Vers un monde sans armes nucléaires ?

Intervention de Paul Quilès à la conférence de Pugwash d’octobre 2014.

Je me posais la question avant de rentrer dans cette salle : qu’est-ce que je dois dire, et à qui je parle ? En fait, je le sais à peu près, puisque je connais la puissance invitante. Pourquoi poser cette question ? Hier soir, j’étais à Perpignan sur l’invitation du Mouvement de la Paix. On était devant un public militant. J’ai parlé assez longuement et on a débattu sur le désarmement nucléaire aujourd’hui, sujet dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas d’actualité dans l’opinion publique. Mais, pour ceux qui s’y intéressent, il est plus que d’actualité. J’essaierai de vous le prouver.

Tout à l’heure je vous quitterai peut être un peu plus tôt pour aller enregistrer une émission à 20h sur le thème des dépenses militaires : comment financer toutes les missions que l’armée française doit aujourd’hui conduire ? Je parlerai notamment des dépenses nucléaires. Et puis, demain, je serai devant des militants politiques pour évoquer la situation internationale.

Voici ce qui me désole : si l’on ne s’intéresse pas à des problèmes compliqués comme la situation géostratégique, politique ou la question du désarmement pour les comprendre un peu mieux, si l’on n’est pas capable de se bouger pour convaincre ceux qui sont les vecteurs de l’information, les journalistes, les médias, et ensuite les représentants du peuple, alors il ne faut pas s’étonner qu’à partir de problèmes compliqués, on en vienne à des idées qui ne sont pas simples, mais simplistes.

Et des idées simplistes on en vient à la démagogie ou à la manipulation. Cette constatation s’applique à la question de l’armement nucléaire et de la nécessité objective d’aller vers un monde sans arme nucléaire. Un autre élément doit être pris en considération : en France, dans le système institutionnel qui est le nôtre, celui de la Vème République, système d’essence monarchique, tout remonte au sommet lorsqu’il s’agit de questions jugées politiquement importantes. Et la Constitution de la Vème République, qu’il faut lire et relire (j’ai écrit un livre là-dessus, il y a une quinzaine d’années) fait que, dans certains domaines, il n’y a strictement, en face du Président de la République, que le Premier ministre, tandis que le Parlement est totalement dessaisi de la décision, totalement à l’écart.

Je l’ai expérimenté également en tant que Président de la Commission de la défense à l’Assemblée nationale. Et, en réfléchissant à mon expérience de Ministre de la défense à l’époque de la Guerre froide, j’ai progressivement compris un certain nombre de choses, s’agissant en particulier du surarmement que tous les politiques acceptaient alors sans trop se poser de questions. Sans rentrer dans les détails, je rappellerai qu’on est passé de plus de 38 000 têtes nucléaires en 1965 à 70 000 environ à la fin de la guerre froide, au moment de la chute du Mur de Berlin au début de l’année 1990, pour retomber aujourd’hui en dessous de 20 000. Et on parle d’objectifs de désarmement pour les armes transcontinentales qui sont de l’ordre de 1 550 ogives pour les Etats-Unis et autant pour la Russie. Le Président Obama a souhaité que l’on puisse descendre à 1000. Il a été pris à parti par les Républicains, qui l’ont l’accusé de vouloir désarmer le pays.

La fin de la Guerre froide a donc conduit certains responsables politiques à réaliser l’absurdité et les dangers du surarmement nucléaire. Pour moi en tout cas, la prise de conscience la plus nette date de 1995. Alors que la France avait ratifié le Traité de non-prolifération (TNP) en 1992, avait abandonné la composante tactique Pluton, avait décidé qu’elle ne déploierait pas le missile nucléaire tactique Hadès, le nouveau président de la République Jacques Chirac a décidé de reprendre les essais nucléaires, pour lesquels son prédécesseur François Mitterrand avait décidé un moratoire. L’émotion a été grande dans le monde, d’autant plus que cette décision a été prise au mois d’août 1995, c’est-à-dire exactement 50 ans après les explosions des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki.

A l’Assemblée nationale, j’ai alors demandé un débat. Et c’est le seul débat qui ait eu lieu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale sur l’arme nucléaire, un débat assez musclé, si je me souviens bien. Vous en retrouverez d’ailleurs le compte-rendu in extenso au Journal Officiel. Il y a eu deux ou trois intervenants pour s’interroger sur le refus de faire évoluer la doctrine nucléaire. Nous faisions partie de ceux que, quelques années plus tard, Jean-Pierre Chevènement traitera aimablement de « contestataires » dans son rapport sénatorial sur le nucléaire militaire.

