Onze mois après l’échec du sommet de Hanoï entre Kim Jong-un et Donald Trump, le leader du régime nord-coréen a présenté au monde des vœux explosifs pour l’année 2020. Il a annoncé la fin du moratoire sur les essais nucléaires et balistiques. Et, alors que les négociations entre Washington et Pyongyang sont rompues, la stratégie de Donald Trump sur le dossier nucléaire nord-coréen est remise en question.
Kim Jong-un avait promis un “cadeau de Noël” surprise aux États-Unis. Celui-ci aura finalement pris la forme d’une annonce officielle devant le Comité central du Parti des Travailleurs. Lors du plénum du parti fin décembre, le dirigeant nord-coréen a présenté ses plans pour le pays pour 2020. Il a parlé économie, agriculture ou encore organisation du parti. Kim Jong-un a surtout rappelé la nécessité de posséder des armes nucléaires pour défendre son pays contre une “politique hostile” américaine.
La fin du moratoire sur les essais nucléaires et balistiques
Kim Jong-un a annoncé mercredi 1er janvier la fin du moratoire sur les essais nucléaires et balistiques. “Nous n’avons aucune raison de continuer à être liés unilatéralement par cet engagement”, a-t-il souligné. Il a ensuite annoncé que la Corée du Nord allait présenter prochainement une “nouvelle arme stratégique”. Le dictateur nord-coréen a également largement critiqué les États-Unis et la gestion des négociations par Trump. “Les Etats-Unis formulent des exigences contraires aux intérêts fondamentaux de notre État et adoptent un comportement de voyou”. Kim Jong-un fait ainsi référence à “l’Axe du mal” formulé par le président Georges W. Bush en 2003. Il a accusé Washington de faire traîner les négociations tout en maintenant des sanctions pour “étrangler et étouffer complètement” Pyongyang”. “C’est le double jeu des Etats-Unis brigandistes”, a-t-il commenté.
“La situation actuelle dans la péninsule coréenne devient plus dangereuse et atteint une phase sérieuse, en raison de la politique hostile [des États-Unis] envers la [RPDC]”, aurait-t-il déclaré. Washington a “conduit des dizaines d’exercices militaires conjoints que le président avait personnellement promis d’arrêter”. Il a aussi reproché à son homologue américain d’avoir envoyé de l’équipement militaire de haute technologie au Sud et renforcé les sanctions contre le Nord. « Nous ne vendrons jamais notre dignité« , a-t-il assuré, promettant une action “sidérante pour faire payer le prix de la douleur subie par notre peuple”. “Si les États-Unis persistent dans leur politique hostile envers la RPDC, il n’y aura jamais de dénucléarisation dans la péninsule coréenne”, a-t-il conclu.
Après l’échec du sommet de Hanoï, des négociations rompues
L’annonce de Kim Jong-un intervient alors que le dialogue entre les Etats-Unis et la Corée du Nord pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne est dans l’impasse. Lors du sommet de Hanoï en février 2019, alors que l’on s’attendait à la conclusion d‘un accord même partiel, les deux dirigeants n’étaient pas parvenus à s’entendre. Pyongyang demandait la levée de certaines sanctions en échange du gel complet de ses activités nucléaires et de ses essais de missiles longue portée. Une offre insuffisante aux yeux de Washington, qui demandait la fermeture totale de plusieurs sites nucléaires, dont le complexe de Yongbyon, fleuron du programme nucléaire nord-coréen.
La troisième rencontre entre Trump et Kim Jong-un, organisée en juillet dans la zone militarisée entre les deux Corées, était restée sans suites. Pyongyang en a profité pour multiplier les essais de missiles balistiques de courte et moyenne portée. Puis, en novembre, la Corée du Nord a fermé la porte aux négociations. “Nous ne sommes plus intéressés par de telles discussions qui ne nous apportent rien. Comme nous n’avons rien reçu en retour, nous ne ferons plus de cadeaux au président américain de quelque chose dont il puisse vanter”, avait alors déclaré Kim Jong-un. Avec la fin du moratoire sur les essais nucléaires et balistiques, l’impasse entre les deux dirigeants semble totale.
Une réaction timorée de Washington, en pleine campagne présidentielle
Après l’annonce Kim Jong-un ce 1er janvier, Donald Trump a tenté de rassurer. “Nous avons bien signé un contrat qui parle de dénucléarisation. C’était la phrase numéro un, cela a été fait à Singapour”, a-t-il déclaré. Il a ensuite répété croire que son homologue est “un homme de parole”. Son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo est allé dans son sens, affirmant que les Etats-Unis veulent “la paix, pas l’affrontement”. “Nous voulons continuer à laisser ouverte la possibilité que le dirigeant de la Corée du Nord fasse le choix qui est le meilleur, à la fois pour lui-même et pour son peuple”, a-t-il ajouté. Avant de prévenir : “Si le président Kim a renié ses engagements pris auprès du président Trump, c’est profondément décevant”.
