Corées : un petit pas vers la dénucléarisation ?

C’est une première dans le dossier nucléaire nord-coréen : mercredi 19 septembre, Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord, a pris des mesures concrètes en faveur de la dénucléarisation de la péninsule coréenne lors d’un sommet à Pyongyang avec son homologue sud-coréen, Moon Jae-in. Pourtant, alors que les négociations avec les Etats-Unis sont au point mort depuis juin, ces engagements sont à relativiser. Ils demandent peu de concessions à la Corée du Nord qui essaie de maximiser ses profits en opposant dans les négociations Washington et Pékin.

Article de Solène Vizier

Mercredi 19 septembre à Pyongyang, Kim Jong-un, le leader de la Corée du Nord, s’est engagé pour la première fois à prendre des mesures concrètes en vue de la dénucléarisation de la péninsule coréenne. À l’occasion d’une conférence de presse conjointe avec son homologue sud-coréen Moon Jae-in, Kim Jong-un a accepté de fermer de façon permanente son pas de tir de missiles et site d’essai de moteurs de missiles de Tongchang-ri (Sohae) en présence d’inspecteurs internationaux. Il a réitéré les engagements pris lors de la Déclaration de Panmunjom, signée entre les deux leaders coréens en avril dernier, précisant que celle-ci servirait de socle à une nouvelle ère de paix dans la péninsule coréenne.

Un climat apaisé…

Les deux Corées ont également confirmé un accord militaire attendu, interdisant les exercices d’artillerie de grande envergure et les vols militaires près de la zone démilitarisée (DMZ). Des postes avancés dans cette zone seront supprimés avant le mois de décembre et des zones tampons seront établies le long de la DMZ. À Panmunjeom, le personnel du poste frontalier sera désarmé et la “joint security area” (zone de sécurité commune) sera nettoyée de ces mines d’ici le mois prochain. En outre, les deux Corées ont convenu d’un certain nombre d’initiatives bilatérales, comme l’organisation de réunions régulières de familles séparées par la guerre de Corée, la reconnexion des réseaux routiers et ferrés entre le Nord et le Sud et la possibilité d’une candidature commune pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2032. Kim Jong-un est allé plus loin en envisageant la fermeture du site nucléaire de Yongbyon, qui abrite le seul réacteur nucléaire du pays et des installations de recherche, si les Etats-Unis acceptaient de prendre des mesures d’égale proportion. S’il n’est pas possible de faire la paix en quelques mois, la troisième rencontre depuis avril en Kim Jong-un et Moon Jae-in montre bien la dynamique positive qui souffle actuellement sur la péninsule coréenne et le rêve d’un traité de paix mettant fin à la guerre de Corée (1950-1953) n’a jamais été aussi proche.

Le président américain Donald Trump a salué des « progrès extraordinaires » et les Etats-Unis se sont dit prêts à reprendre immédiatement les négociations en vue de la dénucléarisation de la Corée du Nord. Il rencontrera Moon Jae-in en marge de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU à New-York cette semaine, et le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a proposé de s’entretenir avec Ri Yong Ho, l’ambassadeur de la Corée du Nord. Pourtant, sur le fond, rien n’est réglé. Certes, le climat est à l’apaisement avec une année 2017 marquée par les essais nucléaires menés par Kim Jong-un et l’escalade verbale qui en a résulté entre le leader nord-coréen et Donald Trump.

… mais des négociations dans l’impasse

Kim Jong-un a pourtant multiplié les signes d’apaisement ces dernières semaines. Comme promis, il n’a pas repris ses essais nucléaires et a détruit les tunnels d’accès à son site d’essais nucléaires de Punngye-ri. Lors de la grande parade militaire organisée début septembre pour le 70e anniversaire de la Corée du Nord, le régime s’est, pour la première fois, abstenu de présenter ses missiles balistiques intercontinentaux que la communauté internationale lui interdit. Mais, en coulisses, Kim Jong-un ne donne aucune garantie. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dévoilé fin août, Pyongyang a continué à extraire de l’uranium sur son site de Pyongsan et à faire tourner son complexe nucléaire de Yongbyon, violant ainsi les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. Selon les analystes américains, la Corée du Nord se serait même dotée de 3 à 5 bombes supplémentaires depuis juin. Elle poursuit également la construction de son réacteur à eau légère sur le site de Pyongsan.

Surtout, dans la pratique, les négociations sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne sont au point mort depuis juin. La déclaration signée entre Trump et Kim Jong-un en faveur d’une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ne valait pas accord et ne proposait ni modalité, ni calendrier. Fin août, Mike Pompeo a annulé sa visite en Corée du Nord, invoquant l’absence de progrès dans l’élimination de l’arsenal nucléaire nord-coréen et la réception d’une lettre jugée belliqueuse en provenance de Pyongyang. Les sanctions visant le régime ont été maintenues et les exercices militaires conjoints entre les troupes américaines et sud-coréennes pourraient reprendre. Les annonces de Kim Jong-un du 19 septembre sont également à relativiser. Si les images satellites montrent que le site de Tongchang-ri, principale installation de test de moteurs de missiles, est déjà en train d’être démantelé, ce n’est pas le seul pas de tir de la Corée du Nord, qui a eu recours depuis deux ans à une dizaine de sites secrets et à des lanceurs mobiles. Ce n’est donc pas une concession réellement coûteuse pour la Corée du Nord. La fermeture du site de Yongbyon est quant à elle soumise à des mesures de réciprocité de la part des Etats-Unis. Les conditions n’ont pas été précisées, mais quelques mesures sont envisageables : mettre fin officiellement à la guerre de Corée, lever au moins partiellement les sanctions internationales qui pèsent sur le régime, retirer les troupes américaines de Corée du Sud ou encore stopper la protection nucléaire américaine de Séoul et du Japon.