J’ai commencé à dire : « Il faut aller vers une désescalade nucléaire ». Aujourd’hui, une telle formule ne choquerait personne mais à l’époque je me souviens que, dans l’hémicycle, on a entendu des protestations : « Comment ? Vous désarmez la France, pas étonnant, vous les socialistes, on vous connaît ». Ensuite, j’exprimais mon inquiétude devant les sommes qui commençaient à être investies dans le renouvellement des équipements, dans l’allongement de la portée du missile M5 lancé par les sous-marins nucléaires. On passait de 4 000 à 9 000 kilomètres. Je demandais : « Mais pourquoi 9 000 kilomètres ? C’est pour la Chine ? ». Mais, pour les tenants de la dissuasion, il ne faut pas poser la question de la cible de ces missiles ; on en reste à une espèce de discours religieux : les armes nucléaires doivent être perfectionnées pour nous protéger sans qu’on sache pourquoi, comment ni contre qui.

On a le droit de discuter dans toute religion. Je suis laïque, mais de formation catholique et je me souviens très bien : on a le droit de discuter de tout, sauf évidemment de Dieu. Lorsqu’il s’agit de dissuasion, on a le droit de discuter de tout, sauf de la nécessité absolue de l’arme nucléaire. On affirme qu’elle a assuré la paix pendant plus d’un demi-siècle et que c’est « l’assurance-vie » de la nation.

Evidemment, chacun aura remarqué que le nucléaire n’est d’aucune utilité pour la gestion des conflits actuels au Moyen Orient, en Ukraine, au Mali, en Centrafrique et contre le terrorisme. On qualifie la dissuasion d’assurance-vie, sans s’apercevoir que l’assurance-vie est surtout utile après la mort ! Il y a aussi ce que j’appelle le « complexe Albert Lebrun ». Le nucléaire permettrait à la France de se défendre seule contre une invasion. C’est le général de Gaulle qui assénait cette idée, après le premier essai nucléaire français puis au moment de la mise en place de la force de frappe au début des années 1960. Il disait : « L’Alliance atlantique est utile, mais attention ! Les Américains risquent de nous lâcher à la prochaine menace d’invasion. Donc, il faut que la France ait une défense nucléaire autonome ». C’était cela l’intention initiale du général de Gaulle : disposer d’une force de frappe française… que ses opposants appelaient alors « la bombinette ».

J’ai le souvenir du décret pris par de Gaulle le 14 janvier 1964, pour donner au Président de la République le pouvoir de mettre en œuvre l’arme nucléaire. Ce pouvoir ne se trouve pas dans la Constitution, ni dans la loi mais, de manière tout à fait surprenante, dans un décret présidentiel. Voici pourquoi je me souviens de la date de ce décret. En janvier 1964, sortant de Polytechnique, j’étais affecté au Centre opérationnel des armées, à Paris, boulevard Saint-Germain. Et dans ce centre opérationnel, aux murs couverts de cartes, on avait un téléphone comportant un tableau avec beaucoup de boutons, nous permettant de rester en liaison notamment avec les centres de commandement de l’OTAN. Un jour, le colonel qui dirigeait le Centre est venu me trouver en disant : « Lundi matin, il faut que vous soyez là à 9 heures, nous allons avoir le Général au téléphone ». Je demande : « quel général ? ». Il me dit : « Le général de Gaulle, bien entendu ». Je rétorque : « Pourquoi vous adressez-vous à moi ? ». Il me répond : « Parce que c’est compliqué. Comme vous êtes polytechnicien, vous saurez le faire. La manœuvre est importante. Nous allons passer l’ordre d’engagement nucléaire ». Il se hâte de préciser : « Ne vous inquiétez pas, c’est un essai ». Je me contente d’acquiescer : «  Ah bien, merci ». Je vais alors devoir transmettre l’ordre du général de Gaulle. Puisque le décret venait d’être pris, il fallait vérifier que le système de communication marchait bien entre l’Elysée et Taverny, qui était le lieu de départ de l’ordre nucléaire vers les vecteurs de la bombe, les bombardiers Mirage à l’époque, puisqu’il n’y avait pas encore de sous-marins lance-engins.

