Réponse aux thuriféraires de la dissuasion,
qui considèrent que toute remise en cause du dogme sacré,
aussi minime soit-elle, est un sacrilège
A la suite de la tribune de Bernard Norlain « Construire l’armée de nos besoins », publiée le 27 octobre dans les Echos et cosignée avec le Député François De Rugy, nous avons reçu le commentaire suivant :
« On fait dire aux chiffres ce que l’on veut. Imaginer que les économies iraient aux forces conventionnelles est soit une naïveté soit une malhonnêteté intellectuelle. N’avoir que trois SNLE ne permet pas la permanence à la mer et condamne de facto la dissuasion. Dire que supprimer la FANu ferait faire des économies est parfaitement faux puisque qu’elle est opéré par les avions embarqués sur le PA, ni plus, ni moins qui exercent toutes les missions dédiées à l’aviation embarquée. Supprimer les escadrons de la composante aéroportée mise en œuvre par l’armée de l’air ne permettrait plus d’assurer la posture permanente de sûreté aérienne et donc de protéger notre territoire d’une façon permanente. Mutualisation et polyvalence ont eu raison depuis un moment de la spécialisation des forces. Supprimer des vecteurs de la dissuasion, hormis les SNLE, reviendrait à supprimer des moyens des forces conventionnelles. Les limites de la polyvalence sont l’ubiquité. »
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Devant la volonté de ne pas lire correctement les idées avancées dans cette tribune (http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0203883892619-construire-larmee-de-nos-besoins-1057696.php), il apparait nécessaire de donner quelques explications supplémentaires, qui s’éloignent de la lecture religieuse ou idéologique.
– Un constat, tout d’abord. Dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint et alors que la part du budget du nucléaire est maintenue voire en augmentation, il est inévitable que la part du conventionnel diminue et dans des proportions considérables. Or, nos forces armées sont fortement engagées sur des théâtres d’opérations (Mali, Centre Afrique, Côte d’Ivoire, Irak, …), où il n’a jamais été question de dissuasion nucléaire. Ainsi ce sont nos soldats engagés sur le terrain qui doivent se battre avec des équipements et des armements mal adaptés et insuffisants. C’est donc non seulement l’efficacité de leurs missions qui est mise en cause, mais leurs vies qui sont exposées. Là est la véritable irresponsabilité voire l’inconscience de nos décideurs et de ceux et celles qui ont encore le bandeau de la dissuasion nucléaire sur les yeux et qui ne veulent pas voir le monde tel qu’il est.
– L’argument ressassé de la prétendue « inanité des économies ». L’objectif serait simplement de modifier la répartition du titre V (budget d’équipement du ministère de la Défense) entre nucléaire et conventionnel. C’est une affaire d’abord du ministère de la Défense. Il semble évident que Bercy serait à l’affût pour verser au pot commun les économies potentielles. Mais c’est au ministre de la Défense et au Président, dont l’engagement est de maintenir le budget défense, de faire respecter leurs décisions.
– La permanence à la mer. En quoi le fait d’augmenter les délais d’alerte dans un monde où la menace nucléaire n’a plus le même caractère d’urgence signerait la fin de la dissuasion ? Cela s’appelle une mesure de de-alerting. Depuis la chute du mur de Berlin, les cinq pays nucléaires officiels (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine) ont pris et développent ce type de mesures. Cela a pour objet de diminuer les risques de tirs accidentels, en particulier. Oui, il n’y aurait plus de permanence totale, mais cela ne signifie en aucune sorte la fin de la dissuasion.
– La Force aéronavale nucléaire (FANu). La question de l’utilité de cette composante dans sa fonction nucléaire, pour assurer la crédibilité de la Force Aérienne Stratégique (FAS) se pose pleinement !
– Spécialisation. Les retours d’opérations de la première Guerre du Golfe montre que nos vecteurs aériens pouvaient aussi servir pour des missions dites conventionnelles, mais la proposition faite ne signifie que l’arrêt de ces escadrons dans leur mission nucléaire et pas la suppression de leurs missions conventionnelles.
– La question du laser mégajoule. Elle méritait également d’être soulevée – comme l’a fait le Général Bentegeat – On pourrait ici économiser un milliard d’euros par an sur la part nucléaire du budget d’investissement.
Il est temps d’ouvrir véritablement les yeux aux Français sur cette « ligne Maginot nucléaire » alors que le monde change ; d’interpeller les parlementaires sur cette croyance naïve que notre budget de la Défense va permettre d’assurer simultanément une mission de dissuasion hyper sophistiquée et des opérations extérieures sur des théâtres multiples.
Le pire danger dans le domaine stratégique, c’est de s’appuyer sur des certitudes. Rien n’est plus dangereux que d’ériger un principe stratégique en dogme. « Chaque fois qu’il y a réflexion, il y a doute », disait Montaigne…