Voici déjà deux ans que les candidats à la présidentielle des États-Unis de 2020 mènent une campagne parfois fratricide du côté des démocrates, tandis que le parti républicain essaie, tant que se peut, de se rallier derrière Donald Trump. Ils sont dix-sept candidats du côté démocrate, et quatre chez les républicains.
Une de ces vingt-trois personnes détiendra, en 2020, le pouvoir de déclencher une guerre nucléaire capable d’éteindre toute vie sur Terre.
Une participation à la hausse : la droite sur la défensive, la gauche fragmentée
Le président sortant Donald Trump, malgré une présidence marquée par une succession de scandales et le lancement d’une procédure de destitution, conserve le soutien d’une base dévouée. C’est d’ailleurs sur cette base que certains commentateurs prédisent sa réélection en 2020.[1] Il convient toutefois de rester méfiant face à cette conclusion car, sur le plan électoral, les États-Unis de 2020 sont radicalement différents de États-Unis de 2016.
En effet, le taux de participation aux législatives américaines en 2018 était de 53%, le taux le plus élevé depuis quarante ans aux États-Unis, contre seulement 42% en 2014, le taux de participation le plus faible jamais enregistré. Le résultat fut que les républicains gagnèrent en 2014 et perdirent la majorité en 2018. Une participation plus élevée est attendue pour les élections présidentielles de 2020, ce qui jouerait a priori en faveur du candidat démocrate.[2]
Parmi ces candidats, cela fait des mois que les sondages sont constants : les cinq démocrates en tête emporteraient une élection générale contre Donald Trump. Par exemple, les sondages mensuels de la chaine Fox News (connue pour ses affinités avec le chef de l’Etat), indiquent des résultats peu rassurant pour les républicains. En effet, le sondage d’octobre indique que Trump sortirait perdant d’une élection contre Joe Biden (6.7 points d’écart), Bernie Sanders (6.5), Elizabeth Warren (5.7 points), Pete Buttigieg (3.6 points), et Kamala Harris (1.6)
Il convient toutefois de se méfier de l’exactitude et de l’utilité des sondages de popularité, en particulier aux Etats-Unis, où le candidat qui gagne le vote populaire ne gagne pas forcément l’élection. Comme le président américain aime à le rappeler, les sondages ne lui étaient pas favorables en 2016, et cela ne l’a pas empêché de gagner.[3]
Président Donald Trump : la grande déconstruction
Depuis environ cinq ans, l’on assiste à un démantèlement spectaculaire du processus international de non-prolifération des armes nucléaires, dans lequel Trump porte une responsabilité majeure. Aujourd’hui, le seul traité restant entre les États-Unis et la Russie est le Traité START, dont le rôle est de limiter le nombre total d’armes des deux États. La Russie et les États-Unis se sont récemment retirés du Traité FNI (Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire), permettant ainsi aux deux puissances de mener de nouveaux tests nucléaires. Le TNP (Traité de Non-Prolifération) est dans l’impasse.
Quatre pays – l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord – possèdent ainsi l’arme nucléaire sans être signataires du TNP. Quant aux puissances nucléaires officielles (la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie), elles devraient poursuivre, selon l’article VI, un désarmement nucléaire « général et complet », avec la signature d’un traité international fixant cet objectif. Il est peu dire que les cinq pays ne respectent pas les obligations qui leur incombent.
Le Traité START, renouvelé en 2011 par Barack Obama expire le 5 février 2021. Trump a récemment exprimé que, s’il était réélu il ne renouvellerait pas cet accord. Il préfèrerait plutôt signer un nouvel accord incluant la Chine.[4] Il est vrai qu’un traité multilatéral avec la Chine, qui limiterait son arsenal nucléaire, bénéficierait grandement à la sécurité internationale. Malheureusement, l’Empire du milieu mène un double jeu : d’un côté, la Chine tient un langage favorable à la reprise des négociations multilatérales pour le désarmement nucléaire. De l’autre, elle développe une nouvelle gamme d’armes atomiques,[5] qu’elle expose au monde avec fierté.
Sans renouvellement du Traité START, nous ferions alors face, en 2021, a un monde dans lequel il n’existerait plus que le TNP, bien moribond pour tenter de limiter la prolifération des armes nucléaires. La Russie respecte pourtant les engagements qu’elle s’est souscrite sous le Traité START, et Vladimir Poutine lui-même a récemment souligné que « Si nous ne gardons pas ce ‘dragon de feu’ sous contrôle, si on le laisse sortir de sa bouteille – mon Dieu – cela pourrait mener à une catastrophe planétaire ».[6]
Il faudrait alors se fier à la politique interne de chaque États pour limiter une course aux armements. États-Unis plusieurs sénateurs et représentants, plutôt démocrates mais aussi républicains, œuvrent pour réduire le pouvoir du Président sur les armes nucléaires. Depuis la Guerre Froide, le système américain est conçu de façon à ce que le Président puisse de sa seule volonté, lancer une attaque nucléaire contre l’adversaire de son choix sans que quiconque ne puisse l’en empêcher.
Le sénateur Ed Markey, le représentant Ted Lieu (démocrates), mais aussi le représentant républicain Todd Young ont récemment réintroduit un projet de loi pour que le Président ne puisse pas utiliser d’armes nucléaires tant que le Congrès n’a pas procédé à une déclaration formelle de guerre. Cette politique est d’ailleurs populaire au sein du peuple américain : 68 % des électeurs sont en faveur de cette limite sur le pouvoir du Président.[7]
C’est la politique que certains candidats démocrates souhaitent adopter.
Les candidats démocrates : de l’opportunisme et de l’optimisme
Ex-Vice-Président Joe Biden : un double discours et un retour à la normale
Le Vice-Président Joe Biden, vice-président d’Obama et ancien sénateur du Delaware est en tête dans tous les sondages. Il est proche des unions et particulièrement apprécié par la population afro-américaine. Ayant longtemps travaillé dans les affaires étrangères américaines, Joe Biden se dit être dans la continuité de la présidence d’Obama, s’attribuant les victoires de cette administration tout en s’innocentant de ses erreurs.
La politique d’Obama concernant les armes nucléaires fut énoncée assez clairement par le Président en 2009 : les États-Unis n’utiliseraient pas l’arme nucléaire en premier contre des États qui ne possèdent pas d’armes nucléaires et qui avaient signé et respectaient le Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP).
Cette formule devint alors la politique officielle américaine et, sans que grand monde en prenne note, fut reprise mot pour mot en 2018 par l’administration Trump lorsque l’ancien Secrétaire de la Défense James Mattis articula la politique nucléaire du nouveau président.[8]
Joe Biden, quant à lui, tient un double discours. En 2017, à neuf jours de la fin du mandat d’Obama, il soulignait que « l’unique but » des armes nucléaires était d’être une arme de riposte.[9] Réitérant ce discours durant le premier débat démocrate, l’ancien Vice-Président ajouta néanmoins qu’il ne prendrait aucune action, aucun engagement sans consulter ses généraux.
Il est donc fort probable que, si Biden venait à être élu, il tiendrait un discours semblable sur les armes nucléaires à celui du président Obama. Nous pourrions alors espérer voir un renouvellement du Traité START et, peut-être au moins dans le discours, voir ressurgir une politique de « non-emploi en premier » de l’arme nucléaire.
La Sénatrice Elizabeth Warren : un engagement ambitieux
La sénatrice Elizabeth Warren, au contraire, tient un discours qui ne laisse aucun doute sur sa politique nucléaire. Celle que Time Magazine surnommait la « shérif de Wall Street » répond à chaque question en commençant par une phrase devenue sa devise : « j’ai un plan pour ça. »
Dès le premier débat elle ne cesse de le réaffirmer : les États-Unis n’utiliseront jamais l’arme en premier. Warren a d’ailleurs introduit fin janvier de cette année un projet de loi s’intitulant « No First Use Act ». Discours après discours, Warren souligne que la politique de non-emploi en premier a toujours été celle des Etats-Unis, surtout durant la Guerre Froide. Pour la sénatrice du Massachussetts, si les Etats-Unis se disaient prêts à utiliser l’arme de manière préemptive, cela augmenterait les chances d’une erreur de calcul, et mettrait donc fin à la politique de dissuasion telle que nous la connaissons.
Attaquée sur ces propos par la Républicaine Liz Cheney, fille de l’ancien Vice-Président Dick Cheney[10], Elizabeth Warren a été soutenue par un autre candidat à la présidence : Bernie Sanders.
Le Sénateur Bernie Sanders : un argument fiscal pour la dénucléarisation
Le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, véritable doyen de la gauche américaine et socialiste auto-proclamé, base sa campagne électorale sur un seul axe : créer un système sociale en imposant les ultra-riches. Tout autre sujet est ramené à cette lutte sociale, et toute dépense qu’il juge superflue par le gouvernement est à réinvestir dans un système de protection sociale.
Sans se prononcer en faveur d’une politique de non-emploi en premier, Bernie Sanders tient un discours qui tend à un désarmement progressif. En effet, depuis 2016, le candidat reste relativement modéré dans ses propos. Il n’a soutenu la législation anti-nucléaire que lorsque celle-ci poussait à une réduction de financement des systèmes de lancement. Lorsqu’il se prononce contre les armes nucléaires, c’est donc pour se lamenter de leur prix, et pour faire valoir que ces sommes seraient mieux placées dans l’éducation nationale ou le système de santé.[11]
Il a néanmoins été l’un des 26 démocrates (dont Elizabeth Warren) à signer une lettre de contestation en décembre de 2018, lorsque le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo annonça le retrait des États-Unis de l’accord INF interdisant les tests militaires nucléaires.[12]
Bernie Sanders et Elizabeth Warren se retrouvent sur un grand nombre de sujets, se partageant le vote d’une base avec des valeurs communes et permettant à Joe Biden de rester en tête dans les sondages. Une présidence Sanders ou Warren aurait sans doute pour effet de relancer le processus de non-prolifération, de contrôles, voire de dénucléarisation.
