Dans une tribune publiée par le JDD le 2 juillet, l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès, le général d’armée aérienne Bernard Norlain et l’ancien diplomate Marc Finaud, tous trois membres d’IDN (Initiatives pour le Désarmement Nucléaire), dénoncent la « contradiction majeure de la politique de la France » : faire valoir le multilatéralisme et son refus de signer le traité d’interdiction des armes nucléaires.
Dans un entretien au Figaro le 26 juin dernier, le Représentant permanent sortant de la France aux Nations unies, François Delattre, se livre à un impressionnant plaidoyer en faveur du multilatéralisme. La France, affirme-t-il, est ‘l’Etat le plus engagé pour soutenir et refonder’ cette conception collective des relations internationales. Cette vision idyllique cache en réalité l’une des contradictions majeures de la politique étrangère de la France, celle qui repose sur la dissuasion nucléaire et rejette le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) pourtant adopté par la majorité des Etats à l’initiative de la société civile.
La politique étrangère française actuelle est affectée par une forme d’autisme
En quittant son poste d’Ambassadeur auprès de l’ONU, le diplomate français s’était déjà exprimé le 13 juin dans les colonnes du New York Times pour fustiger la politique unilatéraliste de l’administration Trump, fondée sur la force et le rejet des traités internationaux. Pour ‘lutter contre le terrorisme, empêcher la prolifération nucléaire, gérer les crises et protéger nos enfants de la tragédie environnementale qui s’annonce’, le monde a besoin, affirmait-il, non seulement d’un engagement fort des Etats-Unis, mais aussi ‘de nouvelles formes de multilatéralisme adaptées au temps présent’. Analyse lucide et louable.
Dans Le Figaro, François Delattre rend aussi hommage au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour avoir notamment ouvert l’ONU à la société civile, car nous sommes dans un ‘monde post-westphalien où les Etats ne sont plus les seuls acteurs du jeu international’. Il se félicite également de la coopération franco-allemande au Conseil de sécurité, qui a ‘permis de porter ensemble des priorités importantes, notamment le respect du droit international humanitaire et, plus largement, la défense du multilatéralisme’. Autant d’objectifs qui méritent d’être salués.
La France a perdu toute légitimité pour prétendre promouvoir le ‘respect du droit international humanitaire’
Pourtant, le diplomate français est à l’image de la politique étrangère définie par le Président de la République qu’il met en œuvre : affectée par une forme d’autisme ou de vision sélective. Ainsi oublie-t-il que l’un de ses collaborateurs avait été dépêché aux côtés de l’ambassadrice de Donald Trump, Nikki Haley, pour intimider les diplomates qui entendaient négocier le traité d’interdiction des armes nucléaires dans le cadre on ne peut plus multilatéral de l’Assemblée générale de l’ONU. Comme les Etats-Unis et les autres puissances nucléaires, y compris la Corée du Nord, la France a boycotté ces négociations, lesquelles résultaient pourtant d’une campagne de la société civile récompensée par le Prix Nobel de la Paix en 2017.
Elle n’a eu de cesse, depuis l’adoption du Traité par 122 Etats membres de l’ONU, de stigmatiser ce choix, voire d’exercer des pressions indignes sur les pays enclins à le signer. Arc-boutée sur la vision étroitement nationale de sa sécurité reposant sur la capacité d’exterminer des millions de civils innocents, elle a perdu toute légitimité pour prétendre promouvoir le ‘respect du droit international humanitaire’. Sans parler de la ‘tragédie environnementale’ qui résulterait du recours aux armes nucléaires.
Comment ne pas reconnaître que le TIAN constitue précisément l’une de ces ‘nouvelles formes de multilatéralisme adaptées au temps présent’ préconisées par François Delattre : l’ambition de démocratiser le système dominé par les cinq Membres permanents du Conseil de sécurité, aujourd’hui incapables de résoudre les conflits et d’honorer leur engagement* de désarmement nucléaire vieux d’un demi-siècle ?
La France a ainsi inventé la ‘défense du multilatéralisme’ à géométrie variable. »
* Article VI du TNP (Traité de Non-Prolifération nucléaire)