Lorsque j’ai reçu l’appel du général de Gaulle, j’avais autour de moi cinq gradés plutôt terrorisés. La discussion a pourtant été courte : « Je vous demande de passer l’ordre nucléaire à Taverny ». «  Bien, mon général ». On a ensuite bu le champagne ! Le Général de Gaulle était content que ça marche. Aujourd’hui on peut en sourire, mais en janvier 1964, c’était, concrètement, le Président de la République qui avait le pouvoir de passer par téléphone l’ordre d’engagement des forces nucléaires.

La question m’a été posée hier : « Etiez-vous contre le nucléaire, lorsque vous étiez Ministre de la défense ? ». Evidemment non, sinon je n’aurais pas accepté cette responsabilité. Mais je n’étais pas non plus un partisan enthousiaste. C’était une autre époque. De plus, je devais régler une situation assez délicate après la démission brutale de mon prédécesseur.

A ce poste, j’ai appris et vu beaucoup de choses. Je suis par exemple allé à Washington expliquer au ministre américain de la Défense que l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) du président Ronald Reagan, plus connue par les journalistes sous le nom de « Guerre des étoiles », était à la fois absurde et complètement contradictoire avec la dissuasion. Le traité ABM de 1972, qui autorisait un nombre limité de sites protégés de chaque côté était garant de la bonne foi des deux protagonistes américain et soviétique. En ne protégeant qu’une partie limitée de leur territoire, ils manifestaient tous deux leur intention de ne pas s’en prendre les premiers à leur adversaire. Mais si l’on se met à tout protéger, l’adversaire peut penser que c’est pour attaquer. C’est d’ailleurs ce qu’ont dit les Soviétiques à l’époque.

Ce système de défense antibalistique était absurde. Il fallait lancer un satellite toutes les semaines. Il fallait mettre au point des armes laser. En bref, tout un système compliqué qui ne fonctionnait pas, qui n’a jamais fonctionné, qui aurait coûté des centaines et des centaines de milliards. Et quand je suis revenu en France, la première personnalité que j’ai rencontrée était Jean-Luc Lagardère, alors bien connu dans l’industrie de l’armement. Il est venu me trouver en me disant qu’il connaissait ma position, qui était publique puisque je l’avais publiée dans la presse : « Mais est-ce que vous vous rendez compte, Monsieur le Ministre, que vous nous faites perdre des contrats ? »

Cette remarque m’a un peu effrayé et j’ai alors compris toute la portée d’une mise en garde du général Eisenhower quand il a quitté la Maison Blanche. Après avoir été général en chef pendant la guerre, après avoir été président des États-Unis, il a voulu alerter le public américain par ces mots : « Je vous mets en garde contre le plus grand danger qui menace la démocratie américaine : c’est le complexe militaro-industriel ».

Tout ceci me fait réfléchir lorsque je me rappelle comment m’étaient présentées les décisions relatives aux programmes d’armement. Ce n’étaient pas des conseillers que j’avais autour de moi, mais toute une chaîne qui reliait le chercheur qui invente, l’industriel qui s’engage à fabriquer et le militaire qui exprime un besoin d’équipement. Finalement, après avoir inventé l’arme, on crée la doctrine. Ce n’est pas la doctrine qui précède, mais l’arme. Les industriels disent aux militaires : « Nous vous proposons une arme formidable, pas chère, très puissante et très efficace ». Et les militaires viennent voir les conseillers, qui viennent voir les experts, qui font la doctrine.

Lorsqu’une arme est proposée au Ministre ou au Président, le décideur politique n’a pas suffisamment d’éléments en main pour remettre en cause les options qui lui sont soumises, par exemple en demandant de réduire la portée du missile, son coût, ses caractéristiques ou sa doctrine d’emploi. Je me souviens d’ailleurs avoir entendu un jour le Président de la République, François Mitterrand, demander à un général en face de moi : « Pourriez-vous me préciser ce que c’est, une arme préstratégique ? ».