Le maire Pete Buttigieg : la dénucléarisation une priorité
Le maire de South Bend en Indiana, plus connu comme « Mayor Pete », vétéran d’Afghanistan et ouvertement homosexuel, se présente comme le candidat spécialiste des relations internationales. Si sa victoire peut paraitre difficile en 2020, la presse américaine le présente comme un des nouveaux espoirs du parti démocrate et sa voix porte au sein des jeunes libéraux. Il prend une position entre celle de l’administration Obama et celles proposées par Warren et Sanders. Le jeune maire se dit en faveur d’une reprise des négociations multilatérales avec l’Iran, d’un effort concerté face la Corée du Nord, et d’une reprise générale du processus de non-prolifération globale.[13]
Il place d’ailleurs l’objectif de non-prolifération au même rang que celui du changement climatique, et perçois les deux problèmes comme un seul enjeu planétaire.
La Sénatrice Kamala Harris : une rhétorique opportuniste et un plan peu clair
La Sénatrice de la Californie, Kamala Harris, tient un discours assez peu engagé. Cette ancienne procureure-générale de Californie est sans doute la candidate la plus à droite des candidats démocrates. Beaucoup critiquée au sein de son parti pour un passé de politiques judiciaires sévères, Harris s’est démarquée durant les débats pour la primaire démocrate, souvent considérée comme sortant gagnante parmi les nombreux candidats.
Sans adopter une politique de non-emploi en premier, ni se prononcer souvent sur le sujet, elle a pourtant voté en 2018 contre le développement d’armes nucléaires à faible rendement, c’est-à-dire la prochaine génération d’armes nucléaires.
Lorsqu’elle est interrogée sur le sujet de la non-prolifération et sur les armes nucléaires, l’ex-procureure tient toujours le même discours, qui tient plus d’un argument rhétorique que d’un engagement sincère : elle critique la décision de Trump de s’être retiré de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, et souligne son incapacité à changer la situation en Corée du Nord.
Pour la sénatrice californienne, les armes nucléaires sont donc principalement une façon de critiquer Trump.
Ce paysage politique complexe, accentué par une procédure de destitution de Donald Trump, contient donc une déclinaison de plans différents pour faire face au nucléaire militaire. Chez les démocrates, si la plupart sont en faveur d’une dénucléarisation mondiale, ils ont tous un point d’accord : la reprise des négociations avec l’Iran, soutenus par leurs alliés européens. En revanche, la réélection de Trump lui permettrait de continuer la déconstruction de l’ordre international du siècle dernier, accroissant ainsi l’insécurité mondiale.
Simon Albert-Lebrun, membre du Bureau d’IDN
[1] https://www.cnbc.com/2019/09/13/trump-will-win-presidential-election-in-2020-business-survey-reveals.html
[2] https://www.nytimes.com/2019/07/15/upshot/2020-election-turnout-analysis.html
[3] https://www.businessinsider.fr/us/polls-wrong-trump-clinton-why-2016-11
[4] https://news.rthk.hk/rthk/en/component/k2/1472209-20190803.htm
[5] https://www.capital.fr/economie-politique/bombardiers-missiles-drones-la-chine-etale-sa-puissance-militaire-1351643
[6] https://foreignpolicy.com/2019/08/02/what-does-the-demise-of-the-i-n-f-treaty-mean-for-nuclear-arms-control-intermediate-nuclear-forces-new-start-strategic-arms-limitation-nonproliferation-trump-russia-arms-control-explained/
[7] https://cissm.umd.edu/news/large-bipartisan-majorities-favor-prohibiting-president-using-nuclear-weapons-first-without
[8] https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/25751654.2018.1530741?fbclid=IwAR1qjisFnZ_yCGJvITalgibGyb-8-NiKpkqzz5I7WHjBC1d2pMELZboXg6U
[9] https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2017/01/12/remarks-vice-president-nuclear-security
[10] https://www.theguardian.com/us-news/2019/aug/03/bernie-sanders-elizabeth-warren-liz-cheney-nuclear-no-first-use
[11] https://www.defenseone.com/ideas/2016/02/sanders-looks-establishment-on-nukes/126101/
[12] https://thehill.com/policy/defense/421307-senate-dems-urge-trump-to-continue-nuclear-arms-control-negotiations-after
[13] https://www.cfr.org/article/pete-buttigieg