On ne saura ce que chacun est prêt à accepter que lorsque le dialogue sera engagé.
Article de Paul Quilès paru dans le Huffington Post du 7 septembre 2017 (pour lire l’article)
Il faut dépasser les commentaires inquiétants et parfois approximatifs annonçant un embrasement régional ou même mondial à la suite des essais nucléaires et balistiques de Kim Jong-Un et des imprécations de Donald Trump.
L’affrontement entre les États-Unis et la Corée du Nord est loin d’être un phénomène nouveau. Les relations entre les deux pays ont pris des formes diverses depuis 1953, fin de la guerre de Corée: menaces, sanctions, mais parfois aussi détente et négociation.
Les Américains considèrent l’Asie du Nord-Est comme une zone d’influence stratégique majeure et, par certains aspects, comme une « chasse gardée », compte tenu de leur soutien indéfectible au Japon et à la Corée du Sud. Ils se trouvent de ce fait confrontés à la politique de la Chine, dont les ambitions sur le plan mondial et particulièrement en Asie la conduisent à s’opposer à toute éventualité d’une avancée américaine dans la région. Et pourtant, le soutien chinois à Kim Jong-un est ambigu, puisque, si Pékin n’apprécie pas les activités balistiques et nucléaires militaires nord-coréennes et vote les sanctions contre la Corée du Nord au Conseil de sécurité, il entretient un commerce significatif avec elle!
Le caractère inédit de la situation actuelle ne provient pas tant de l’annonce des essais balistiques et nucléaires coréens que de l’incroyable escalade verbale à laquelle se sont livrés les deux dirigeants américain et coréen. On nous dit que le « bluff » fait partie intégrante du « jeu » nucléaire inhérent à la dissuasion. Le problème est qu’ici, les conséquences catastrophiques de l’acte dont se menacent les « joueurs » seraient d’une toute autre nature et il est inquiétant d’imaginer que ce président américain aussi inexpérimenté qu’imprévisible et ce leader nord-coréen exalté seraient incapables de garder leur sang- froid.
On voit bien ici que la dissuasion nucléaire, dont certains ne cessent de vanter les mérites, loin de protéger, contribue à créer de l’insécurité. Il est par ailleurs assez cocasse de constater que l’argument de Kim Jong-un, justifiant le besoin de l’arme nucléaire pour assurer la sécurité de son pays, rappelle étrangement celui des Etats dotés de l’arme nucléaire (dont la France) qui considèrent cette arme comme la « garantie ultime de leur sécurité » !
Pour en revenir aux risques immédiats, puisque Donald Trump affirme que « toutes les options sont sur la table », y a-t-il, au-delà de l’escalade verbale, un sérieux danger de guerre ?
Il est très improbable qu’un bombardement américain et sud-coréen des sites du programme nucléaire nord-coréen puisse être envisagé, compte tenu des incertitudes sur les lieux de production et de stockage des équipements. Quant à une intervention militaire classique au sol, elle aurait des conséquences internationales d’une extrême gravité pour les Etats-Unis, sans compter le risque qu’elle ferait courir à la Corée du Sud.
De son côté, le régime de Pyongyang, malgré ses menaces, sait bien qu’une action militaire contre le territoire ou les intérêts américains (ou contre la Corée du Sud ou encore le Japon) serait suicidaire. L’état de ses capacités nucléaires ou balistiques est d’ailleurs mal connu. On ne sait pas si la Corée du Nord est capable de maîtriser l’installation d’une arme nucléaire sur un missile balistique, le guidage de ce missile ou la protection de la tête lors de la rentrée dans l’atmosphère. Le risque existe cependant que, dans une période de tension élevée, soient déclenchées des actions irréfléchies ou « hors de contrôle ».
Si l’on veut ramener les deux camps à la raison, force est de constater que les sanctions ne fonctionnent pas. Les mesures de rétorsion économique à l’encontre de la Corée du Nord n’ont pas substantiellement freiné le développement des programmes balistiques et nucléaires de la Corée du Nord. Elles ont même eu un effet contraire, puisque les sévères sanctions adoptées par l’ONU en mars 2016 ont été suivies d’une série d’essais de missiles. Elles n’ont pas non plus affecté de façon significative l’économie nord-coréenne, dont les observateurs notent un certain renouveau. On est loin en tout cas de la grave crise des années 90, marquée par une famine qui avait causé un million de morts.
Pour engager une désescalade durable, il faut regarder du côté de l’accord intervenu avec l’Iran, même si la situation économique et géopolitique de ce pays est très différente. On a vu que les sanctions ne pouvaient être efficaces que si elles étaient accompagnées de négociations. Lorsque les États-Unis ont accepté de discuter et que la perspective d’allègement des sanctions est devenue crédible, les Iraniens ont répondu en faisant des concessions.
Ici, l’engagement diplomatique de la Chine peut permettre de conforter l’option d’une dénucléarisation négociée de la péninsule coréenne. Elle y gagnerait une reconnaissance majeure de son rôle dans la sécurité de l’Asie du Sud-Est et se protégerait des risques considérables pour elle-même d’une confrontation armée sur le sol coréen.
Des propositions de garantie de sécurité et de normalisation des relations économiques peuvent également être faites à la Corée du Nord par ses voisins asiatiques, voire américains, de manière à rendre l’armement nucléaire moins nécessaire à ses yeux. Ces propositions devraient naturellement être subordonnées à un arrêt vérifiable des programmes nucléaires et balistiques nord-coréens.
Dès lors que le dialogue aura repris entre les deux Corées, il sera possible de reprendre l’idée d’une dénucléarisation de la péninsule coréenne*, qui reposerait sur l’engagement mutuellement vérifié des deux pays à s’abstenir de fabriquer et de tester des armes nucléaires et à ne pas autoriser l’entreposage d’armes nucléaires sur leur territoire. Elle serait garantie par les cinq membres du Conseil de sécurité, le Japon et l’Union européenne. Elle entraînerait la levée progressive des sanctions frappant la Corée du Nord et la reprise des échanges de toute nature entre les deux Corées. Dans un second temps cette dénucléarisation pourrait être élargie à l’Asie du Nord Est dans son ensemble.
D’autres scénarios de négociation sont possibles, mais on ne saura ce que chacun est prêt à accepter que lorsque le dialogue sera engagé.
Les Coréens ne pourront retrouver la sécurité – et un jour peut-être l’unité – que dans un environnement de dialogue et de coopération. La confrontation nucléaire est radicalement contraire à cette aspiration ; elle renforce la dictature de Kim Jong-un; elle empêche les Coréens de décider librement de leur avenir. Il ne s’agit pas d’une affaire purement asiatique: les principes en jeu (refus des antagonismes cimentés par l’arme nucléaire, choix de la solution pacifique des différends) sont universels. La France, en concertation avec ses partenaires européens, doit mieux les faire entendre en proposant d’autres méthodes que les échanges de menaces et d’invectives.
* Dans la déclaration de principes de 2005, les six partenaires concernés (Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Russie, États-Unis, Japon) s’étaient engagées à «explorer les moyens de promouvoir la coopération en matière de sécurité en Asie du Nord-Est».
Paul Quilès