Depuis un mois, la Corée du Nord et les États-Unis s’accusent mutuellement d’avoir fait capoter le sommet de Hanoï (Vietnam) entre Donald Trump et Kim Jong-un. Alors que l’on s’attendait à la conclusion d’un accord même partiel sur le désarmement nucléaire de la Corée du Nord, les deux dirigeants ne sont pas parvenus à s’entendre. La voie diplomatique pour dénuclariser la péninsule coréenne n’est pas encore rompue, mais elle est très fragile.
Un mois après l’échec du sommet de Hanoï, le dialogue entre les États-Unis et la Corée du Nord pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne est dans l’impasse. Chaque camp accuse l’adversaire d’avoir fait capoter la seconde rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, organisée au Vietnam fin février. Alors que l’on s’attendait à la conclusion d’un accord même partiel, les deux dirigeants ne sont pas parvenus à s’entendre.
Pour les États-Unis, la demande nord-coréenne de la levée des sanctions est la raison de la rupture des pourparlers. Selon Washington, la Corée du Nord demandait le retrait de toutes les sanctions imposées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies sur son économie. En échange, la Corée du Nord proposait de ne fermer qu’une partie de ses installations sur le site de Yongbyon et, pour les Américains, la reprise de l’économie engendrée par la levée des sanctions aurait permis à la Corée du Nord de poursuivre le développement de son programme nucléaire.
Pyongyang s’est défendu d’avoir demandé la levée de cinq sanctions (sur onze) en échange d’un engagement formel du gel complet de ses activités nucléaires et de ses essais de missiles à longue portée. Une offre insuffisante aux yeux de Washington, qui demande la fermeture totale du complexe de Yongbyon et d’au moins un autre site sensible secret.
Les sites nucléaires sensibles nord-coréens au centre des problèmes
Yongbyon est en effet au cœur des négociations et son avenir aurait dû figurer dans la déclaration finale de Hanoï. Fleuron du programme nucléaire nord-coréen depuis les années 1990, le site de Yongbyon produit diverses formes de combustibles (uranium, tritium) nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires. Couplé à la suspension des essais nucléaires nord-coréens, sa fermeture aurait ralenti les progrès de Pyongyang dans le développement de son arsenal nucléaire.
Mais le démantèlement complet du complexe de Yongbyon ne serait qu’un petit pas vers la dénucléarisation. Selon une étude de l’université de Stanford (États-Unis), la Corée du Nord possèderait au moins 16 autres sites secrets de lancement de missile, et rien n’indique que l’existence de ces sites soit sujet à négociation lors des discussions entre Washington et Pyongyang. De plus, la même étude indique que la Corée du Nord aurait continué d’augmenter son arsenal nucléaire depuis le début des négociations. Le pays aurait ainsi produit suffisamment d’uranium et de plutonium pour fabriquer cinq à sept armes nucléaires de plus. L’étude évoque également l’existence de 16 autres bases secrètes de lancement de missile. Rien n’indique que ces sites secrets font partie des négociations.
Un autre élément pourrait aussi affecter le futur des négociations entre Washington et Pyongyang. Selon des informations rapportées par des experts américains sur la base d’images prises par satellite, la Corée du Nord serait en train de reconstruire son site de Sohae – connu aussi sous le nom de Tongchang-ri. Alors qu’en septembre, Kim Jong-un s’était engagé à « fermer de façon permanente et vérifiée » son site de lancement de missiles « en présence d’experts des nations concernées » et que les installations avaient commencé à être démantelées pendant l’été, un regain d’activité a été détecté deux jours après le sommet de Hanoï. La présence de deux grues de soutien ainsi que la remise en place de certaines structures laissent à penser que la Corée du Nord peut rendre réversible de façon presque immédiate toute action de démantèlement de son programme nucléaire.
Les négociations dans l’impasse
Un mois après Hanoï, le processus de négociation entre la Corée du Nord et les États-Unis est plus fragile que jamais il ne l’a été au cours de l’année écoulée. Les deux États multiplient les déclarations et les menaces. Alors que Washington a sanctionné deux entreprises chinoises de transport maritime suspectées de commercer avec Pyongyang en dépit des sanctions internationales – Dalian Haibo et Liaoning Danxing – la Corée du Nord a quant à elle menacé de se retirer des négociations.
Washington a également émis des doutes sur la réussite du processus. Le 27 mars, le général Robert Abrams, commandant des forces américaines en Corée du Sud, déclarait que, « malgré une réduction des tensions le long de la zone démilitarisée et l’arrêt des provocations stratégiques, ainsi que des déclarations publiques d’intention de dénucléariser, il n’y a quasiment pas eu de changement dans les capacités militaires de la Corée du Nord. Les activités que nous avons observées sont incompatibles avec une dénucléarisation ».
C’est aujourd’hui la stratégie de diplomatie des États-Unis qui semble remise en question. Donald Trump avait tout misé sur sa « relation privilégiée » avec Kim Jong-un, personnalisant à l’extrême les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Si cette stratégie avait été considérée comme le socle d’une dynamique inédite entre les deux États, elle avait déjà montré ses limites lors du sommet de Singapour, en juin 2018. Alors que Donald Trump s’était targué d’avoir mis fin à la « menace nucléaire nord-coréenne », les deux camps avaient découvert qu’ils avaient une définition différente du terme « dénucléarisation ».
