En pleine pandémie et à la surprise générale, le Premier ministre britannique a annoncé le 16 mars 2021 que son pays augmentait son plafond d’armes nucléaires de 180 à 260. Ce plafond, fixé en 2010, devait être atteint à la mi-2020, mais l’arsenal actuel du Royaume-Uni était resté estimé à quelques 200 armes. Une telle augmentation aboutirait donc à un accroissement de 40 % par rapport au plafond prévu. Autre décision étonnante : désormais, les autorités britanniques cesseront de rendre publiques les données relatives aux « stocks opérationnels, aux ogives nucléaires déployées ou au nombre de missiles déployés ».
Les faits
Le Royaume-Uni, l’une des cinq puissances nucléaires reconnues par le Traité de Non-Prolifération (TNP), s’était engagé, lors de la Conférence d’examen du TNP de 2010 à « réduire son stock d’ogives nucléaires opérationnelles de 20%, c’est-à-dire [de 225] à 180 [et] à éliminer les ogives retirées ». Le nombre maximum d’ogives « disponibles opérationnellement » ne devait pas dépasser 120.
Avec l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson, le gouvernement britannique s’est livré à une nouvelle « Revue intégrée de sécurité, défense, développement et politique étrangère » publiée le 16 mars 2021 sous le titre « Une Grande-Bretagne globale dans une période de compétition ». Il explique la renonciation à l’objectif initial de réduction et l’augmentation des capacités nucléaires du Royaume-Uni par des considérations générales : « l’environnement de sécurité en pleine évolution, y compris le développement d’une série de menaces technologiques et doctrinales ». Dans un entretien ultérieur à la BBC, le Secrétaire à la Défense, Ben Wallace, a également invoqué comme explication les défenses antimissiles russes qui menaceraient la « crédibilité de la dissuasion britannique ».
Les réactions
Les annonces britanniques ont été généralement accueillies avec étonnement voire consternation. Certes, le Parti travaillliste, divisé sur la modernisation de l’arsenal nucléaire britannique, s’est contenté de généralités, accusant le gouvernement de « prétendre défendre le droit international tout en le bafouant ». Le think tank influent Chatham House, a exprimé son doute que, malgré le renforcement de son arsenal nucléaire, le Royaume-Uni soit capable de « retourner vers le futur et de nouveau maîtriser les mers », surtout en tournant le dos à l’Union européenne. Sur le plan international, de nombreux experts et centres de recherche ont relevé la contradiction entre la décision de Londres et ses obligations aux termes du TNP. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lui-même, n’a mâché pas ses mots en exprimant son « inquiétude » que cette mesure « contraire aux obligations [du Royaume-Uni] au titre de l’article VI du TNP », ait un « impact dommageable sur la stabilité globale et les efforts en vue d’un monde libéré des armes nucléaires ». En Europe, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, pourtant allié du Royaume-Uni au sein de l’OTAN, n’a pas hésité à considérer qu’il existait déjà « un nombre trop élevé d’armes nucléaires dans le monde » et que l’Allemagne ne « voulait pas voir les arsenaux nucléaires encore augmenter ».
L’analyse
Pourquoi un tel revirement britannique et pourquoi maintenant ? Certes, chaque nouveau chef de gouvernement souhaite imprimer sa marque dans la politique de défense, à l’instar de chaque président français ou américain. Le message de fermeté s’adresse ostensiblement à la Russie et à la Chine, accusées de se surarmer, d’investir massivement dans des technologies déstabilisatrices telles que les missiles hypersoniques, les attaques cyber ou l’intelligence artificielle. Toutefois, il est difficile de trouver la moindre logique dans la réponse consistant à ajouter quelques dizaines d’ogives nucléaires à un arsenal, certes bien inférieur à celui des Etats-Unis et de la Russie, mais déjà capable de transporter à bord de chacun des quatre sous-marins Trident l’équivalent de 222 charges nucléaires de type Hiroshima. Façon désespérée, semble-t-il, de renouer avec la puissance perdue de l’empire britannique…
En outre, on voit mal comment la menace de répondre par des missiles nucléaires à une cyber attaque, par définition impossible à attribuer à un adversaire, dissuadera une telle agression. De même, l’argument consistant à augmenter le nombre d’armes nucléaires pour contourner des défenses antimissiles, au lieu de ralentir la course aux armements, ne peut que l’exacerber : c’est précisément parce que la Russie et la Chine redoutent une défense antimissiles américaine encourageant une première frappe qu’elles ont investi dans des armes capables de déjouer ces défenses afin de préserver leur capacité de riposte. Autre aberration : puisque la Russie inclut l’arsenal britannique dans un plafond occidental s’ajoutant aux armements américains et français, le risque pour Londres est d’être entraîné à son corps défendant dans une négociation post-New START qui inclurait non seulement la Chine, mais aussi le Royaume-Uni et la France.
Le message est aussi probablement adressé à l’administration Biden, engagé dans sa propre « Revue de posture nucléaire » : la décision britannique tend à rendre plus difficile la réduction envisagée des arsenaux américains et le passage à une doctrine de « non-emploi en premier » contraire à la posture britannique et française. Elle vise aussi à exercer une pression sur le Congrès et le Pentagone dont dépend la modernisation des ogives nucléaires acquises par la Grande-Bretagne. Sur la scène internationale, nul doute que Londres se verra confronté, lors de la Conférence d’examen du TNP prévue en août 2021, à l’accusation de revenir sur ses engagements et de se résigner à la course aux armements. Enfin, compte tenu de son approche désormais plus restrictive de la transparence, il lui sera difficile, voire impossible, de faire la leçon à la Russie et à la Chine, sans parler de l’Iran, que le Royaume-Uni a critiqué pour ses tentatives de dissimulation de ses activités, pourtant pacifiques, à l’AIEA. Au total, un bilan plutôt contre-productif et une dangereuse dérive.