La pandémie mondiale de COVID-19 a fait émerger de nouvelles menaces globales qui poussent à redéfinir les priorités sécuritaires nationales et internationales. Bernard Norlain, général d’armée aérienne, vice-président d’IDN, propose une réévaluation et réorganisation des priorités de la politique de défense et de sécurité de la France. Le COVID-19 est à la fois une menace et une opportunité pour concevoir les codes d’une nouvelle société. Il reste néanmoins à éviter que cette « nouvelle page » ne s’écrive avec la plume de l’ancien monde.
Cette nouvelle réflexion exige de faire sinon table rase du passé, au moins une remise en cause du référentiel utilisé jusqu’à maintenant. En schématisant, on peut dire que ce référentiel reposait sur une conception westphalienne du concert des Nations et sur le « jeu » de pouvoir et de puissances qui s’opérait entre elles. Cet « équilibre » s’appuyait sur l’arme nucléaire, symbole de la toute-puissance, depuis 1945 et la première explosion atomique. Cette conception de l’équilibre est particulièrement vraie pour la France, qui a fait de l’arme nucléaire la clef de voûte de sa politique de défense. Le désarmement nucléaire multilatéral soutenu par IDN n’est cependant pas une fin en soi. Cette vision s’inscrit dans une réflexion plus large sur ce qu’est la sécurité de nos jours et à quels défis elle doit faire face.
Les enseignements du COVID-19
Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, n’a laissé que très peu de place à l’interprétation en annonçant que « la pandémie menace la sécurité du monde ». Si elle est une menace, cette pandémie est aussi une occasion unique de réexaminer notre vision relative aux enjeux de sécurité. Cette réflexion nouvelle ne doit pas être limitée par des dogmes anciens et des conceptions archaïques.
Six axes de réflexions se distinguent et doivent faire l’objet d’une attention particulière dans les débats et réflexions.
- La question de l’interdépendance du monde avec un débat élargi sur la pertinence de notre modèle mondialisé ;
- La vulnérabilité et la fragilité de nos sociétés face à des crises qui nous échappent ;
- Un besoin de concevoir une nouvelle sécurité globale qui puisse inclure un continuum de la sécurité intérieure/extérieure, de sécurité sanitaire et de sécurité humaine ;
- Une distinction plus précise de la guerre et de la paix ;
- Un « monde d’après » complexe à concevoir ;
- Des menaces diffuses difficilement attribuables.
Un changement de la scène internationale
La crise sanitaire internationale a manifestement bouleversé les relations interétatiques contemporaines. Alors que les Etats interagissent dans un monde multipolaire, multicentré et instable, une nouvelle génération de dirigeants est apparue : une classe politique exacerbant le nationalisme de leur peuple.
Cette scène internationale, caractérisée par une anarchie entre les Etats, est plus complexe et incertaine que jamais. Effectivement, elle laisse place à l’apparition de nouveaux champs de conflictualités qui interviennent dans des domaines tels que le cyberespace, l’information ou encore le champ numérique. André Glucksman dit justement que « nous pénétrons à l’aveugle dans un monde opaque ». Cette multitude de phénomènes présente une difficulté réelle à cibler les enjeux sécuritaires prioritaires.
Néanmoins, dans cette incertitude il existe une possibilité de mieux cibler des enjeux sécuritaires d’une importance capitale. La démographie d’abord, de façon à enfin répondre efficacement à l’urgence climatique et environnementale. L’interdépendance ensuite, en ayant finalement la possibilité de répondre aux tensions créées par le couple dialectique de la mondialisation et des crispations identitaires. La numérisation enfin, qui présente de nombreuses solutions permettant de faire face aux défis actuels par le biais des nouvelles technologies.
L’émergence de nouvelles menaces
Le géographe et biologiste Jared Diamond classe dans cet ordre les quatre dangers principaux qui menacent notre planète. Pour lui le premier d’entre eux est le risque de l’utilisation de l’arme nucléaire. Le deuxième est le dérèglement climatique qui menace la vie d’une grande partie de notre humanité. Ce dernier est par ailleurs décrit comme « une arme de destruction massive » par John Kerry, ancien secrétaire d’Etat de l’administration Obama. Le troisième, l’épuisement des ressources telle que l’eau, les énergies fossiles et les métaux critiques. Le quatrième est la multiplication des conflits asymétriques et hybrides, à l’image du terrorisme ou de l’annexion de la Crimée par la Russie.
Au-delà de cette liste, d’autres enjeux viennent également créer un climat instable dans lequel de nouvelles menaces sécuritaires sont susceptibles d’émerger. L’accroissement des inégalités sociales, les conflits intra-étatiques ou encore le développement et la course vers de nouveaux armements, sont autant de nouveaux facteurs de risque pour la sécurité mondiale.
De plus, ces défis sécuritaires renforcent la thèse d’une possible confrontation interétatique majeure. Effectivement, les relations sino-américaines se détériorent de plus en plus. Les Etats-Unis, puissance dominante mais déclinante, se retrouvent menacés alors que leur hégémonie est remise en question par la Chine, puissance émergente et jugée provocatrice. Ce piège de Thucydide semble renforcer la probabilité d’un conflit ouvert et direct entre ces deux puissances : une nouvelle menace donc, pour la sécurité mondiale.
Dans ce climat de tensions ces nouvelles menaces font peser une insécurité internationale. Alors que les acteurs sont de plus en plus nombreux et puissants (à l’image des GAFAM surpassant parfois les Etats) et que le système international montre ses faiblesses, une réflexion s’impose pour répondre aux risques de demain.
Alors que la crise sanitaire met en avant de nouvelles menaces sécuritaires, elle est également l’occasion d’une remise en question d’un système actuel « malade ». Allons-nous vers un monde « conservé », marqué par la fin du multilatéralisme et la course à la puissance entre Etats-nations ? Ou bien allons-nous réussir à réinventer et repenser le monde post-pandémie ?
La crise sanitaire actuelle sonne comme un ultime avertissement avant les crises majeures annoncées par le XXIème siècle : les sociétés occidentales ne peuvent se laisser prédire l’avenir par ceux-là même qui ont intérêt à ce que rien ne bouge.
Bernard Norlain, Vice-président d’IDN et Simeo Pont
Une réponse
« Le COVID 19 est à la fois une menace et une opportunité pour concevoir les codes d’une nouvelle société. Il reste néanmoins à éviter que cette « nouvelle page » ne s’écrive avec la plume de l’ancien monde. »
Excellente formulation, mais à entendre le dernier discours du président de la république, ce n’est pas le chemin qu’il entend prendre.