Presqu’un an plus tard, cette divergence existe toujours. Les États-Unis continuent de définir la dénucléarisation comme le démantèlement de l’arsenal nucléaire nord-coréen. La Corée du Nord, de son côté, souhaite une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne, s’appliquant autant à ses armes nucléaires qu’à celles des Américains présentes dans la région. Washington refuse de se contenter d’un accord partiel et désire une « dénucléarisation définitive et vérifiée » de la Corée du Nord avant toute levée des sanctions. La Corée du Nord ne renoncera pas à un arsenal qu’elle voit comme une garantie de la survie de son régime sans le retrait préalable des sanctions pesant sur son économie. Le sommet du Vietnam a montré à quel point le prix de la dénucléarisation serait élevé.
Quelle stratégie pour la reprise des pourparlers ?
Les États-Unis semblent aujourd’hui avoir le choix entre trois options. La première, voulue par le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, est une stratégie du « tout ou rien ». Washington continue de demander un désarmement nucléaire immédiat, complet et vérifié en échange d’une réduction des sanctions économiques et d’une normalisation diplomatique a posteriori. C’est la stratégie globale suivie par l’administration Trump depuis le début des négociations, pour une dénucléarisation totale d’ici la fin du mandat de Trump en janvier 2021. C’est aussi une impasse.
La seconde option consisterait à imposer de plus fortes sanctions au régime nord-coréen, dans l’espoir que Kim Jong-un serait contraint de revenir à la table des négociations dans une position plus faible. Mais le régime de Kim Jong-un est un maître de l’évasion des sanctions, comme le présente le dernier rapport du groupe d’experts du Conseil de Sécurité de l’ONU ( Lire le rapport) Rien ne prouve qu’une nouvelle série de sanctions serait plus efficace que les précédentes.
La troisième solution est la voie du compromis : les deux parties doivent accepter de faire des concessions, Washington sur les sanctions économiques, Pyongyang sur le démantèlement de ses complexes nucléaires. Une approche progressive est nécessaire, alors que les sommets se suivent dans la précipitation depuis avril 2018. Le blocage des pourparlers du sommet de Hanoï s’explique en partie par l’insuffisance de sa préparation. De l’avis de tous, l’administration américaine aurait dû le reporter pour permettre aux diplomates de faire des progrès que les dirigeants auraient pu ratifier plus tard.
La Corée du Sud comme médiateur
Depuis le début des négociations, les relations de la Corée du Nord avec ses pays voisins – la Chine, le Japon et la Corée du Sud – ainsi qu’avec les États-Unis se sont améliorées. Plus que tout autre pays, la Corée du Sud a un rôle de médiateur à jouer dans les pourparlers entre la Corée du Nord et les États-Unis. Seoul a tenu à se montrer optimiste après la déconvenue du sommet de Hanoï, soulignant des « avancées significatives » tout en fustigeant par la voix de son président Moon « ceux qui semblent vouloir que l’ère de l’hostilité perdure dans la péninsule ».
Le vice-ministre sud-coréen des affaires étrangères, Lee Taeho, soulignait le 25 mars que la dénucléarisation représente « une tâche herculéenne qui va rencontrer encore des multiples obstacles, mais n’oublions pas le chemin parcouru en seulement une année ». En effet, nombre de progrès ont été fait au cours de l’année écoulée, alors que Trump et Kim Jong-un se promettaient « le feu et la fureur » en 2017. Alors que le Nord n’a plus procédé à des tests de missiles nucléaires depuis novembre 2017, les tensions autour de la zone démilitarisée séparant le nord et le sud de la Corée ont été considérablement réduites.
Mettant fin à ses exercices militaires conjoints avec les États-Unis, la Corée du Sud a annoncé vouloir organiser un deuxième sommet intercoréen après la réussite de celui d’avril 2018, à Panmunjom, à la frontière entre les deux Corées. Le précédent avait permis le rapprochement entre les deux pays et l’ouverture d’un bureau de liaison intercoréen en septembre 2018, dans la ville nord-coréenne de Kaesong. Initiative concrète du rapprochement entre les deux États, ce bureau, ouvert 24h sur 24, doit servir de canal de consultation et de communication pour faciliter les échanges frontaliers, améliorer les relations et apaiser les tensions militaires dans la péninsule coréenne.
Même si la normalisation des relations entre les deux Corées n’est pas pour demain, la voie diplomatique n’est pas rompue entre Seoul et Pyongyang, pas plus qu’elle ne l’est entre Pyongyang et Washington. Mais elle est fragile. Le projet des États-Unis de dénucléariser la Corée du Nord avant la fin du mandat de Donald Trump en janvier 2021 est irréalisable. Même si un accord était conclu, la dénucléarisation de la péninsule coréenne sera un processus long et complexe. Le démantèlement total de l’arsenal nucléaire nord-coréen présentera des défis techniques, logistiques et financiers, et pourrait prendre dix à vingt ans. Mais l’on peut espérer que l’échec du sommet d’Hanoï n’était qu’un incident de parcours. Comme le souligne à juste titre l’experte française de la Corée du Nord Juliette Morillot, « il ne faut pas oublier qu’il y a un peu plus d’un an, on évoquait une guerre nucléaire et qu’on ne rabiboche pas en quelques mois des relations hostiles pendant plus de 70 ans ».
Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN