ELN est un groupe de réflexion paneuropéen spécialisé dans les questions européennes de défense et de sécurité et milite depuis sa création pour un monde sans armes nucléaires.
Déclaration du groupe ELN, novembre 2018
L’intention déclarée du président Trump de retirer les États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) entre les États-Unis et la Russie de 1987 remet en question non seulement le sort de cet accord pivot, mais aussi l’avenir du contrôle des armes nucléaires, avec des conséquences potentiellement graves pour la sécurité européenne.
Le traité INF pourrait en effet avoir été violé. Et il pourrait être anachronique. Mais il symbolise la coopération des grandes puissances en matière de risques nucléaires et constitue une force stabilisatrice de la sécurité de l’Europe au cours des trois dernières décennies. L’Europe est le creuset de la confrontation américano-russe sur le traité INF. En ce sens, l’Europe a le droit d’avoir son mot à dire.
Les intentions des États-Unis ont été mal communiquées en Europe. Si les alliés européens des États-Unis appuient le jugement de Washington quant au non-respect des clauses du traité par la Russie, ils ne soutiendront pas nécessairement la réponse de Washington à ces violations. Une divergence des approches entre européens et américains à propos de la crise du traité INF serait extrêmement dommageable.
Les conséquences probables de la disparition du Traité seraient encore plus troublantes.
L’accord New-START, qui limite les ogives nucléaires stratégiques et les vecteurs américains et russes, expire en 2021 et la crise du traité INF augmente le risque qu’il ne soit ni prolongé ni remplacé. La fin du traité INF stimulerait le développement de nouveaux systèmes d’armes classiques et nucléaires, y compris des missiles à portée intermédiaire jusqu’alors interdits par le traité. Ces systèmes prétendent renforcer la dissuasion, mais sont plus susceptibles d’alimenter une course aux armements. Les coûts pour la stabilité nucléaire internationale, la sécurité européenne et les contribuables dans tous les pays concernés pourraient être élevés. Et à moins que le traité INF ne soit maintenu ou remplacé, sa perte approfondira le cynisme international à propos du désarmement nucléaire progressif, ce qui entraînera des dommages pour le régime de non-prolifération nucléaire.
Aux États-Unis, de fortes voix partagent ce point de vue.
La crise du traité INF a attiré l’attention des décideurs européens sur le contrôle des armements. Ils devraient maintenant aller au-delà des déclarations d’inquiétude pour donner suite aux recommandations suivantes :
- L’effondrement du traité INF est toujours évitable. Si les deux parties travaillent de bonne foi sur les questions de non-conformité au lieu de simplement échanger des allégations, des solutions peuvent être trouvées. Des experts et organisations non gouvernementales, y compris l’ELN, ont élaboré des propositions qui abordent toutes les questions soulevées par chaque partie, y compris le nouveau missile de croisière russe et la configuration des installations de défense antimissile américaines en Europe. Nous exhortons Washington et Moscou à utiliser ces mois pour explorer sérieusement ces propositions et mettre un terme à l’effondrement du traité. Aucune des deux parties ne devrait se retirer unilatéralement sans un effort supplémentaire.
- Moscou – qui a toujours protesté contre le déploiement de missiles non conformes – devrait s’engager à ne pas déployer de tels missiles contre l’Europe, à condition qu’en retour, l’OTAN et les États-Unis n’en déploient pas. Nous nous félicitons de la récente déclaration du secrétaire général de l’OTAN, M. Stoltenberg, selon laquelle un tel déploiement de l’OTAN est improbable.
- Les gouvernements européens, en particulier les membres de l’OTAN, devraient préciser que, si la Russie peut démontrer de manière vérifiable qu’elle respecte le traité INF, ils soutiendront une vérification transparente par la Russie des installations de défense antimissile balistique de l’OTAN.
- Washington s’inquiète sincèrement du fait que les missiles chinois à portée intermédiaire restent en dehors de tout mécanisme de contrôle des armements. Les États-Unis devraient donc élaborer une approche américano-russe commune vis-à-vis de Beijing et demander le soutien de partenaires européens et asiatiques. Ces efforts pourraient échouer mais démontreraient un engagement continu des États-Unis en matière de maîtrise des armes nucléaires.
- Les Européens devraient exhorter les États-Unis et la Russie à reprendre immédiatement les négociations sur la stabilité stratégique. Afin de créer une certaine mesure de stabilité et de confiance mutuelle, les deux parties doivent convenir que l’extension du traité New-START est une priorité. Lors de la réunion entre Trump et Poutine le 11 novembre 2018, les dirigeants devraient également convenir d’une déclaration visant à rassurer la communauté internationale sur le fait qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée.
- L’Ukraine restera le principal point à l’ordre du jour conjoint du Conseil OTAN-Russie, mais les Européens devraient avancer des propositions pour un contrôle des armements plus étendu et plus moderne, conçu pour augmenter le temps de décision et la prévisibilité pour les dirigeants russes et otaniens.
- Dans le cadre d’une réponse plus large, les Européens devraient plaider en faveur des avantages sécuritaires induits par un contrôle multilatéral des armements, en combattant vigoureusement la croyance pernicieuse selon laquelle la maîtrise des armements pourrait être inefficace, voire préjudiciable à la sécurité nationale.
Si elles étaient mises en œuvre, ces mesures empêcheraient la crise du traité INF d’aggraver encore la confrontation entre l’Occident et la Russie. Cela pourrait transformer une crise en une opportunité de contrôler les armes de manière nouvelle et innovante, adaptée au XXIe siècle.
Texte traduit par Solène Vizier.