Après le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF), la Russie et les États-Unis menacent aujourd’hui de laisser expirer le Traité New START après 2021. L’impasse des négociations entre Washington et Moscou sur le Traité New START traduit une crise plus profonde aux conséquences graves. Cela s’inscrit dans un vaste effort de l’administration Trump de ne pas se conformer aux traités précédemment signés, une fâcheuse habitude qui aura de graves conséquences sur la sécurité internationale.
« Si nous ne gardons pas ce “dragon de feu” sous contrôle, si nous le laissons sortir de la bouteille – Dieu nous en préserve – cela pourrait conduire à une catastrophe mondiale ». Par ces mots, le président russe Vladimir Poutine a menacé, jeudi 06 juin, en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg, de laisser expirer le traité de contrôle des armements nucléaires stratégiques New START. « Si personne ne souhaite [le] prolonger, alors nous ne le ferons pas (…). Nous avons dit 100 fois que nous y étions prêts », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « jusqu’à présent, personne ne négocie avec nous. Le processus de pourparlers formels n’est toujours pas lancé, bien que tout expire en 2021 ».
Sans l’adoption d’une nouvelle version du traité, « il n’y aura plus aucun instrument limitant la course aux armements, avec par exemple l’envoi d’armes dans l’espace » a averti le président russe. « Au-dessus de la tête de chacun de nous se tiendront des armes nucléaires (…). Nous avons de nouveaux systèmes capables de garantir la sécurité de la Russie sur une période assez longue », a affirmé Vladimir Poutine, assurant que son pays a « dépassé ses concurrents en termes de création de systèmes hypersoniques ». Le 11 juin, lors de la 5e édition du Forum international Primakov Readings organisé à Moscou, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a appelé Moscou et Washington à adopter une « déclaration commune au plus haut niveau selon laquelle une guerre nucléaire ne peut être gagnée, et qu’elle est donc inacceptable et inadmissible ».
New START, un traité pour la limitation des arsenaux nucléaires
Le traité New START a remplacé en 2010 le Traité de réduction des armes stratégiques (START I), signé en 1991 par le président soviétique Gorbatchev et George Bush père et reconduit plusieurs fois. Maintenant les arsenaux nucléaires russes et américains en deçà du niveau de la Guerre Froide, il arrive à échéance en 2021. Il représente une étape modeste mais importante et nécessaire pour réduire les dangers liés aux armes nucléaires. Il a réduit de manière vérifiable les stocks nucléaires américains et russes.
L’accord limite en effet chaque pays à 1 550 têtes nucléaires et 700 vecteurs déployés sur un total de 800. Cela concerne les missiles intercontinentaux (ICBM), les missiles balistiques lancés depuis des sous-marins (SLBM) et les bombardiers lourds. Au 1er mars 2019, les États-Unis présentaient 656 vecteurs déployés sur un total de 800 et 1 365 ogives nucléaires. La Russie possède 525 vecteurs déployés sur 760 et 1 461 têtes nucléaires. En outre, le traité prévoit des mesures de vérification et un échange annuel de données entre les deux puissances. Cela comprend des inspections sur site, des échanges de données et des notifications relatives aux armes et installations couvertes par le texte.
De nombreux différends
Les États-Unis comme la Russie ont dénoncé à plusieurs reprises les manquements du traité. Le premier problème concerne le potentiel de réarmement des deux États. En effet, de chaque côté, de nombreux missiles sont en service sans être dotés d’ogives jusqu’au niveau maximal. 400 missiles intercontinentaux américains Minuteman III sont par exemple équipés d’une seule ogive alors qu’ils peuvent en contenir trois. Ces têtes nucléaires pourraient être réinstallées sur des missiles. Cela limite les progrès faits en matière de réduction des arsenaux nucléaires.
De nombreux Américains, John Bolton en tête, reprochent également au traité d’avantager la Russie. Si Moscou a réduit le nombre de ses missiles en service, elle a surtout procédé au remplacement de ses anciens missiles par des nouveaux, plus performants. Les États-Unis l’accusent ainsi de contourner l’intention du traité de réduire les arsenaux nucléaires pour une stabilité stratégique. À l’inverse, la Russie a dénoncé le manque de transparence des États-Unis sur le retrait d’une partie de ses vecteurs et systèmes de lancement.
Enfin, des « zones grises » existent. Les nouveaux types d’armes stratégiques ne figurent pas dans le traité. C’est le cas des futurs systèmes de missiles Avangard et des torpilles stratégiques Poséidon. Les armes hypersoniques n’ont en effet jamais figuré d’aucune manière dans les accords de contrôle des armements. Par leur développement, la Russie ne viole donc pas les limites du traité.