Je me trouvais récemment dans un colloque où j’ai entendu un spécialiste, grand partisan du nucléaire militaire (on dit habituellement un expert), qui nous a expliqué que la doctrine était « solide mais flexible ». C’est sans doute cette flexibilité qui a permis de passer de la super-artillerie conçue après Hiroshima et Nagasaki à la « destruction mutuelle assurée » et aux multiples doctrines qui ont successivement qualifié la dissuasion de « minimale », « proportionnée », « concertée », « élargie », « étendue »… (j’ai dû oublier quelques adjectifs). L’arme nucléaire est indissociable de l’idée de représailles massives et je crois que Reagan a été effrayé de découvrir en 1980 l’étendue du plan de frappe contre l’Union soviétique : ce n’était pas dix, vingt objectifs, c’était 20 000, cherchez l’erreur…. Il y a donc eu la doctrine Reagan : avec le fameux bouclier anti-missile de l’IDS, vous serez protégés. Quand ? Dans dix ans, vingt ans? Protégés de quoi?

Aujourd’hui il est question d’un bouclier antimissile pour compléter la dissuasion, mais je considère que, si la dissuasion a besoin d’un complément, c’est qu’elle n’apporte pas de garantie absolue. Ce petit complément, nous dit-on, doit permettre de faire face, par exemple, à une hypothétique menace iranienne. Il ne doit pas coûter grand-chose : cinquante, cent milliards !

Je reviens à mon anecdote, qui n’en est pas une : le Président de la République demande à un général : « Pourriez-vous me préciser ce que c’est, une arme préstratégique ? ». Je vous rappelle que les missiles à longue portée, c’est le stratégique. Il y avait aussi à cette époque le tactique, à courte portée. Comme le bloc de l’Est avait beaucoup plus de forces au centre de l’Europe et en particulier beaucoup plus de chars, le nucléaire tactique devait équilibrer cette supériorité. Ne me demandez pas comment ni pourquoi. Par la suite, on a inventé le préstratégique, nouvelle qualification du tactique. Quand j’étais ministre, on m’expliquait que c’était indispensable. Lorsque François Mitterrand a demandé :   « Qu’est-ce que c’est, cette arme préstratégique ? », on lui a répondu : « Vous savez, monsieur le Président, c’est pour ne pas passer aux extrêmes ». La même explication a été donnée à Chirac et à Sarkozy, quand ils étaient présidents : « Pour ne pas passer aux extrêmes ». Pourtant la dissuasion, c’est la menace de destructions massives. Cherchez l’erreur là aussi.

Et le général a expliqué à François Mitterrand qu’il y aurait « seulement » des milliers de victimes et que la cible était la Tchécoslovaquie ou l’Allemagne de l’Est. Mais, a fait remarquer, assez étonné, le Président : « les Allemands de l’Est sont aussi des Allemands ! » On a donc supprimé le missile Pluton, dont les cibles étaient en Allemagne de l’Ouest et on a abandonné l’idée de développer le Hadès.

Lorsque j’étais Ministre de la défense, on m’a expliqué qu’il fallait trois composantes stratégiques, une composante sous-marine tapie au fond des océans, indétectable et deux composantes mises en œuvre par l’armée de l’air : une aérienne formée de bombardiers à capacité nucléaire et une balistique constituée des missiles de longue portée installés sur le plateau d’Albion. Il fallait aussi des missiles tactiques confiés à l’armée de terre. Ce dispositif donnait un rôle nucléaire aux trois armées. Heureusement, les gendarmes ne demandaient rien!

Quand on a supprimé la composante stratégique terrestre du plateau d’Albion et l’armement tactique de l’armée de terre, il y a eu un peu de mécontentement. Je remarque que l’on entend des réactions de même nature quand nous proposons de supprimer la composante aérienne de la dissuasion, avec depuis quelque temps le soutien d’Hervé Morin. Nous estimons que cette composante est inutile, qu’elle fait supporter à la défense des coûts injustifiés, mais on nous objecte : « sans la capacité nucléaire aérienne, les Rafale seraient moins performants, leurs pilotes seraient moins bien entrainés… ». Lorsque je rappelle que les Britanniques ont fait disparaitre leur force aérienne stratégique depuis de nombreuses années, on m’objecte que leur situation militaire est différente, qu’ils comptent davantage sur les Américains…

On me dit aussi que la composante aérienne est indispensable pour donner « de la souplesse dans la mise en œuvre de l’arme nucléaire ». Envisage-t-on réellement cette mise en œuvre ? Un grand nombre de pays ont organisé à Vienne en Autriche une conférence pour parler des conséquences humanitaires d’éventuelles explosions nucléaires. La France ne veut pas y participer, pour ne pas reconnaître que l’arme nucléaire pourrait servir alors qu’elle affirme que c’est une arme de « non-emploi ». Comme si, dans l’histoire de l’humanité, une arme existante n’avait jamais été utilisée, comme s’il n’y avait pas eu le précédent de l’utilisation par deux fois de l’arme nucléaire. Comment oublier la nature monstrueuse de cette arme, les dangers qu’elle présente ? A-t-on le droit de jouer indéfiniment à la roulette russe avec l’arme nucléaire en se disant qu’elle ne servira pas ?

