La future révolution des armes hypersoniques

L’actuel développement des armes hypersoniques constitue une révolution en devenir pour les équilibres géopolitiques actuels. Alors que les missiles deviennent toujours plus puissants et précis, les armes hypersoniques constituent un grand bond en avant par leur capacité à se déplacer à très haute vitesse hors de portée des radars, et donc à déjouer les systèmes de défense existants. Ces armes pourraient être opérationnelles dans les arsenaux américains, russes et chinois grâce à leur capacité à frapper précisément et très rapidement une cible éloignée. L’hypothèse de missiles hypersoniques équipés d’une ogive nucléaire met à mal le concept même de dissuasion, étant donné le potentiel destructeur immédiat de telles armes, qui ne pourrait faire l’objet de représailles adaptées. Pouvant être opérationnelles dès les prochaines années, ces armes favoriseront sûrement les risques d’accident nucléaire ainsi qu’une évolution incertaine et donc dangereuse des doctrines militaires.

La géographie a toujours eu un rôle central dans les stratégies politiques et militaires. Le développement récent d’armes hypersoniques risque de remettre en cause l’importance des distances et du terrain dans les conflits internationaux. Les grandes puissances se livrent à une nouvelle course à l’armement pour développer ces nouveaux missiles, qui déjoueraient les systèmes de défense existants et modifierait les équilibres géopolitiques actuels.

Les premières armes balistiques, tels que les mousquets, étaient fort peu précises et la probabilité de frapper sa cible était si faible que les armées furent forcées d’adapter leurs stratégies pour en tenir compte. Au 18e siècle les armées européennes alignaient sur le terrain face les soldats d’infanterie en rangs de trois. L’un après l’autre chaque rang tirait face à l’ennemi une pluie de projectiles qui compensait le manque de précision des armes. Cette tactique prenait donc déjà en compte les données statistiques.

Au début de la seconde guerre mondiale l’armée allemande développa et lança des bombes « V1 » propulsées par des moteurs à impulsions relativement primitifs. Ces armes avaient l’avantage d’atteindre leurs cibles sans pilote, mais avaient le désavantage d’être extrêmement imprécises. Pour corriger ce défaut, comme ce fut le cas pour les premières armes balistiques, les allemands envoyèrent leurs missiles en grand nombre, rasant, pour détruire des cibles militaires, des villes entières.

Pendant la guerre froide, en 1970, le missile américain « Tomahawk » révolutionna la stratégie américaine. Aujourd’hui, les missiles de croisière subsoniques ont le double-avantage d’être à la fois puissants et précis. Contrairement aux anciens missiles, dont l’efficacité dépendait de facteurs climatiques, d’agilité et même simplement de chance, une bombe intelligente peut désormais changer sa trajectoire en plein vol pour atteindre sa cible.

Les armes à haute précision mirent fin à la doctrine militaire basée sur les statistiques. Désormais un petit nombre de techniciens suffit pour détruire des cibles ennemies. Une grande armée peut devenir un handicap plutôt qu’un avantage en raison de son coût. De plus, les armes et véhicules conventionnels doivent désormais recevoir un blindage anti-missile, ou les protégeant des nouvelles armes, ce qui alourdit les coûts.

Nous sommes aujourd’hui au début d’une nouvelle révolution technologique militaire avec le développement des armes hypersoniques. Il en existe deux types aujourd’hui : les missiles de croisière hypersoniques, et les véhicules de glisse hypersoniques.

Projetés par un réacteur hypersonique puissant, les missiles de croisière ne se déplacent pas comme des armes balistiques traditionnelles, car elles peuvent voler sous les zones de détection des radars pendant un certain temps et à très haute vitesse. En effet, le réacteur à aspiration permet aux missiles hypersoniques de voyager entre 5 à 10 fois la vitesse du son, ce qui les différencie fortement des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) qui ont un moteur à réaction externe.

Propulsé par un ICBM, les véhicules de glisse hypersonique attendent d’avoir atteint des vitesses hypersoniques pour se détacher et planer à une vitesse allant jusqu’à 20 fois la vitesse du son. Après son détachement de la fusée, le véhicule utilise les forces aérodynamiques pour se déplacer de manière imprévisible et difficilement détectable, pouvant changer de direction pour éviter les mesures de défenses conventionnelles.

