Tribune de Michel Drain
parue sur le site de La Croix le 2 octobre 2016.
L’Université d’été traditionnellement organisée par les présidents des commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, les 5 et 6 septembre, a donné aux différents lobbys de la défense l’occasion de faire valoir leurs intérêts sans que ceux-ci soient toujours en phase avec les réels besoins de sécurité du pays. Un certain corporatisme militaire s’y est allié avec les porte-parole des industries d’armement pour demander une hausse substantielle du budget de la Défense, ce qui le ferait passer d’ici 2020, de 32,7 à 41 milliards d’euros.
Notre environnement stratégique, notre participation à de nombreuses opérations extérieures et nos engagements dans le cadre de l’OTAN, rendent sans doute inévitable un certain accroissement des dépenses de défense. Il est en revanche extrêmement surprenant, pour ne pas dire choquant, que cet accroissement serve d’abord à financer un doublement de la part du nucléaire dans le budget de la Défense.
En effet, la préoccupation essentielle des tenants du « budget militaire à 2 % du PIB » est en réalité de garantir la « modernisation » d’ensemble des forces nucléaires. Ce projet a un coût considérable : plus de six milliards d’euros annuellement, soit le double de l’effort actuel. Lorsque notre association, IDN, avait publié ce chiffre, les experts et les autorités militaires ou gouvernementales avaient refusé de le confirmer : la vérité sur le coût de l’arme nucléaire transpire seulement maintenant.
Un danger pour la paix
Pour une large part, ces nouveaux programmes doivent rendre les armes nucléaires plus précises, d’une puissance réglable en fonction des objectifs retenus et donc plus utilisables dans des scénarios dits de « rétablissement de la dissuasion ». C’est donc la guerre nucléaire qui se prépare, en France comme aux États-Unis ou en Russie. Il s’agit non seulement d’un danger pour la paix et pour l’existence même de l’humanité, mais aussi d’une violation flagrante du traité de non-prolifération (TNP) qui oblige les États nucléaires signataires à mener « de bonne foi » des négociations en vue de la cessation de la course aux armements nucléaires « à une date rapprochée » Que dirait-on si des États non nucléaires prenaient autant de liberté avec la lettre et l’esprit du TNP ?
La France de ce fait s’engage dans une nouvelle course aux armements nucléaires sans aucune légitimité stratégique et sans aucun débat public ou parlementaire, alors que nos besoins de sécurité réclament de nouveaux concepts et de nouveaux moyens. C’est donc une autre politique de sécurité et de défense qu’il convient de suivre : une politique centrée sur les menaces réelles auxquelles notre pays est confronté ; cohérente avec une diplomatie de paix visant la résolution des conflits générateurs de terrorisme ; en harmonie enfin avec une stratégie résolue de désarmement écartant les risques grandissants de guerre nucléaire.
Michel Drain
Membre du Bureau d’IDN et de Justice et Paix