Iran : stratégie de tension avant l’investiture de Biden

Après avoir indiqué le 23 novembre dernier son entrée prochaine dans une nouvelle phase d’enrichissement, l’Iran a officiellement annoncé ce 04 janvier avoir repris l’enrichissement à 20% de son uranium, dans l’installation nucléaire souterraine de Fordow, dans le nord du pays. Ce nouveau seuil significatif, en venant déroger au seuil de 3,67% prévu par un JCPOA aujourd’hui en souffrance, s’inscrit dans une logique de retour progressif de l’Iran sur ses engagements de 2015. L’objectif est de ramener les États-Unis à la table des négociations. Téhéran envoie ainsi un avertissement fort à quelques jours de l’investiture du président américain entrant, le Démocrate Joe Biden.

Crédit photo : BBC.

Si l’Iran demeure en effet toujours partie prenante de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015 (JCPOA), qui limitait les activités nucléaires iraniennes en échange d’une levée des sanctions internationales, le retrait des États-Unis en 2018 et la réimposition de sanctions économiques unilatérales contre Téhéran par l’administration Trump ont significativement compromis la survie de cet accord. Après une année de « patience stratégique » durant laquelle l’Iran avait en vain espéré voir les signataires européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, UE) honorer malgré tout leur part du contrat, le pays a finalement engagé une sortie progressive de l’accord.

Après la relance de son programme d’enrichissement d’uranium au-delà de 3,67% en juillet 2019 et la ré-augmentation de ses stocks d’uranium faiblement enrichi dès juin 2020, l’Iran a donc annoncé ce 04 janvier 2021 le dépassement du seuil des 20% d’enrichissement. Cette annonce intervient un an après l’assassinat du Général iranien Ghassem Soleimani, ciblé par une frappe de drone américain.

Un seuil symbolique mais à relativiser

Si la date est significative, le seuil de 20% l’est encore davantage. Élément central dans la distinction entre usage civil et usage militaire de la technologie nucléaire, le taux d’enrichissement nécessaire à un usage militaire se situe à environ 90%. Le taux d’enrichissement de 20% représente un seuil technique et théorique de la bascule vers le nucléaire militaire : à ce stade, la matière missile est considérée comme « utilisable à des fins militaires ». Le passage de 20 à 90% est également plus aisé que l’augmentation du seuil de 3 à 20%.

Le franchissement de cette nouvelle étape par l’Iran est donc sans nul doute lourd de significations, et rapproche le pays d’une stratégie de « Nuclear Hedging », c’est-à-dire d’une stratégie nationale de maintien (réel ou en apparent) d’une option viable permettant l’acquisition de l’arme nucléaire en un délai réduit (quelques semaines à quelques années). C’est ce que la communauté internationale cherche à éviter, et c’est certainement cette crainte qui a ressurgi avec force à l’annonce du nouveau seuil d’enrichissement iranien.

Pour autant, des capacités d’enrichissement d’uranium sont loin de suffire à la fabrication d’une arme nucléaire, et les étapes à maîtriser sont aussi nombreuses que complexes et difficile à dissimuler – ne serait-ce que la phase finale de test. L’Iran continue de fait de se soumettre à un régime de surveillance et de vérifications poussées de la part de l’AIEA, qui rendraient extrêmement difficile le développement d’un programme nucléaire militaire secret.  De l’avis de beaucoup, y compris au sein de l’élite iranienne, posséder des armes nucléaires risquerait en réalité de desservir les intérêts sécuritaires du pays sur le long terme. Alors que l’Iran continue d’arguer d’objectifs pacifiques, la teneur politique de ce nouveau développement est en tout cas certaine.

L’Iran insiste sur la réversibilité des mesures

C’est par le biais d’une loi passée par le Parlement iranien en décembre 2020, au lendemain de l’assassinat du scientifique nucléaire Mohsen Fakhrizadeh, que l’Organisation Iranienne de l’Énergie Atomique a été chargée de commencer la production d’uranium enrichi à 20%, pour une production devant atteindre au moins 120 kg par an. Pour autant, le texte ne manque pas de mentionner que, si les parties européennes du JCPOA honoraient leurs engagements dans les 3 mois successifs à la loi, l’Iran retournerait alors à une totale conformité de ses propres obligations comme définies par l’accord de Vienne. En insistant sur la réversibilité de cette mesure, c’est donc une offre avec date de péremption que l’Iran semble proposer aux signataires de l’accord de 2015.

En rendant publique cette nouvelle étape d’enrichissement, l’Iran paraît aussi vouloir utiliser le risque de déstabilisation et de prolifération nucléaire au Moyen-Orient comme un levier. L’Arabie Saoudite et Israël, qui se placent en grands rivaux de l’Iran, sont éloquents sur les mesures qu’ils prendraient si l’Iran venait à poursuivre des ambitions nucléaires militaires. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré ce 04 janvier que « les violations de ses engagements par l’Iran […] ne peuvent être expliquées que par ses intentions de développer un programme militaire nucléaire », ce qu’Israël « ne permettra pas ».

En donnant le feu vert pour un enrichissement d’uranium à 20%, l’Iran ne pouvait ignorer que ses voisins percevraient cette décision comme une menace additionnelle. Téhéran s’efforce par ailleurs de maintenir la tension dans les eaux du Golfe. Il est donc possible de lire dans l’ensemble de cette démarche la proposition d’une alternative de la part de l’Iran : sauver l’accord et lever les sanctions, ou assumer une expansion du programme nucléaire iranien et une escalade des tensions au Moyen Orient.

Un message fort adressé à Joe Biden

Précédant de peu l’entrée en fonction de Joe Biden, le message semble tout particulièrement destiné au nouveau président américain, qui s’est déjà positionné en faveur d’un retour des États-Unis au JCPOA. Alors que l’administration Trump, à quelques jours de la fin de son mandat, continue de multiplier les sanctions contre Téhéran, il semble désormais nécessaire d’acter l’échec de la stratégie de « pression maximale », dont l’objectif d’une reddition iranienne inconditionnelle va à l’encontre du principe-même de négociation diplomatique.

Si l’Iran se montre impatient de réengager les négociations, les parties de l’accord de Vienne – et les États-Unis en particulier – devront toutefois prendre en compte l’horloge de la politique interne iranienne. Du fait principalement de la brutalité des sanctions économiques américaines, de la multiplication des assassinats de hauts fonctionnaires iraniens et de la dégradation des relations diplomatiques entre l’Iran et les États-Unis, la ligne dure de la politique iranienne est montée en puissance au cours des dernières années. Après avoir gagné le parlement dans une victoire écrasante contre les modérés en 2019, les conservateurs se tournent aujourd’hui vers le siège présidentiel, que le modéré Hassan Rohani – artisan du JCPOA du côté iranien – quittera au terme de son mandat, en août 2021. La probabilité d’une victoire de conservateurs et ultra-conservateurs, qui s’opposent aux négociations avec l’Occident et particulièrement avec les États-Unis, est élevée.

En outre, Israël a annoncé que le pays hébreu n’hésiterait pas à bombarder les installations nucléaires iraniennes « comme pour l’Iraq en 1981 et la Syrie en 2007 » si les États-Unis revenaient dans le JCPOA. Après 4 ans de blocage américain, une étroite conjoncture s’ouvre pour quelques mois entre le début de mandat de Biden et la fin de mandat de Rohani, qui devrait permettre un retour à la négociation, et une désescalade des tensions.

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L’association Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN) a pour but d’œuvrer à l’élimination progressive et équilibrée des armes nucléaires de la planète, pour contribuer à l’édification d’un monde plus sûr.
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