La problématique chinoise
Washington comme Moscou désirent que la Chine soit concernée par les dispositifs de contrôle des armements. Ils considèrent le traité New START et le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) comme un handicap face à la Chine qui, elle, n’est pas astreinte aux traités et peut donc développer son arsenal sans entrave. Ils souhaiteraient donc élargir les accords à l’Empire du milieu. Il est en effet difficile de connaître avec exactitude le nombre d’armes nucléaires dont dispose la Chine. Pékin se refuse à dévoiler l’ampleur de son arsenal, arguant que cela saperait sa stratégie de dissuasion.
La Chine possède notamment plusieurs systèmes de missiles de moyenne portée hautement mobiles. Selon John Bolton, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, entre un tiers et la moitié du nombre total de missiles balistiques chinois ne seraient pas conformes au traité INF. Washington estime que ces missiles affectent la sécurité des alliés américains dans la région, mais aussi l’armée américaine présente en Corée du Sud et au Japon. La Chine a cependant rejeté toute proposition d’association au processus de contrôle des armes nucléaires.
Danger sur le désarmement nucléaire
L’impasse des négociations entre Washington et Moscou sur le Traité New START traduit une crise plus profonde aux conséquences graves. Cette décision fait partie d’un effort plus vaste de l’administration Trump visant à annuler des accords dans le domaine de la maîtrise des armements nucléaires, comme l’accord sur le nucléaire iranien dont Washington estime qu’il n’allait pas assez loin. La présence de John Bolton n’est pas étrangère à ce phénomène : le conseiller à la sécurité nationale méprise ces accords. Les États-Unis comme la Russie ont démontré ces dernières années leurs réticences à être contraints par des accords bilatéraux ou multilatéraux.
Pierre angulaire de l’architecture de sécurité européenne, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) ne sera certainement plus effectif à partir du mois d’août. Les États-Unis s’en sont retirés en février, accusant Moscou de violer ses conditions. La Russie, niant toute violation, a annoncé à son tour la suspension du traité. Le Traité INF, signé en 1987 entre le président américain Ronald Reagan et le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev pour mettre un terme à la crise des euromissiles, visa à l’élimination des missiles balistiques et de croisière russes et américains (entre 500 et 5 500 kilomètres de portée).
Jeudi 30 mai, Vladimir Poutine a soumis à la Douma, la chambre basse du parlement russe, un projet de loi consacrant officiellement le retrait de la Russie du Traité INF. Ce projet réserve cependant au président russe le droit de renouveler le traité même après un retrait. Il est certain que le Traité INF présente des faiblesses. Il est par exemple vague sur le statut des drones de combat américains qui possèdent les mêmes caractéristiques que les missiles interdits, comme sur certains lanceurs de cibles balistiques utilisés dans le développement et les tests de systèmes de défense antimissile ou sur les lanceurs américains déployés en Europe. Malgré ses failles, le Traité INF n’est pas un simple texte international, mais un symbole de la fin de la Guerre Froide entre les États-Unis et l’URSS.
La reprise des essais nucléaires ?
Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) est aussi menacé. Mercredi 12 juin, le directeur de la US Defense Intelligence Agency, le lieutenant-général Robert Ashley, a averti que la Russie violait « probablement » le TICE. Il soupçonne Moscou d’avoir procédé à des essais secrets d’armes nucléaires sur des sites reculés de l’Arctique. Ce traité, adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1996, proscrit pourtant de telles activités.
Ouvert à la signature en 1996, le TICE n’est toujours pas entré en vigueur. Moscou a ratifié le texte, tandis que Washington l’a uniquement signé, sa ratification ayant été bloquée par le Congrès. Le gouvernement américain observe cependant un moratoire sur les essais nucléaires depuis 1992. Depuis l’entrée en fonction de Trump en 2017, les États-Unis ont appelé à plusieurs reprises à reprendre les essais nucléaires afin de soutenir les programmes de modernisation de l’arsenal nucléaire américain.
Un différend sur le TICE n’est que le dernier exemple en date d’une tendance inquiétante concernant les principaux accords de maîtrise des armements. S’il s’effondrait, les États nucléaires pourraient être tentés de reprendre les essais nucléaires. Cela aurait de graves conséquences écologiques et sanitaires.
