Le Président et les militaires : malentendu ou crise d’autorité ?

      Après le psychodrame qui s’est joué entre le Président de la République et son Chef d’état-major des armées depuis le 14 juillet et qui vient de se traduire par la démission de ce dernier, il est temps de se poser les bonnes questions pour la politique de défense de notre pays.

Voici l’analyse de Paul Quilès et de Bernard Norlain

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           Personne ne remet en cause le statut de chef des armées du Président (article 15 de la Constitution), mais ce statut implique un respect de l’autorité déléguée et récemment renouvelée à son Chef d’état-major des armées.

        Où est l’indignité quand celui-ci s’adresse à une commission parlementaire qui l’a convoqué dans le cadre des institutions démocratiques et de surcroît avec une garantie de confidentialité ?

       Où est l’indignité quand le Chef d’état-major ne fait que son devoir en alertant les représentants de la République sur le décalage entre les missions qui lui sont imparties et les moyens qui lui sont octroyés ?

     Où sont les possibilités laissées au Parlement pour s’informer directement de l’état des forces et de leur adaptation aux menaces ? Le contrôle parlementaire n’est pas une entrave à l’action ni « une pression » sur l’exécutif, c’est la garantie de la transparence démocratique. De ce point de vue, on ne peut que s’inquiéter qu’aucun compte rendu des récentes auditions de la ministre et du Chef d’état-major des armées n’ait encore été publié.

 président Macron - chef état-major de Villiers       L’autorité ne se décrète pas et ne s’impose pas, elle se nourrit d’une relation de confiance et de compréhension. Ce désaveu brutal, alors que le constat n’est que l’expression d’une réalité vécue quotidiennement par des hommes et des femmes qui souvent risquent leur vie, ne peut que saper le lien de confiance sur lequel repose toute autorité.

       Par ailleurs « la grande muette », qui a toujours su faire connaître son état d’esprit, quelles que soient les contraintes de son devoir de réserve statutaire, doit pouvoir aussi s’exprimer et témoigner de ses difficultés, mais aussi et peut-être surtout de sa vision de la défense du pays qu’elle pour mission d’assurer.

       L’autre question que pose cette crise d’autorité est celle du brouillard des chiffres. Entre les coupes budgétaires demandées cette année, les engagements  du gouvernement précédent, l’engagement de campagne d’un budget à 2% du PIB, il devient difficile de s’y retrouver. Pendant ce temps-là, nos forces sur le terrain manquent parfois cruellement d’équipements récents correctement entretenus et d’entraînement. Dans cette perspective, il est effectivement insupportable de constater que ce sont trop souvent les intérêts industriels qui prédominent au détriment des besoins prioritaires des armées. La liberté d’information du Parlement, qui a pour mission constitutionnelle de voter le budget, est à cet égard une garantie indispensable du bon emploi des crédits.

       Cette constatation et la crise d’autorité que nous venons de connaître auront le mérite de soulever la question fondamentale de l’emploi des crédits de la défense. Les chiffres ne sont rien s’ils ne recouvrent pas des objectifs  stratégiques définis. Le chiffre symbole de 2% du PIB ne signifie rien s’il n’est pas au service d’une politique de défense élaborée et déclinée jusqu’au niveau des équipements et non pas pour satisfaire les besoins de tel ou tel constructeur.

      Une « revue stratégique » devrait définir ces objectifs et une politique de défense cohérente. Mais que penser d’une telle revue alors qu’en est exclue, par exemple, la prétendue « clé de voute « de notre politique de défense, c’est-à-dire l’arme nucléaire ? Que penser d’une réflexion qui pose comme principe indiscutable le renouvellement sans délai de ces armes, contrairement aux engagements de la France à l’égard du TNP (traité de Non-Prolifération Nucléaire), qu’elle a pourtant ratifié ? Comment gérer les conséquences budgétaires de cette priorité donnée à l’arme nucléaire et en particulier les quelque trois milliards d’euros supplémentaires que nécessiterait sa modernisation accélérée ?

       Dans l’état actuel du monde, de nos ambitions de notre position, de nos moyens, une telle revue ne peut être que globale et donc concerner aussi l’arme nucléaire. Tout doit être remis à plat dans une concertation qui ne se limite pas à un cercle coopté d’experts autoproclamés.

     C’est une ardente obligation si l’on souhaite une politique qui soit « en marche », c’est-à-dire qui n’hésite pas à assumer les remises en cause et les ruptures que réclame notre époque.

Paul Quilès, ancien ministre de la défense,  ancien président de la Commission de la défense de l’Assemblée nationale, Président d’IDN

Bernard Norlain, général d’armée aérienne (2S), ancien directeur de l’IHEDN, vice- Président d’IDN

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