Quel impact de l’extension du traité New Start sur la sécurité nationale américaine ?

Un an après le retrait américain du traité sur les Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (FNI) en août 2019, le dernier grand traité bilatéral de contrôle des armements nucléaires entre les Etats-Unis et la Russie est lui aussi en péril. L’extension du New START alimente des débats animés quant à son impact sur la sécurité nationale américaine, thème de prédilection de l’administration Trump. A ce titre, Marshall Billingslea, haut fonctionnaire du gouvernement, annonçait récemment vouloir que les « Russes leur expliquent pourquoi ce serait dans leur intérêt de l’étendre ».

Intérêt, maître-mot trumpien. IDN se propose ici de déconstruire cette mythologie véhiculée par certains milieux américains de la défense autour du New START. Comme bien souvent, l’intérêt sécuritaire tant révéré ne se trouve pas là où il semble être.

Des frictions autour de l’extension du New START

Signé en 2010, le traité New START sur la réduction des armes stratégiques arrivera à son terme le 5 février 2021. Ses clauses permettent toutefois de l’étendre pour une période maximale de cinq ans. Vladimir Poutine a, en de multiples occasions, donné son aval « sans préconditions » pour cette prorogation. Les Etats-Unis, en revanche, ne partagent pas le même enthousiasme.

Décembre 2017. La Stratégie de Sécurité Nationale Américaine (NSS) de la nouvelle administration Trump est publiée. Un retour en grande trombe à la « concurrence entre grandes puissances » y est notamment annoncé. C’est en bonne partie à travers ce nouveau prisme nationaliste que doit être compris le scepticisme américain à l’encontre du traité. Le gouvernement des Etats-Unis reproche notamment à la Russie le développement de nouvelles armes nucléaires, telles que la très médiatisée torpille intercontinentale Poséidon, ou encore le planeur hypersonique Avangard.

Selon l’administration Trump, ces armes ne seraient pas en conformité avec le traité. Dans une interview exclusive pour Fox News en août 2019, le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, déclarait notamment que, s’il « devait y avoir une extension du New START, nous devons nous assurer d’inclure toutes ces nouvelles armes que […] la Russie poursuit ».

Deuxième point de friction : la volonté opiniâtre des Etats-Unis d’inclure la Chine dans les négociations. Or, cette dernière refuse catégoriquement cette option trilatérale, arguant, à juste titre, que son arsenal nucléaire est bien inférieur à celui des principaux pays détenteurs d’armes nucléaires (2,6% des leurs). La proposition américaine reste donc pour l’heure lettre morte, et, avec elle, les perspectives d’extension du New START.

Le mythe sécuritaire américain autour du New START

S’appuyant sur cette nouvelle idéologie de compétition entre grandes puissances (et, en premier lieu, puissances nucléaires), l’extension du New START interroge certains milieux américains de la défense quant à son utilité réelle pour le projet de puissance de l’administration Trump. A leurs yeux, le traité ne représente qu’un boulet au pied des capacités de défense américaines. Inversement, il permettrait à la Russie et à la Chine de réduire l’écart nucléaire avec les Etats-Unis – et, ce faisant, mettrait en péril la sécurité nationale.

Ces préoccupations sont pourtant infondées. Le New START protège aussi bien la communauté internationale que les intérêts américains. Sans le traité, les services de renseignement américains seraient dans le flou vis-à-vis de l’arsenal nucléaire stratégique russe. Le régime de vérification actuel permet aux Etats-Unis d’échanger des données, et même de mener des inspections sur site. Deux fois par an, la Russie transmet également à son rival le nombre précis d’ogives stratégiques déployées. L’extension du traité ne ferait que maintenir cette transparence servant les intérêts de chacun.

Evidemment, les Etats-Unis pourraient obtenir la plupart de ces informations par leurs propres moyens. Cette option serait en revanche bien plus coûteuse pour les renseignements américains, et infiniment moins précise. Afin de répondre à cette nouvelle demande d’analystes sur les forces en présence russes, des ressources vitales seraient détournées d’autres priorités de sécurité nationale : forces chinoises, nord-coréennes, iraniennes… C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2010, le Général Kevin Chilton, commandant en chef du Commandement Stratégique des Etats-Unis, avait publiquement soutenu la ratification du traité. Sans le New START, il assurait que les Etats-Unis seraient « de plus en plus obligés de concentrer leurs moyens de collecte et d’analyse de renseignements à faible densité et à forte demande sur les forces nucléaires russes ». Plus de dépenses, moins de résultats ; : Donald Trump n’y reconnaitrait plus son propre programme !

Enfin, l’impact de la non-extension du New Start sur les alliances des Etats-Unis n’est pas à négliger. Les autres pays membres de l’OTAN font déjà pression sur l’exécutif américain, l’exhortant à proroger le traité. Membres du P5, la France et le Royaume-Uni ne manquent pas à l’appel. Emmanuel Macron déclarait en février 2020 qu’il était « essentiel que le traité New START soit prolongé », tandis qu’Angus Lapsley, directeur général de la Stratégie et des Affaires Internationales au Ministère britannique de la Défense, plaidait en août 2019 de manière similaire, rappelant qu’un engagement en faveur de la maîtrise des armements était « essentiel pour maintenir la cohésion de l’OTAN ».

« Make America safe again » : au-delà du discours

Certes, les préoccupations de ses alliés n’ont rarement été au premier plan de celles de Donald Trump. Pourtant, la déconstruction de ce mythe montre bien que la réalisation de sa célèbre formule passera (entre autres) par une extension du traité. Lors de discussions tenues à Vienne le 22 juin dernier quant à une éventuelle prorogation, les responsables américains s’en tinrent néanmoins à leur ligne : inclusion inconditionnelle des Chinois, et plus strict contrôle de l’armement russe. L’absence d’ambassadeurs chinois à ces négociations – auxquelles ils avaient pourtant été conviés – en dit long sur le réalisme de cette perspective.

Le résultat des élections présidentielles en novembre pourrait cependant changer la donne dans ce dossier. En cas de victoire, son rival Joe Biden se ferait promoteur d’une nouvelle ligne. En novembre 2019, IDN analysait les politiques nucléaires des candidats démocrates. Nous montrions ainsi que Biden cristalliserait un certain « retour à la normale », s’alignant dans la continuité d’un Obama qui avait, à l’époque, porté le New START. Le 11 juillet 2019, l’ancien vice-président déclarait d’ailleurs son intention de poursuivre une extension du traité, « ancre de stabilité stratégique » entre les Etats-Unis et la Russie.

Si Trump n’était pas réélu, le nouveau président n’aurait cependant que quinze jours pour finaliser une nouvelle extension du traité, le jour de l’investiture présidentielle étant le 20 janvier. Bien que la tâche semble impossible, la prorogation du traité est essentielle à la sécurité nationale américaine.

Alexander Chourreau

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