Tribune publiée sur le site du quotidien La Croix, sous le titre
« Corée du Nord : stopper la prolifération nucléaire »
L’essai nucléaire réalisé par la Corée du Nord le 6 janvier dernier ne semble pas être le test d’une vraie bombe à hydrogène mais plutôt, selon des experts, celui d’une bombe à fission dopée, puisqu’il a notamment une puissance inférieure à 6 KT (kilo tonne), comparée aux 15 KT de la bombe lancée sur Hiroshima et à la puissance des méga-bombes à hydrogène américaine (« Castle Bravo » : 15 000 KT) et soviétique (« Tsar Bomba » : 60 000 KT). Même si la Corée du Nord a un long chemin à parcourir avant de pouvoir construire une vraie bombe thermonucléaire, miniaturisée et emportée par un missile à longue portée, il n’en reste pas moins que cet essai est une mauvaise nouvelle pour la stabilité et la sécurité de notre monde et du monde de demain.
Les conséquences de cet essai
Il montre d’abord que Pyongyang, conformément à sa volonté de continuer à développer son arsenal nucléaire, semble vouloir réaliser une vraie bombe H à fusion pouvant être placée sur un missile à longue portée, ce qui aurait comme effet non seulement de déstabiliser la zone Pacifique mais aussi de relancer la prolifération nucléaire.
Cet essai présente ensuite le risque de conduire les États nucléaires -en particulier les cinq « pays dotés » consacrés par le Traité de Non-Prolifération (TNP) – à considérer comme légitime l’accumulation d’un grand nombre d’armes nucléaires (plus de 16 000). C’est le cas notamment des États-Unis et de la Fédération de Russie qui, conformément au Traité New Start, disposent chacun de près de 1500 armes prêtes à être lancées en quelques minutes.
De plus, cet essai présente le risque de légitimer le concept – erroné – qui fait de l’arme nucléaire la pierre angulaire de la sécurité d’un pays, notamment en France et d’enclencher ainsi un nouveau cycle de crise nucléaire.
Comment briser ce cycle ?
Il faut d’abord que soient relancés les « pourparlers à six » : Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Japon, Russie, USA – au point mort depuis 2008 – et en particulier que la Chine accepte de s’impliquer davantage dans ce processus.
Il faut profiter du fait que 2016 est l’année du 20e anniversaire du Traité sur l’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE) signé en 1996 par 183 États. Actuellement, sur les 44 États dotés de technologies nucléaires, 5 ne l’ont toujours pas ratifié (Chine, Égypte, USA, Iran, Israël) et 3 ne l’ont pas signé (Corée du Nord, Inde, Pakistan). La France, grand promoteur de ce traité et dont le président Hollande a fait une priorité diplomatique de son mandat, devrait prendre une initiative à l’occasion de cet anniversaire, par exemple en relançant les pays qui n’ont pas encore ratifié ou signé ce Traité.
La voie du désarmement
Enfin et surtout, il faut briser ce cycle de prolifération verticale (modernisation des armes) et horizontale (augmentation du nombre d’armes et de pays détenteurs) en s’engageant de façon non équivoque sur la voie d’un désarmement nucléaire général et contrôlé. En signant le TNP, les 5 pays dotés officiellement de l’arme nucléaire se sont engagés, en échange d’une reconnaissance temporaire du droit à disposer de cette arme, à éliminer à terme leurs armes nucléaires (article VI du TNP). Ce désarmement est le seul moyen de briser ce nouveau cycle nucléaire, d’aller vers un monde plus sûr et d’éviter le risque de destruction de la planète.
Alors que les risques de prolifération s’accroissent dangereusement, il est temps d’affirmer cet engagement. La France y trouverait un rôle conforme à sa vocation universelle et à ses idéaux.
Paul Quilès, Bernard Norlain, Jean-Marie Collin,
Président et Vice-présidents de l’association Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN)