Lors du Sommet de l’OTAN les 11 et 12 juillet 2018, les 29 chefs d’Etat et de gouvernement membres de l’Alliance se sont accordés sur un renforcement de l’Alliance et sur la signature d’une longue Déclaration conjointe. La problématique du nucléaire militaire y est longuement abordée. Mais, à l’image de la crise de doute que traverse l’OTAN, les Etats se divisent sur les questions nucléaires. Les contradictions présentées dans la Déclaration, tout comme le maintien des armes nucléaires tactiques américaines sur le sol européen, mettent à mal la crédibilité de la dissuasion nucléaire otanienne comme garantie de sécurité.
Réunis à Bruxelles (Belgique) les 11 et 12 juillet dernier, les 29 chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se sont accordés sur un renforcement de l’Alliance, aboutissant à la signature conjointe d’une longue Déclaration de 79 paragraphes. Cette déclaration, publiée dans un climat de doute et de relations transatlantiques tendues sur fond de guerre commerciale, intervient deux ans après un accord initial conclu à Varsovie en 2016. Dans le cadre d’un « environnement de sécurité dangereux, imprévisible et fluctuant », et face à de nouvelles menaces hybrides, les Etats de l’Union Européenne ont annoncé le renforcement de leur coopération avec l’OTAN dans plusieurs domaines : la lutte contre le terrorisme et contre les cyberattaques, la mobilité militaire, la résilience face aux risques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique), la crise des réfugiés et migrants en Europe, ou encore la promotion de l’agenda « femmes, paix et sécurité ».
Le sommet a principalement porté sur les dépenses de défense des Européens et le renforcement des capacités de projection des forces de l’OTAN – et ce notamment à la frontière russe – traduisant une ligne très offensive de la part de l’Alliance de nature à accroître encore les tensions internationales. La Déclaration contient également bon nombre de paragraphes touchant à la question nucléaire, sans jamais remettre en question la posture nucléaire de l’Alliance. Toute possibilité de désarmement nucléaire est conditionnée par la dynamique politique négative entre l’OTAN et la Russie et, comme IDN l’a rappelé dans un communiqué publié le 13 juillet, la Déclaration interpelle fortement sur le rôle de la force nucléaire française au sein de l’Alliance et sur le maintien des armes nucléaires américaines dites « tactiques » sur le sol européen.
Quelle posture nucléaire pour l’OTAN ?
Dans le cadre du principe de défense collective consacré par l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, les armes nucléaires sont considérées par l’OTAN comme une « composante essentielle des capacités globales de dissuasion et de défense de l’OTAN ». La posture nucléaire de l’OTAN se définit à travers deux documents : le Concept stratégique de 2010, qui définit les tâches et les principes fondamentaux de l’Alliance, et la revue de la posture de dissuasion et de défense (DDPR) de 2012. Les principes clés des politiques nucléaires de l’OTAN sont établis par les chefs d’Etat et de gouvernement, tandis que le Groupe des plans nucléaires (NPG), dont tous les Alliés sont membres à l’exception de la France, est une enceinte de consultation pour toute question en rapport avec la dissuasion nucléaire de l’OTAN. Les armes nucléaires dédiées à l’OTAN sont sous la maîtrise exclusive de l’armée américaine, alors que les autres Alliés mettent à disposition de l’alliance des avions à double capacité (DCA).
Cependant, si la posture semble claire, des questionnements sur la possession indirecte de l’arme nucléaire par l’OTAN sont légitimes. Créée en 1949 comme une alliance de sécurité internationale visant à protéger l’Europe occidentale d’une invasion imminente de l’URSS, l’organisation a aujourd’hui perdu sa raison d’être. Elle justifie son existence et le maintien de sa politique de dissuasion nucléaire par l’apparition de nouvelles menaces hybrides, par la politique de sanctuarisation agressive de la Russie, par la prolifération des armes nucléaires et des missiles balistiques au Moyen-Orient ou par la course aux armements nucléaires en Asie. Mais, loin de rassurer, sa politique nucléaire est à l’image de la crise que traverse actuellement l’OTAN : les Etats sont divisés sur de nombreuses questions, et la Déclaration signée par les membres de l’Alliance est emplie de contradictions qui mettent à mal la crédibilité de la posture nucléaire otanienne.
Iran, Corée du Nord et armes nucléaires françaises.
Ce sont d’abord deux dossiers nucléaires brûlants qui ont été abordés lors de la réunion. L’Union Européenne, à travers la Déclaration, a apporté son plein soutien aux Etats-Unis quant à « l’objectif de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la péninsule coréenne », appelant à poursuivre les négociations et les pressions exercées sur la Corée du Nord au travers des sanctions imposées par l’Organisation des Nations Unies. Mais si les deux parties s’accordent sur le dossier nord-coréen, ce n’est pas le cas concernant le dossier iranien. Trump demandait un soutien pour le retour des sanctions économiques paralysantes envers l’Iran, alors que les Européens font tout pour sauver le JCPOA, l’accord signé en juillet 2015. Ces oppositions se traduisent dans la Déclaration par un paragraphe en demi-teinte où l’OTAN se dit préoccupée par les activités balistiques de l’Iran, tout en rappelant que Téhéran se plie aux exigences de l’AIEA en matière nucléaire. Aucune des deux parties n’a donc su convaincre l’autre, d’autant que Washington a rejeté mardi 17 juillet les demandes européennes de ne pas sanctionner les entreprises européennes présentes en Iran.