L’arme nucléaire est, paraît-il, une « assurance-vie ». C’était un peu la conception du Général de Gaulle, qui le conduisait à être tolérant à l’égard de la prolifération nucléaire, au nom du droit de tout Etat à se défendre. Mais comment peut-on dire aujourd’hui aux pays qui ont signé le Traité de non-prolifération qu’ils n’ont pas le droit d’accéder à l’armement nucléaire, tout en affirmant que cet armement est la seule garantie réelle de l’indépendance et de la sécurité ? Ces pays n’ont-ils pas aussi droit à une « assurance-vie » ?

L’article 6 du Traité de non-prolifération est très clair : il fait obligation aux puissances nucléaires de mener de bonne foi des négociations en vue du désarmement nucléaire et de mettre fin à la course aux armements nucléaires. Depuis que ce traité a été signé en 1968 et qu’il est entré en vigueur en 1970 (la France l’a ratifié en 1992), les arsenaux nucléaires ont cessé de croître chez les principales puissances nucléaires. L’armement nucléaire français a été ramené à 300 têtes et, au niveau mondial, on est passé de 70 000 têtes à environ 16 000. Pourtant, si le nombre des armes s’est réduit, il n’en va pas de même de leur puissance, de leur portée et de leur facilité d’emploi. Beaucoup ignorent encore que la modernisation des armes nucléaires est contraire à l’article 6 du Traité de non-prolifération.

Les opposants à la dissuasion sont parfois traités de « pacifistes », ce qui est un gros mot dans la bouche de ceux qui utilisent ce qualificatif. Il se trouve que j’ai été député pendant 14 ans dans la circonscription de Jean Jaurès, qui fut traité de pacifiste et c’est pour son pacifisme qu’il a été assassiné le 31 juillet 1914. Mais, ce pacifiste était aussi patriote et spécialiste de la défense. Il faut relire L’Armée nouvelle, livre d’une rigueur, d’une précision et d’une richesse documentaire extraordinaires. Il s’agit en fait d’une proposition de loi du député de Carmaux ; je ne connais pas beaucoup de propositions de loi étayées par un tel effort de recherche.

Ce que Jaurès écrivait en 1911 n’est pas directement transposable aujourd’hui. Le contexte est très différent, le monde a bougé. Mais la démarche était la bonne. Être pacifiste, c’est vouloir la paix, vouloir surtout les conditions de la paix ; c’est aussi se mettre en situation de se défendre si nécessaire, mais en veillant à ce que cette défense et la diplomatie qui lui est associée renforcent la sécurité internationale et écartent les risques de guerre, tout particulièrement les risques d’une guerre catastrophique comme celle qui s’annonçait en 1914. Ce débat est actuel, bien qu’il ne concerne pas directement le nucléaire – mais il peut s’y rapporter. Peut-on se contenter de dire qu’en présence d’un conflit grave en un endroit, l’intervention militaire peut tout régler ? Je l’entends dire, je l’ai lu encore ce matin dans la presse. Prenons le cas du conflit ukrainien : certaines personnalités importantes s’accordent sur la gravité de la crise, sans formuler de propositions. Pourtant de nombreuses propositions peuvent être faites. On doit surtout adopter une démarche compréhensible et qui cherche le compromis et la paix. On fait toujours la paix avec l’ennemi, mais si l’objectif c’est d’écraser l’ennemi, on cherchera sans cesse à renforcer sa propre position et on restera prisonnier de la logique folle de la course aux armements, comme le monde en a fait l’expérience pendant 45 ans, de 1945 à 1990.

Quand on pense aujourd’hui à la Première Guerre mondiale et à ses conséquences, on se demande comment une telle catastrophe a pu être possible. Une nouvelle catastrophe, due à une erreur, due au hasard, due à l’emballement, due à la folie des hommes est-elle encore possible ? Cette perspective fait peur. Et comme je n’aime pas rester sur la peur, je préfère agir et proposer. Ce que nous faisons avec le livre de l’association que nous avons créée (ALB*), et avec des rencontres comme celle d’aujourd’hui.

 

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