Vers une nouvelle course aux armements
Le dialogue semble aujourd’hui rompu entre Washington et Moscou. Aucun calendrier de négociations n’est prévu. La présidence Trump pourrait être tenté de laisser expirer le Traité New START dans l’optique de marquer des points après d’électeurs et d’élus percevant tout accord international comme une marque de faiblesse. En effet, pour nombre d’entre eux, il est inconcevable de « récompenser » la Russie en prolongeant le traité. Deux lois ont ainsi été introduites au Congrès pour limiter les possibilités d’extension du traité. Il est probable que Trump attende sa réélection en 2020 pour prendre une décision.
Le monde risque désormais de se réveiller au printemps 2021 sans aucune limitation juridique des armes stratégiques. Le risque d’une nouvelle course aux armements s’accroît. Les États-Unis, la Chine et la Russie investissent des milliards de dollars dans la modernisation de leurs arsenaux nucléaires. D’autres pays comme l’Inde ou le Pakistan procèdent également à des investissements massifs dans leurs forces nucléaires. Le démantèlement des accords nucléaires entraînera une grave déstabilisation stratégique et une incertitude accrue. Avec la fin de mécanismes juridiquement contraignants de contrôles mutuels, le dialogue sur le désarmement nucléaire reculerait de plusieurs décennies. Cela aurait des conséquences désastreuses pour la sécurité internationale.
Pour éviter le chaos stratégique, les dirigeants des trois puissances nucléaires doivent rechercher de nouveaux formats de stabilité. Une prolongation de cinq ans du Traité New START permettrait de conserver la limitation du nombre d’armes nucléaires déployées par les États-Unis et la Russie. Cela maintiendrait également le régime de surveillance et de vérification. Enfin, cela offrirait du temps pour un travail pratique substantiel, pour reprendre les négociations et conclure de nouveaux accords. La reprise du dialogue est aujourd’hui essentielle.
Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN
2 Responses
Que M Poutine puisse dire « il n’y aura plus aucun instrument limitant la course aux armements (nucléaires) », que Washington et Moscou puissent considérer « le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) comme un handicap face à la Chine », que « Pékin se refuse à dévoiler l’ampleur de son arsenal, arguant que cela saperait sa stratégie de dissuasion » en dit long sur le mépris que ces États, tout comme la France, portent au Traité de non prolifération et aux engagements de désarmement nucléaire qu’il prévoit et auquel ces pays se sont engagés, quoi qu’il en disent. Ce mépris ostentatoire est, volontairement voire inconsciemment, un message fort vers les pays en mesure de développer ces armes de destruction massive ou de les conserver et même de les « moderniser » dès lors qu’ils en possèdent. La prolifération est ainsi relancée, horizontale comme verticale, et le risque d’emploi s’accroit, bien au-delà des seuls risques qui font suite aux tergiversations infantiles autour des autres traités, qui ne sont que des pis-aller temporaires. Ces traités semblent plutôt être des diversions qui évitent de mettre en évidence la perpétuelle contradiction entre les engagements et les actes des pays nucléarisés pour le désarmement nucléaire. Cette absence de volonté pour la mise en place d’un agenda concret de désarmement nucléaire au faux prétexte que ce désarmement doit attendre que le monde soit »plus sûr », ce qui est vide de sens, va très certainement être évidente lors de la prochaine conférence quinquennale sur le TNP de 2020. Il ne suffit donc plus de dénoncer cette menace immense que les dirigeants des pays disposant ou acceptant sur leur sol des armes nucléaires font peser sur l’humanité, il nous faut maintenant la combattre. Nous disposons, avec le droit international, avec l’ONU, par l’appui des forces politiques qui refusent à la fois cet apartheid nucléaire et cette menace, par le soutien manifeste des populations, de moyens de contraindre ces chefs d’États au retour à la raison, au respect du droit. Les associations qui luttent pour que cet engagement au désarmement nucléaire soit tenu doivent donc agir, ensemble, pour que ces armes de destruction massive nucléaires ne soient dès à présent plus braquées sur nous puis pour qu’elles soient interdites formellement par Traité et éradiquées pour toujours, comme le TIAN le permettra.
Depuis le tout début les activités autour de l’atome la science a été circonscrite pour que les peuples ne sachent pas combien toutes ces activités sont constitutives d’un écocide capable de réduire à néant toute notion de progrès de la vie sur Terre. Nous peuples de la Terre devons déterrer la vérité occultée par les instances internationales qui ont mis la main sur la science pour cacher les dégât provoqués par l’atome. Il est indispensable que les peuples de la Terre soient pleinement acteurs et restaurent les chances que la Terre reste le foyer de vie unique et exceptionnel qu’il est des années lumière à la ronde.