Depuis sa mise en place, le programme de modernisation des forces nucléaires américaines a été officiellement présenté au public comme nécessaire pour garantir la sûreté et la fiabilité des ogives nucléaires. Mais officieusement, les motivations de cette campagne de modernisation sont d’un autre ordre. Le Bulletin of the Atomic Scientists révèle en effet que les Etats-Unis améliorent depuis 2009, les capacités militaires des ogives W76-1/Mk4A, dont sont dotés les missiles balistiques Trident II, avec la mise en place d’une nouvelle technologie révolutionnaire appelée « super-fuze ».
Cette technologie introduit un nouveau détonateur qui multiplie par trois la force de frappe de ces ogives et accroit grandement leur précision. Force est de constater que les effets de cette révolution des capacités militaires de ces missiles sur la stabilité stratégique et la sécurité internationale ont été sous-estimés par les décideurs politiques. Les capacités largement augmentées de l’arsenal nucléaire américain avec cette technologie « super-fuze » permettraient aux sous-marins d’être dotés d’une capacité de ciblage et d’une puissance destructrice suffisante pour anéantir l’ensemble de l’arsenal nucléaire terrestre russe. Cette nouvelle capacité permet ainsi de disposer pour les missiles d’un champ d’action plus vaste qu’il ne l’était avant l’introduction de ce nouveau détonateur. Tous ces facteurs laissent penser que le risque de recours à l’arme nucléaire se trouve accru.
Quel est l’accueil de ce programme du côté de la Russie ? Moscou est susceptible d’interpréter cette stratégie américaine comme une menace pesant sur sa sécurité, et va être contraint de prendre de nouvelles contre-mesures pour réagir rapidement à cette démonstration de force ; c’est à dire en augmentant ses équipements nucléaires. Il est donc assez logique que les nouvelles capacités apportées par la technologie « super-fuze » vont déboucher sur une escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Russie et augmenter considérablement le risque de recours à l’arme nucléaire par l’un des deux pays en réponse à une « simple » alerte et non pas à une attaque…
Le manque d’information de la Russie sur ces nouvelles capacités américaines, le fait que Moscou dispose d’un délai court (dû à un manque de capacité radar) pour faire face à une éventuelle attaque ainsi que l’état d’alerte de ses équipements nucléaires font régner un climat d’une grande vigilance concernant sa stabilité stratégique. Par conséquent, les accords de désarmement peuvent être affaiblis, voir risque d’être potentiellement remis en question.
Le « super-fuze » améliore fortement la précision des missiles balistiques. Auparavant les ogives W76/Mk4 disposaient de détonateurs dont la hauteur d’explosion était fixe, c’est-à-dire que leur détonation ne pouvait pas être ajustée en fonction de la distance de la cible. Désormais chaque ogive contient un nouveau détonateur qui permet d’ajuster la une hauteur d’explosion, améliorant significativement les capacités de précision. Le système « super-fuze » donne ainsi aux ogives une plus grande efficacité de ciblage et par conséquent un pouvoir plus destructeur. L’étude menée par les scientifiques du Bulletin montre que cette prouesse en termes d’efficacité permettrait aux forces nucléaires américaines de couvrir l’ensemble des cibles russes en utilisant un plus petit nombre d’ogives nucléaires à bord de leurs sous-marins. En effet cette technologie triple le potentiel destructeur de la force nucléaire à laquelle elle a été appliquée !
À la fin de l’année 2016, à peu près 1 200 ogives W76-1/Mk4A équipés de la technologie « super-fuze » ont été produits, dont environ 506 sont actuellement déployés dans des missiles balistiques affectés sur des sous-marins. Ils viennent s’ajouter aux 384 ogives W88/Mk5, ce qui porte à 890 le nombre d’ogives nucléaires déployées sur des missiles balistiques. L’utilisation par les américains de seulement 272 de leurs 506 ogives nucléaires W76-1 leur permettrait de détruire les 136 missiles terrestres russes ICBM répartis dans leurs silos, en attaquant chaque silo avec seulement 2 ogives W76-1. Autrement dit, les Etats-Unis pourraient potentiellement détruire la totalité des forces nucléaires russes basées à terre par l’utilisation de seulement 54% de leurs ogives déployées.
La technologie « super-fuze » ne semble être qu’une partie d’un vaste programme de modernisation des missiles américains. Il ne fait aucun doute que ce programme va contribuer à diffuser en Russie l’image d’un pays, les Etats-Unis, souhaitant rechercher une domination nucléaire complète. Le gouvernement russe n’a d’ailleurs semble t-il pas tardé à répondre en renforçant la protection de son arsenal terrestre. Etant donné que la Russie connaît aussi des lacunes dans son système d’alerte rapide et qu’elle dispose de délais extrêmement courts pour réagir à une éventuelle attaque sur son territoire, la contraignant à se trouver dans un état d’alerte dorénavant permanent et ouvrant la voie à une possible escalade de tensions.
Ce texte de l’expert américain Hans M Kristensen, publié le 1er mars 2017 dans le Bulletin of the Atomic Scientists sous le titre de « How US nuclear force modernization is undermining strategic stability: The burst-height compensating super-fuze » a été traduit par IDN.