Iran : la dernière chance du JCPOA ?

Le 6 novembre 2019, l’Iran mettra en œuvre la quatrième étape de la réduction de ses engagements envers l’accord sur le nucléaire de 2015 si les négociations n’ont pas abouti d’ici-là avec les autres membres de l’accord. Si le désengagement de l’Iran était jusqu’alors limité et contrôlé, Téhéran a averti que le régime pourrait franchir un nouveau cap dans l’escalade nucléaire, alors que les Européens réfléchissent à se retirer à leur tour de l’accord.

La perspective d’un accord sur le nucléaire iranien s’éloigne chaque jour un peu plus. Signé en juillet 2015, l’accord de Vienne – ou Plan d’action global conjoint (JCPOA) – avait pour objectif de garantir le caractère pacifique du programme nucléaire iranien. Imposant de sévères restrictions, l’accord autorisait l’Iran à poursuivre une activité nucléaire civile, à faible taux d’enrichissement d’uranium (3,67%), sans dépasser 300kg d’uranium enrichi stockés sur son sol. Ces seuils devaient rendre impossible pour Téhéran la fabrication d’une bombe atomique en moins d’un an. En échange, l’Iran obtenait la levée des sanctions internationales étouffant son économie.

L’accord se délite depuis que Trump l’a dénoncé en mai 2018. Les États-Unis s’en sont retirés unilatéralement et ont rétabli des sanctions économiques qu’ils ne cessent d’intensifier. L’objectif avoué de Washington est d’exercer une pression maximale afin de contraindre Téhéran à accepter un nouvel accord élargi. Depuis le mois de mai et face à l’intransigeance des États-Unis et au manque de réaction des Européens, l’Iran fait de nouveau planer le spectre de l’arme atomique.

Trois étapes de renonciation de l’Iran

Afin de contrebalancer la pression exercée sur son économie, Téhéran a ainsi renoncé à une partie de ses engagements. S’appuyant sur l’article 36 de l’accord – la clause dit “less for less”, le régime iranien s’est affranchi, début juillet, de la limite imposée à ses réserves d’uranium faiblement enrichi et à ses stocks d’eau lourde. Téhéran a également relancé ses activités d’enrichissement d’uranium à un taux supérieur à 3,67%. Début septembre, le président iranien a annoncé mettre fin à toute limite en matière de recherche et développement dans le domaine nucléaire.

Enfin, l’Iran a approuvé la mise en route de centrifugeuses avancées sur le site de Natanz. 20 sont de type IR-4 et 20 autres de type IR-6. Or, l’accord de 2015 n’autorise Téhéran à produire de l’uranium enrichi qu’avec des centrifugeuses de première génération, de type IR-1. Les centrifugeuses récemment installées devraient accélérer la production d’uranium enrichi par le pays et augmenter ses stocks. Cette décision constitue la troisième étape du plan de réduction des engagements de l’Iran dans le cadre du JCPOA.

Un désengagement graduel et contrôlé

La réponse de l’Iran est graduelle et a pour objectif d’obliger Washington à modifier son approche. L’escalade des tensions ne concerne pas que le domaine nucléaire, mais tous les domaines où les États-Unis ont identifié la politique de Téhéran comme problématique : au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Yémen, Golfe Persique), dans le cyberespace, dans le domaine balistique. L’affrontement larvé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran connaît une escalade depuis six mois. Après les attaques de raffineries saoudiennes en septembre, c’est un pétrolier iranien qui a été attaqué mi-octobre par des missiles en mer Rouge. En réaction, Washington a élargi l’ampleur et la portée des sanctions envers l’Iran.

Pourtant, un examen attentif des violations de l’accord permet de percevoir que l’Iran n’a actionné pour l’heure que des mécanismes réversibles, encadrant le non-respect de l’accord nucléaire tout en évoquant le spectre de l’arme nucléaire. L’escalade nucléaire est graduelle et réfléchie, utilisée comme une stratégie de persuasion. L’Iran s’est notamment abstenu de reprendre l’enrichissement d’uranium à 20%, ce qui avait uni la communauté internationale contre l’Iran en 2010. Isolée du système financier international par les sanctions économiques américaines, Téhéran, en renonçant à une partie de ses engagements, souhaite montrer sa capacité de réaction.

La bombe nucléaire est “haram” selon l’ayatollah

L’Iran essaie ainsi d’exercer une pression sur l’Europe – qui exerce un rôle de médiateur – pour qu’elle participe au sauvetage de l’accord, tout en menaçant de continuer à se désengager progressivement si le régime ne recevait pas de garantie de la part des autres signataires. Mais tant que l’escalade nucléaire demeure en deçà de certains seuils, les partenaires européens sont incités à se battre pour le maintien du JCPOA. La République islamique a de plus souligné qu’elle continuerait à autoriser l’accès aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) chargés de surveiller ses activités nucléaires. Enfin, par son calendrier préétabli de 60 jours pour l’engagement d’activités prohibées par l’accord, l’Iran conserve la main sur la direction et l’intensité que le pays souhaite donner à la crise.

En ce sens, le 9 octobre, l’ayatollah Ali Khamenei a joué l’apaisement en rappelant qu’il considère la bombe atomique comme “une menace pour l’humanité”. Selon le guide suprême iranien, la fabrication et l’usage de l’arme nucléaire sont contraires à l’enseignement de l’islam. S’il plaide pour le droit de l’Iran au nucléaire civil, ce n’est pas la première fois que Khamenei tient ce genre de discours envers le nucléaire à vocation militaire. Depuis 2006, il a répété à plusieurs reprises que l’Iran n’a nul besoin de la bombe atomique, qu’il ne cherche pas à l’obtenir, et que les armes de destruction massive en général, et l’arme nucléaire en particulier, sont “haram” (interdites par l’islam). L’ayatollah a cependant répété que les négociations avec l’Occident ne pouvaient inclure des discussions sur les interventions de l’Iran au Moyen-Orient ou sur son programme de missiles.