La vitesse et la dextérité de ces missiles hypersoniques empêchent leur détection jusqu’à quelques secondes avant l’impact et rendent obsolète tous les systèmes de défense actuels. Ces armes ont été spécifiquement développées pour accroitre les capacités offensives, permettant un État de frapper une cible précise, éloignée, et en très peu de temps. Il est donc fort peu probable que ces armes soient utiles dans des conflits de proximité ou pour des insurrections régionales. En revanche, elles créent des possibilités d’intervention pour les autres conflits.

Il reste à résoudre un certain nombre de difficultés techniques pour que ces armes soient pleinement efficaces. Les États-Unis, la Chine et la Russie travaillent pour y parvenir. Le degré exact de développement de ces armes reste un secret d’État, et les experts engagés dans ces études n’ont pas de liberté d’expression.

Le développement de cette arme est différent d’un pays à l’autre en fonction de ses intérêts et de ses objectifs.

La Chine concentre ses moyens et sa stratégie militaire sur la mer de Chine et l’Océan indien, puisque c’est dans cette zone que s’opère la majorité de son flux commercial. La flotte militaire chinoise dispose de peu de moyens et manque de souplesse face à la marine américaine. Le gouvernement chinois chercherait donc principalement à développer des missiles capables de frapper des cibles sur une courte distance, de façon à éloigner les navires américains. Le missile chinois DF 17 est équipé d’un véhicule hypersonique qui a été testé avec succès, atteignant des vitesses de Mach 7. Il conviendrait aujourd’hui aux intérêts à long-terme de la République Populaire de Chine.

Les États-Unis ont besoin de développer des armes d’une autre portée.  En effet, les États-Unis sont dans l’hémisphère Ouest et la majorité de leurs conflits se déroulent dans l’hémisphère Est. Les coûts de transport des hommes et des équipements sur le champ de bataille sont tels qu’il est dans l’intérêt du Pentagone de développer des armes à longue portée. C’est d’ailleurs le problème majeur des États-Unis en la matière : à cause de leur éloignement, les missiles américains auraient besoin d’avoir une capacité Mach 20 pour qu’ils soient aussi efficaces que des armes Mach 10 chinoises ou russes.

Enfin, la Russie aurait besoin de développer à la fois des armes à courte portée pour s’imposer face à l’OTAN en Europe, et aussi des armes à longue portée pour répondre aux capacités américaines. Les missiles russes conventionnels, le U71, BrahMos 2, et le 3M22, ont tous été conçus pour répondre aux exigences de la dissuasion inter-étatique.

Si ces missiles balistiques intercontinentaux ont jusqu’aujourd’hui permis d’assurer une forme de dissuasion, leur utilité se verrait fortement réduite, archaïques face à un missile hypersonique équipé d’une ogive nucléaire.

Des systèmes de défense sont également en voie de développement pour répondre à ces nouvelles attaques. En effet, des lasers hyperpuissants, pouvant émettre un rayon de micro-ondes concentrées ou de particules excitées permettront peut-être un jour de riposter aux attaques hypersoniques. Toutefois, la recherche dans ces domaines n’est que dans ses débuts et, comme dit le dicton « la meilleure défense réside dans l’attaque ». Une attaque par missile hypersonique tirée au-dessus de l’Arctique et ayant pour cible les États-Unis forcerait ces derniers à riposter en moins de 5 minutes, ce qui est évidemment insuffisant pour remonter la chaine de commandement et trouver une réponse efficace, et qui réduit à néant la capacité d’intervention de la flotte américaine dans l’hémisphère Est.

Les difficultés de détection et de ripostes sont telles qu’un État aurait un grand intérêt à détruire les stocks d’armements hypersoniques ennemis avant que ceux-ci ne soient opérationnels, et donc prendre l’initiative d’une frappe en premier.

Si ces technologies continuent leur progression, elles pourraient être opérationnelles dès 2020 et produites massivement entre 2025 et 2030, augmentant les risques d’accident nucléaire et favorisant une évolution dangereuse des doctrines militaires.

Le passage d’une stratégie militaire basée sur les statistiques à une autre fondée sur la précision diminue les dommages subis par la population civile, malgré l’augmentation de la puissance des armes. Les missiles hypersoniques rendraient les conflits plus rapides et plus meurtriers, mais feraient moins de morts civils.

Simon Albert-Lebrun

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