Cette réaction timorée de Washington s’explique par la stratégie adoptée par Trump sur le dossier nucléaire nord-coréen depuis deux ans. Même si les négociations sont aujourd’hui dans l’impasse, acter l’échec du rapprochement historique entre les Etats-Unis et la Corée du Nord reviendrait à reconnaître que le principal fait d’armes du président américain sur la scène internationale a été sans lendemain. Or, en pleine campagne pour sa réélection à la Maison Blanche et alors que la situation avec l’Iran s’envenime, Donald Trump est toujours à la recherche d’un succès retentissant en matière de politique étrangère. Lui qui a tant communiqué sur sa réussite là où ses prédécesseurs – surtout Obama – avaient échoué ne peut perdre la face sur ce dossier. Enfin, en l’absence de nouvel essai nucléaire de la part de Pyongyang, Trump considère que le contrat est sauvegardé.
La stratégie de Donald Trump remise en question
C’est aujourd’hui la stratégie de diplomatie des États-Unis qui semble remise en question. Donald Trump avait tout misé sur sa “relation privilégiée” avec Kim Jong-un. Il personnalisait ainsi à l’extrême les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Si cette stratégie avait été considérée comme le socle d’une dynamique inédite entre les deux États, elle avait déjà montré ses limites lors du sommet de Singapour, en juin 2018. Alors que Donald Trump s’était targué d’avoir mis fin à la “menace nucléaire nord-coréenne”, les deux camps avaient découvert qu’ils avaient une définition différente du terme “dénucléarisation”.
Cette divergence existe toujours. La Corée du Nord souhaite une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne. De plus, Washington désire une “dénucléarisation définitive et vérifiée” avant toute levée des sanctions. La Corée du Nord ne renoncera pas à un arsenal sans le retrait préalable des sanctions pesant sur son économie. Une incompréhension qui a empêché depuis toute avancée sur le dossier. Face à cette nouvelle escalade, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a fait part de sa “grande préoccupation”. Le ministère sud-coréen responsable de l’unification a, de son côté, affirmé qu’un nouveau test “n’aiderait pas les négociations sur la dénucléarisation”.
La stratégie calculée de Kim Jong-un
Pour autant, l’escalade actuelle n’est pas à la hauteur des tensions de 2017 entre les deux Etats. Trump avait alors promis “le feu et la fureur” à son homologue nord-coréen. Surtout, les déclarations de Kim Jong-un pour le nouvel an sont toujours menaçantes, mais presque jamais suivis d’effets. Les discours annuels à la Nation ont souvent eu un arrière-goût de fin du monde. Le fond du discours demeure intact. Le dictateur présente une main tendue vers la Corée du Sud, puis menace quiconque voudrait porter atteinte à Pyongyang. Si ses vœux de 2019 avaient été plus mesurés, Kim Jong-un avait menacé d’emprunter une nouvelle voie, non-diplomatique, pour la défense de son pays.
La stratégie de Kim Jong-un est calculée. Kim Jong-un n’a pas définitivement fermé la porte à la diplomatie. Il utilise l’impasse des négociations pour étendre ses capacités militaires, arguant que le développement et les essais de missiles sont nécessaires pour le bien de la sécurité nationale tant qu’il n’y aura pas l’établissement d’un mécanisme de paix durable. Dans un contexte d’incertitude politique aux Etats-Unis, Pyongyang tente de faire pression sur Washington pour un allègement des sanctions économiques. Kim Jong-un n’est cependant pas pressé de signer un accord qui pourrait être annulé si Trump n’était pas réélu. Le régime de Kim Jong-un s’approche ainsi de la ligne rouge sans la franchir. Il espère qu’une démonstration de force par la présentation d’une nouvelle arme stratégique poussera Washington à davantage de concessions.
Escalade en Iran : des conséquences sur la situation nord-coréenne ?
Mais, si Kim a abandonné le moratoire sur les essais nucléaires et balistiques, un nouveau test nucléaire est peu probable. Un tel test pourrait déclencher la fureur de Washington, ce que Pyongyang ne souhaite pas. Il pourrait aussi frustrer le principal partenaire de la Corée du Nord, la Chine, qui met l’accent sur la stabilité régionale. En procédant avec prudence, Kim Jong-un évite ainsi une nouvelle série de sanctions des Nations Unies. Il garde également de bonnes relations avec la Chine et la Russie, qui avaient proposé en décembre de desserrer les sanctions de l’ONU envers Pyongyang. Il est aussi probable que Kim Jong-un ait cherché, avec son discours du 1er janvier, à renforcer sa position diplomatique pour faire accepter que la Corée du Nord est de facto une puissance nucléaire, et ainsi arriver à des négociations visant à réduire son armement nucléaire plutôt qu’à le démanteler unilatéralement.
Cependant, un événement qui a eu lieu à des milliers de kilomètres de Pyongyang pourrait prochainement faire bouger les lignes. En effet, la Corée du Nord verra probablement en l’élimination du général Soleimani par les américains un signe que les armes nucléaires sont nécessaires à sa survie. La propagande nord-coréenne cite régulièrement les cas de la Libye et de l’Irak, deux pays ayant abandonné l’arme nucléaire avant de devenir la cible d’une intervention militaire américaine. Le retrait unilatéral de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien avait déjà remis en question le processus de négociations entre Pyongyang et Washington en démontrant que tout accord signé pouvait ensuite être défait. Avec le raid militaire du 3 janvier, Pyongyang, qui voit en l’arme nucléaire l’ultime garantie de la survie de son régime, pourrait alors définitivement refuser de se séparer de son arsenal.