Beaucoup a été dit, écrit, commenté à propos de la décision de la majorité du peuple britannique de quitter l’Union Européenne. Il est par contre étrange que l’impact de cet évènement sur la force nucléaire de la Grande Bretagne n’ait pas encore été évoqué.
J’ai de la peine à imaginer que le Premier ministre David Cameron, instigateur imprudent du référendum, n’ait pas réfléchi à toutes les conséquences en série de ce vote négatif. C’est ainsi que l’indépendance de l’Ecosse, clairement revendiquée par la première ministre de l’Ecosse, Nicola Sturgeon (« le peuple écossais voit son avenir dans le cadre de l’Union européenne »), ne semble pas une hypothèse fantaisiste. En effet, dans le nouveau contexte, tout porte à croire que les Ecossais, qui ont voté non en septembre 2014 lors du premier référendum par peur d’une récession économique en cas d’indépendance, feront le choix contraire pour intégrer le marché économique européen.
Les Britanniques seraient alors dans l’obligation, dans les années qui suivront, de rapatrier leur arsenal nucléaire, actuellement basé à Faslane, à 40 Km de Glasgow. Le problème pour eux est qu’ils ne disposent d’aucune base sous-marine nucléaire « de rechange ». Pour construire une telle base, il leur faudrait investir plusieurs dizaines de milliards de livres dans des travaux d’infrastructure. Le poids de ces dépenses, qui s’ajouteraient au programme de modernisation des armements nucléaires, estimé à 41 milliards de livres, serait insupportable pour le budget britannique.
Il n’est pas impossible, dans ces conditions, que se dégage une majorité politique en Grande Bretagne choisissant l’abandon progressif de l’arsenal nucléaire. Cette voie, qui ferait disparaître le pays de la scène des puissances nucléaires, lui permettrait de retrouver un certain prestige international.
Mais cet évènement pourrait également avoir une influence sur la posture nucléaire de la France, une France qui s’accroche au concept de dissuasion et envisage une modernisation coûteuse de ses forces nucléaires. De très nombreuses décisions doivent être prises en ce sens dans les prochaines années. Il est certain qu’une diminution – voire un arrêt – de la dissuasion nucléaire britannique aurait un triple impact sur la force de frappe française :
– impact budgétaire : la remise en cause du traité de coopération sur le programme de simulation des essais nucléaires (projet Epure, Traité de Lancaster House) entraînerait une nouvelle augmentation du coût et un net ralentissement de ce programme, qui a pour but de moderniser les futures ogives nucléaires.
– impact sur la crédibilité des ogives : la perte de savoir-faire et de maîtrise de la capacité scientifique qui en découlerait pourrait remettre en cause la sécurité et le fonctionnement des ogives nucléaires.
– impact diplomatique : devenant la seule puissance nucléaire au sein de l’Union Européenne, la France pourrait être l’objet de pressions politiques de plus en plus fortes de la part des pays opposés à l’armement nucléaire.
Les responsables politiques devront aussi tenir compte de l’évolution du contexte international, qui pourrait se traduire, dans quelques mois, par le vote à l’Assemblée générale des Nations-Unies d’une résolution lançant la négociation d’un traité d’interdiction des armes nucléaires.
Il est à souhaiter que cette situation nouvelle fasse réfléchir en France ceux qui s’arc- boutent sur des concepts anciens et qui refusent tout débat sur la pertinence de l’armement nucléaire.
Si j’avais été un électeur britannique, je n’aurais certainement pas voté pour le Brexit, malgré les nombreuses et graves insuffisances du fonctionnement actuel de l’Union européenne. Par contre, militant pour le désarmement nucléaire et analysant l’effet que pourrait avoir le Brexit sur le nucléaire militaire, j’ai tendance à reprendre le proverbe qui dit « A quelque chose malheur est bon » !
Paul Quilès