acte de terrorisme nucléaire seraient catastrophiques. Pour combattre cette menace, il est dans notre intérêt commun de mener un travail sérieux et soutenu. Il s’agit d’une priorité collective mondiale.