Avec son tweet sur le « gros bouton », Trump n’est pas le seul à incarner l’arrogance des puissances nucléaires
Ces premiers jours de l’année ont vu s’intensifier la guerre des tweets entre le président Trump et son homologue nord-coréen. C’est à celui qui affirme détenir le plus gros « bouton nucléaire », risquant d’entraîner le monde vers la catastrophe. Ces menaces par « gazouillis » interposés ont en effet de quoi inquiéter, tant elles affaiblissent la prétendue assurance qu’offrirait la dissuasion nucléaire. Elles ont à juste titre fait grand bruit et suscité maintes condamnations.
Article de Marc Finaud paru dans le Huffington Post du 8 janvier 2018
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Un autre tweet, de la part d’un ambassadeur français, a moins attiré l’attention. Il a émané du représentant de notre pays au Brésil, pays connu pour son action exemplaire en faveur de la non-prolifération et du désarmement nucléaires. En réponse à un tweet des autorités locales sur leur bilan en la matière, et en particulier la signature du Traité d’interdiction des armes nucléaires par le président brésilien, l’ambassadeur ironise : « Affaiblit le Traité de non-prolifération (TNP), aide indirectement les proliférateurs, laisse de côté un régime de vérification crédible… Monnaie de singe (‘Fake Money’) … »
Certes le temps n’est plus à la componction ou à la révérence dans les ambassades, et tout diplomate se doit de communiquer par des moyens modernes. Mettons-nous toutefois à la place des autorités d’un grand pays tel que le Brésil: comment ne pas juger un tel tweet comme insultant? Il n’y a pas que la forme qui est en cause. Même si le nombre limité de caractères imposé par Twitter ne se prête pas à une argumentation détaillée.
Affirmer que le nouveau Traité d’interdiction adopté par les deux tiers des pays membres de l’ONU « affaiblit le TNP » (auquel ils restent en fait attachés) omet la raison principale pour laquelle il a été négocié: si le TNP est affaibli, c’est par le non-respect de leurs obligations de désarmement par les Etats dotés d’armes nucléaires, un demi-siècle après sa signature.
Prétendre que l’interdiction des armes nucléaires « aide indirectement les proliférateurs » ignore que ceux-ci n’ont pas besoin d’un tel traité: il leur suffit de suivre l’exemple des Etats dotés, qui proclament que leur sécurité dépend des armes nucléaires. De plus, vendre des Rafale (vecteur d’armes nucléaires) à un Etat ‘proliférateur’ tel que l’Inde ne l’aide-t-il pas aussi?
Faire semblant de croire que le nouveau traité « laisse de côté un régime de vérification crédible » est paradoxal: les puissances nucléaires qui auraient pu inclure un tel régime dans le traité ont boycotté la négociation. En fait, le traité d’interdiction n’est pas un accord de désarmement: il exige seulement que les pays non dotés d’armes nucléaires continuent d’appliquer au minimum les garanties actuelles de non-prolifération. Il laisse les Etats dotés qui accepteraient de désarmer le choix des mesures de vérification qu’ils auraient négociées entre eux et feraient valider par les Etats parties au nouveau traité. Si les puissances nucléaires étaient sérieuses dans leur promesse de désarmement nucléaire vérifiable, elles pouvaient utiliser depuis longtemps les cadres existants de négociation.
L’attitude de l’ambassadeur de France au Brésil ne fait que confirmer l’attitude arrogante des puissances nucléaires sûres de leur bon droit malgré un discours multilatéraliste, mais en réalité irritées de constater que la majorité des pays remet en cause la légitimité d’une arme aux conséquences humanitaires planétaires.
Marc Finaud
Membre du Bureau d’IDN