Des questions se posent ensuite quant au rôle de la force nucléaire française au sein de l’OTAN. Le paragraphe 35 de la Déclaration expose que « les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France ont un rôle de dissuasion propre et contribuent de manière significative à la sécurité globale de l’Alliance ». En ajoutant l’expression « de manière significative », l’OTAN induit une ambiguïté quant au rôle des armes nucléaires françaises au sein de l’OTAN, alors que le sujet n’a nullement été discuté par le Parlement français. La posture nucléaire française vis-à-vis de l’Alliance a-t-elle changée ? On peut aussi s’interroger sur l’intégration de fait de la force nucléaire française dans l’OTAN, présentée comme ayant une force de dissuasion propre mais contribuant à la dissuasion de l’OTAN. Ces confusions ne sont pas de nature à renforcer la transparence de la politique nucléaire de l’Alliance.
Une volonté de désarmement nucléaire, vraiment ?
Les membres de l’OTAN ont réaffirmé que « la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération ont apporté et devraient continuer d’apporter une contribution essentielle à la réalisation des objectifs de sécurité de l’Alliance, ainsi qu’à la stabilité stratégique et à notre sécurité collective ». Pourtant, ils considèrent également que tout progrès en matière de désarmement nucléaire dépend du contexte international de sécurité et du comportement de la Russie. Cette contradiction se retrouve aussi dans la stratégie de désarmement de l’Alliance : alors que le Concept Stratégique de 2010 engage l’OTAN dans un objectif consistant à créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires, l’OTAN affirme que « aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN restera une alliance nucléaire ». En ce sens, l’OTAN renoncera à l’arme nucléaire seulement si les autres puissances nucléaires y renoncent en premier. Dans le même temps, les autres puissances nucléaires, la Russie en tête, tiennent le discours inverse : c’est le serpent qui se mord la queue.
L’OTAN a également réaffirmé son refus de signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires de 2017. Approuvé par 122 Etats lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 07 juillet 2017, ce Traité a été signé par 59 Etats – dont l’Irlande, seul pays de l’Union Européenne à l’avoir fait – et ratifié par 11 Etats. Il est à noter qu’aucun pays doté de l’arme nucléaire ou membre de l’OTAN n’a signé ce Traité. L’OTAN considère qu’il « va à l’encontre de l’architecture actuelle de non-prolifération et de désarmement, qui risque de fragiliser le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, 1968), qui n’est pas conforme à la politique de dissuasion nucléaire de l’Alliance et qui ne renforcera la sécurité d’aucun pays », en ignorant les réalités de l’environnement international de sécurité. Il y a ici matière à s’interroger sur la volonté réelle de l’OTAN, et surtout des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni, d’un « monde sans armes nucléaires ».
Le danger du maintien des armes nucléaires tactiques américaines sur le sol européen.
Enfin, l’OTAN ne semble pas avoir abordé la question pourtant cruciale du « partage nucléaire », qui implique des pays sans armes nucléaires dans la planification de l’utilisation d’armes nucléaires par l’OTAN, et donc du maintien des armes nucléaires tactiques américaines sur le sol européen. 180 bombes nucléaires B61 américaines sont encore dispersées sur le sol européen (contre 480 en 2004), dans des pays non dotés de l’arme nucléaire. 70 sont présentes en Italie (50 à Aviano, 20 à Ghedi Torre), l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas ont 20 bombes chacun sur leur territoire et 50 sont entreposées sur la base aérienne américaine d’Incirlik, au sud de la Turquie.
Pourtant, contrairement à ce qu’affirme l’OTAN, ces armes sont loin de contribuer à la sécurité de l’Europe. Leur modernisation amène des armes nucléaires toujours plus efficaces et dangereuses. Les Etats-Unis développent une nouvelle version évoluée des bombes nucléaires B61 destinée à se substituer aux actuelles B61 sur le territoire européen en 2020. La B61-12 possèdera un système de guidage permettant un lancement à distance, avec une tête nucléaire à quatre options de puissance. Elle aura la capacité de détruire les bunkers souterrains des centres de commandement. Les armes nucléaires tactiques en Europe augmentent le risque d’accidents et d’erreurs, tout le comme le risque d’utilisation nucléaire en cas de crise, en invitant à la préemption. Les dangers du terrorisme nucléaire s’en voient également accrus : il y a des failles de sécurité inhérentes au stockage d’armes nucléaires sur plusieurs sites dans plusieurs pays. Ces pays deviennent des cibles potentielles. De plus, ces armes n’ont, de l’avis de tous, aucune utilité militaire : le scénario d’utilisation de ces armes est tellement exigeant qu’il en devient improbable. La procédure pour la prise de décision s’avère extrêmement compliquée, et l’effet de surprise perd tout son sens devant la visibilité des actions nécessaires pour préparer les armes, l’avion et l’équipage.
L’hypocrisie des pays nucléaires et de leurs alliés
De même, par la présence d’armes nucléaires sur le territoire, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la Turquie se posent en violation du TNP, et notamment de son article 2 qui stipule que « tout Etat non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à n’accepter de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires ou du contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs ». Les quatre premiers pays sont aussi en contradiction avec leurs législations nationales, ayant adopté des Constitutions qui interdisent les dispositifs ou les armements offensifs limitant. Par ces actions, l’OTAN contribue à fragiliser le TNP et à ériger l’arme nucléaire en tant que monnaie de sécurité légitime, allant à l’encontre des principes de non-prolifération et de désarmement que l’organisation défend.
Ainsi, les risques d’une escalade nucléaire sont grands, et l’OTAN doit aujourd’hui réexaminer sa posture nucléaire à travers le prisme de la réduction du risque d’utilisation nucléaire. Surtout que les ressources financières affectées à la mission nucléaire pourraient être réattribuées à des tâches plus urgentes, comme la réassurance conventionnelle et surtout le développement de la cyberdéfense de l’OTAN.
Article de Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN (avec la collaboration de Michel Drain, Marc Finaud, membres du Bureau, et de Paul Quilès, Président).