C’est là que le bât blesse. Pour les Etats-Unis, la dénucléarisation nord-coréenne doit précéder tout autre négociation, alors qu’un traité de paix signé conjointement par la Corée du Nord, la Corée du Sud, les Etats-Unis et la Chine est une condition préalable pour Kim Jong-un à tout processus de dénucléarisation. La dénucléarisation doit de plus concerner toute la péninsule, et donc le parapluie nucléaire américain sur la Corée du Sud. Selon les analystes, Kim Jong-un chercherait surtout à obtenir un allègement des sanctions en l’échange d’un simple gel, et non pas d’un démantèlement, de ses armes nucléaires. Le calendrier, enfin, reste incertain. Mike Pompeo désire une dénucléarisation rapide, qui devra s’achever « d’ici janvier 2021 ». À l’inverse, Kim Jong-un a toujours parlé d’un processus au long cours, et il semble que les études lui donnent raison. L’Université de Stanford a présenté en mai 2018 un rapport conduit par le professeur Siegfried Hecker. Ce rapport, très détaillé, estime la durée du processus de dénucléarisation complète de l’arsenal nord-coréen à au moins dix ans.

Une multitude d’acteurs qui complique les négociations.

Jusqu’alors, les négociations avaient pu progresser en raison de l’implication de l’ensemble de la communauté internationale vers un même objectif : circonscrire la menace de guerre nucléaire entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Mais le front international forgé en 2018 à l’ONU contre les programmes militaires et balistiques a explosé cet été, et s’est définitivement brisé ce lundi 17 septembre lorsque la représentante des Etats-Unis au Conseil de Sécurité de l’ONU a fustigé l’attitude de la Chine et de la Russie, les accusant de tricherie et de mensonges. Selon les américains, la Russie contournerait les sanctions pour aider la Corée du Nord en lui livrant du charbon et du pétrole. La Chine est accusée de bloquer les négociations américano-nord-coréennes en raison de la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis.

Il est vrai que la Chine joue depuis longtemps un double jeu dans le dossier nucléaire nord-coréen. Allié de longue date, partenaire diplomatique et économique principal de la Corée du Nord – c’est le seul pays avec lequel Pékin a signé un Traité de Défense en 1961 – et cosignataire de l’armistice de 1953, la Chine se considère comme un « partenaire indispensable pour atteindre les objectifs de paix et de prospérité sur la péninsule coréenne ». Kim Jong-un a cherché le soutien et l’appui du grand-frère chinois à plusieurs reprises au cours des négociations avec les Etats-Unis. La Chine joue ici un rôle de médiateur. Tout en maintenant une relation économique étroite avec la Corée du Sud, Pékin apporte un soutien important au régime nord-coréen sur les plans politique, économique et humanitaire. Elle défend ici trois objectifs qui servent ses propres intérêts : la stabilité de la péninsule – et donc de la région –, le dialogue intercoréen et enfin la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique. Cependant, ce troisième objectif n’est que subordonné aux deux premiers.

La Chine préfère un État nord-coréen nucléaire mais stable plutôt que dépourvu d’arme nucléaire mais instable. En effet, la Chine ne veut pas prendre le risque, en cas d’effondrement du régime nord-coréen au profit de la Corée du Sud, de voir des troupes américaines stationner à sa frontière nord-est. L’autre raison est économique : la Chine veut éviter un afflux massif de réfugiés nord-coréens dans ses régions frontalières, et souhaite la pacification de la région qui créerait un climat favorable à la poursuite du développement économique chinois. Dans ce dossier, la Chine joue donc un jeu d’équilibriste, en préservant ses intérêts en même temps qu’elle soigne son image internationale. C’est pour cette raison que Pékin a voté en faveur des sanctions économiques contre la Corée du Nord fin 2017, tout en évitant que les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies puissent justifier une intervention militaire et en conservant des liens économiques étroits avec Pyongyang pour mitiger l’effet des sanctions.

Dans ce jeu ambigu, la Corée du Nord utilise l’opposition croissante entre la Chine et les Etats-Unis pour maximiser les concessions des deux côtés. Si les deux acteurs semblent avoir la main sur la signature potentielle d’un traité de paix entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, mettant fin à la guerre de Corée, les deux puissances pourraient se voir peu à peu mises à l’écart du processus de dénucléarisation de la péninsule. Contrairement aux Etats-Unis, la Corée du Sud est parvenue à maintenir un rythme de négociations régulières avec la Corée du Nord. Preuve en est, Kim Jong-un pourrait se rendre à Séoul d’ici la fin de l’année 2018, ce qui serait une première pour un dirigeant nord-coréen depuis la fin de la guerre. Et un nouveau petit pas dans le long processus pour la paix et la dénucléarisation de la Corée du Nord ?

Solène Vizier

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