La proposition d’un nouvel accord en marge de l’Assemblée générale de l’ONU

En parallèle de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre dernier, de nombreux efforts avaient été déployés par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne mais aussi le Pakistan pour organiser une réunion entre le président américain Donald Trump et le président iranien Hassan Rohani. En vain.

Emmanuel Macron avait pourtant tenté de négocier un nouvel accord entre Washington et Téhéran. En quatre points, ce plan devait engager l’Iran à se remettre en conformité avec ses engagements du JCPOA. Selon The Guardian (2 octobre), ce nouvel accord stipulait que l’Iran ne devait jamais acquérir d’arme nucléaire, se conformerait pleinement à ses obligations prises dans ce cadre et accepterait une négociation pour prolonger les termes du JCPOA après 2025. En outre, selon la proposition du président français, l’Iran devait s’abstenir de mener une politique agressive au Moyen-Orient. En contrepartie, les États-Unis auraient levé les sanctions sur les exportations de pétrole iranien. L’Union Européenne devait également accorder une “bouée de sauvetage” de 15 milliards de dollars à Téhéran.

 “Le plan français aurait pu être acceptable, d’une certaine façon”, a reconnu, le 2 octobre, Rohani, faisant porter à son homologue américain la responsabilité de l’échec de New York. En effet, l’Iran considère que les États-Unis ont renoncé à s’asseoir à la table des négociations en se retirant de l’accord nucléaire. Du point de vue de Téhéran, les sanctions envers l’ayatollah Khamenei et son ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, ainsi que la désignation des Gardiens de la Révolution comme une organisation terroriste ont éliminé toute possibilité de négociation. En outre, Rohani avait exigé une levée des sanctions avant tout dialogue avec les États-Unis, une demande rationnelle alors que Téhéran s’est pleinement conformé aux termes et conditions de l’accord jusqu’en mai.

Or, Trump, qui a qualifié le texte de “pire accord de tous les temps” et de “catastrophe”, n’accepte d’avoir des discussions directes avec l’Iran qu’en poursuivant une politique de pression maximale et de sanctions. Le président souhaiterait étendre les mesures anti-nucléaires après 2025, mais aussi et surtout limiter les ambitions hégémoniques de l’Iran au Moyen-Orient et son programme de missiles balistiques.

Une quatrième étape dans la réduction des engagements de l’Iran

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, estimait alors qu’il restait une fenêtre d’un mois, jusqu’au 6 novembre, pour l’ouverture de discussions entre les États-Unis et l’Iran. Si Hassan Rohani a laissé la porte ouverte au dialogue, la première semaine de novembre pourrait marquer une détérioration, mais surtout une impasse nucléaire. L’Iran a annoncé qu’il prendrait de nouvelles mesures au terme de la prochaine échéance de 60 jours, le 6 novembre. Parmi les pistes évoquées, l’Iran pourrait reprendre l’enrichissement de l’uranium à hauteur de 20%, réduisant ainsi de moitié la durée du chemin d’accès à la bombe nucléaire (de 12 à 6 mois). Le régime pourrait aussi décider de relancer la plupart de ses centrifugeuses de type IR-2, plus efficaces que les IR-1. Téhéran a surtout menacé de commencer à imposer des limites à sa coopération avec l’AIEA.

L’Iran et l’Europe sont de plus en plus divisés sur l’accord nucléaire. L’Iran estime que les Européens n’ont pas produit les efforts nécessaires pour rétablir l’économie iranienne. D’autant que le régime a connu un nouveau revers, alors qu’il comptait sur l’appui de partenaires étrangers. Les pressions exercées par les États-Unis ont obligé les banques et les entreprises étrangères) se tenir à l’écart des relations commerciales avec Téhéran. Après Total, la China National Petroleum Corporation (CNPC) s’est à son tour retirée du projet d’exploitation du champ gazier South Pars dans le Golfe Persique. La Chine raréfie ses achats à Téhéran par prudence, malgré la guerre commerciale qu’elle livre à Washington.

Vers un retrait de l’Europe du JCPOA ?

Irrités par les violations iraniennes, mais surtout par le harcèlement des navires européens et des opérations d’espionnage clandestin, les parties européennes du JCPOA (Allemagne, France, Royaume-Uni) ont menacé l’Iran d’activer le “mécanisme de déclenchement” inclus dans le texte. Cela entraînerait le retrait de l’Europe de l’accord nucléaire. Le dossier iranien serait ensuite transmis au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la réactivation de toutes les sanctions qu’il avait levé temporairement en 2015. Cela signifierait la mort du JCPOA.

Il est désormais urgent d’apaiser les tensions avec l’Iran, que ce soit sur le dossier nucléaire ou en termes de géopolitique. Européens et Américains n’ont plus que quelques jours pour réagir. Le renouvellement annoncé des exemptions accordées à la Russie, la Chine et l’Union Européenne concernant certains projets de non-prolifération – comme la transformation des installations nucléaires d’Arak et de Fordow à des fins civiles– constitue un premier pas fait par les États-Unis, mais cela est loin d’être suffisant. Les conséquences d’un conflit avec l’Iran seraient désastreuses. Au-delà du coût économique certain pour Téhéran et Washington, mais aussi pour l’Union Européenne à travers l’augmentation des prix du pétrole, l’Europe ne serait pas épargnée. Une guerre totale entraînerait une nouvelle vague d’immigration et de terrorisme par l’absence d’un ordre politique en Iran.

Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN

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