Comment envisager le futur des relations euro-russes ?

En ce début d’année 2019, ce dossier spécial de l’European Leadership Network (ELN) invite trois experts à donner leur vision de l’avenir de la coopération entre l’Union Européenne et la Russie. Tous soulignent les difficultés récurrentes à établir un dialogue constructif depuis l’annexion de la Crimée jusqu’aux toutes récentes tensions en mer d’Azov. L’incertitude qui entoure la situation géopolitique du continent européen constitue ainsi un contexte défavorable à toutes les entreprises de déstabilisation d’un ordre international fondé sur le droit et la diplomatie, à l’image des populismes et des nationalismes qui essaiment de Hongrie jusqu’au Royaume-Uni, comme le souligne le député travailliste Stephen Kinnock. Acteurs d’une rupture de l’unité européenne basée sur le rejet de l’élite politique actuelle et des modalités traditionnelles de régulation géopolitique, ils demeurent d’une grande utilité pour une Russie qui cherche à regagner son ascendant continental par la division.

Il est également certain que dans ce domaine, Vladimir Poutine ne fait que récolter les fruits de trente ans de frustration et de colère liées à la désindustrialisation de l’Europe, aux bouleversements économiques de la mondialisation ainsi qu’à l’incapacité des dirigeants européens à créer un ordre multilatéral efficace. Il a cependant fort à faire avec les affaires domestiques de la Russie, entre une réforme des retraites impopulaires et une gestion médiocre de l’affaire Skripal qui l’oppose au gouvernement britannique. Les limites atteintes par l’offensivité russe doivent donc pousser les Occidentaux à tenter de renouer un dialogue qui passe d’abord par les anciens satellites de l’Union Soviétique, avec lesquels les relations demeurent plus chaudes. Il s’agit de rompre un cercle vicieux d’occasions manquées entre l’Occident et son vieil adversaire russe.

Sergey Utkin, de l’Institut Primakov (Académie russe des sciences), considère de son côté que la politique des visas constitue une opportunité privilégiée pour rétablir la coopération. L’obtention de visas, souvent considérée comme le baromètre de la confiance entre Etats, est aujourd’hui chose fastidieuse entre l’Europe et la Russie. Alors que de nombreuses zones du monde sont accessibles sans visa aux membres de l’espace Schengen, ce n’est toujours pas le cas de la Russie pourtant voisine. Le passage de la frontière, dans un sens comme dans l’autre, nécessite toujours de supporter une procédure coûteuse et chronophage. Des exceptions ont pourtant été accordées avec le temps, comme pendant le Mondial de football en Russie. La question est donc de savoir si les deux parties accepteront de libéraliser la procédure et de développer les exemptions de visa de manière à favoriser les flux de voyageurs, et notamment de touristes. Rien n’est pourtant moins sûr quand on sait que l’interdiction d’entrée sur le territoire fait toujours partie de l’arsenal juridique utilisé par les deux entités dans leurs sanctions consécutives à la crise ukrainienne.

L’apaisement des tensions ne sera toutefois véritablement possible que quand les différents acteurs seront capables de dépasser les étiquettes « pro-russe » et « anti-russe » accolées avec trop de facilité selon Ernest Wyciszkiewicz, directeur du Centre pour le Dialogue polono-russe. Ces étiquettes sont autant le symptôme d’un environnement géopolitique incertain que son moteur, tant elles peuvent paraître obsolètes par rapport à la réalité de la situation. Les autorités russes aiment ainsi qualifier de « russophobes » des pays adverses, comme la Pologne ou les Etats baltes, afin de faire passer leurs divergences stratégiques pour de l’irrationnalité. D’un autre côté, les médias européens tendent trop facilement à catégoriser comme « pro-russes » des gouvernements qui approuvent plus ou moins ouvertement leur voisin de l’Est. Or, la posture envers la Russie est le plus souvent une manière de faire levier face à Bruxelles ou Washington qu’un véritable signe d’allégeance envers le pays. La Russie a beau être une puissance majeure, elle ne l’est pas suffisamment pour générer de véritables divisions au sein de l’UE. Différencier le pays de sa politique gouvernementale est à la fois le meilleur antidote pour rétablir le dialogue et pour se prémunir d’une trop grande naïveté vis-à-vis du pouvoir poutinien.

Emilien Houard-Vial, membre du Bureau d’IDN

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